Le Secret Admirable du Très Saint
Rosaire
pour se convertir et se sauver
De Saint Louis-Marie Grignion de
Montfort
ROSE BLANCHE
1. Ministres du Très-Haut,
prédicateurs de la vérité, trompettes de l'Evangile, permettez-moi de vous
présenter la rose blanche de ce petit livre pour mettre en votre coeur et en
votre bouche les vérités qui y sont exposées simplement, sans politesse. En
votre coeur, pour entreprendre vous-mêmes la sainte pratique du Rosaire et en
goûter les fruits. En votre bouche, pour prêcher aux autres l'excellence de
cette pratique et les convertir par ce moyen. Prenez bien garde, s'il vous
plaît, de regarder comme le vulgaire, et même comme plusieurs savants
orgueilleux, cette pratique comme petite et de peu de conséquence; elle est
vraiment grande, sublime et divine. C'est le ciel qui nous l'a donnée, et l'a
donnée pour convertir les pécheurs les plus endurcis et les hérétiques les plus
obstinés. Dieu y a attaché la grâce dans cette vie et la gloire dans l'autre.
Les saints l'ont pratiquée et les souverains Pontifes l'ont autorisée. Oh!
qu'un prêtre et un directeur des âmes est heureux, à qui le Saint-Esprit a
révélé ce secret inconnu de la plus grande partie des hommes ou qui ne le
connaissent que superficiellement! S'il en reçoit la connaissance pratique, il
le récitera tous les jours et le fera réciter aux autres. Dieu et sa sainte
Mère verseront abondamment la grâce en son âme pour être un instrument de sa
gloire; et il fera plus de fruit par sa parole, quoique simple, en un mois, que
les autres prédicateurs en plusieurs années.
2. Ne nous contentons donc pas,
mes chers confrères, de le conseiller aux autres; il faut que nous le
pratiquions nous- mêmes. Nous pourrons être convaincus dans l'esprit de
l'excellence du saint Rosaire, mais comme nous ne le pratiquerons point, on se
mettra fort peu en peine de ce que nous conseillerons, car personne ne donne ce
qu'il n'a pas: "Coepit Jesus facere et docere". Imitons Jésus-Christ, qui a
commencé par faire ce qu'il a enseigné. Imitons l'Apôtre, qui ne connaissait et
ne prêchait que Jésus-Christ crucifié. C'est ce que nous ferons en prêchant le
saint Rosaire qui, comme vous verrez ci-après, n'est pas seulement une
composition de Pater et d'Ave, mais un divin abrégé de la vie, de la passion,
de la mort et la gloire de Jésus et Marie. Si je croyais que l'expérience que
Dieu m'a donnée de l'efficace de la prédication du saint Rosaire pour convertir
les âmes pût vous déterminer à prêcher le saint Rosaire malgré la mode
contraire des prédicateurs, je vous dirais les conversions merveilleuses que
j'ai vues arriver en prêchant le saint Rosaire; mais je me contente de vous
rapporter en cet abrégé quelques histoires anciennes et bien approuvées. J'ai
seulement, en votre faveur, inséré plusieurs passages latins tirés de bons
auteurs qui prouvent ce que j'explique au peuple en français.
ROSE ROUGE
3. C'est à vous, pauvres pécheurs
et pécheresses, qu'un plus grand pécheur que vous offre cette rose rougie du
sang de Jésus-Christ pour vous fleurir et vous sauver. Les impies et pécheurs
impénitents crient tous les jours: "Coronemus nos rosis": couronnons-nous de
roses. Chantons aussi: Couronnons- nous des roses du saint Rosaire. Ah! que
leurs roses sont bien différentes des nôtres; leurs roses sont leurs plaisirs
charnels, leurs vains honneurs et leurs richesses périssables, qui seront
bientôt flétries et pourries; mais les nôtres, qui sont nos Pater et nos Ave
bien dits, joints avec nos bonnes oeuvres de pénitence, ne se flétriront, ni ne
passeront jamais et leur éclat sera aussi brillant en cent mille ans d'ici qu'à
présent. Leurs roses prétendues n'ont que l'apparence de roses, elles ne sont,
dans le fond, que des épines piquantes pendant la vie par les remords de la
concience, perçantes à la mort par le repentir et brûlantes à toute éternité
par la rage et le desespoir. Si nos roses ont des épines, ce sont des épines de
Jésus- Christ qui convertit nos épines en roses. Si nos roses piquent, elles ne
piquent que pour un temps, elle ne piquent que pour nous guérir du péché et
nous sauver.
4. Couronnons-nous à l'envi de
telles roses du paradis, récitant tous les jours un Rosaire, c'est-à-dire trois
chapelets de cinq dizaines chacun ou trois petits chapeaux de fleurs ou
couronnes: 1 pour honorer les trois couronnes de Jésus et de Marie, la couronne
de grâce de Jésus dans son incarnation, sa couronne d'épines dans sa passion et
sa couronne de gloire dans le ciel, et la triple couronne que Marie a reçue
dans le ciel de la très sainte Trinité; 2 pour recevoir de Jésus et de Marie
trois couronnes, la première de mérite pendant la vie, la seconde de paix à la
mort et la troisième de gloire dans le paradis. Si vous êtes fidèles à le dire,
malgré la grandeur de vos péchés, dévotement jusqu'à la mort, croyez-moi:
"Percipietis coronam immarcescibilem", vous recevrez une couronne de gloire qui
ne se flétrira jamais. Quand vous seriez sur le bord de l'abîme, quand vous
auriez déjà un pied dans l'enfer, quand vous auriez vendu votre âme au diable
comme un magicien, quand vous seriez un hérétique endurci et obstiné comme un
démon, vous vous convertirez tôt ou tard et vous sauverez, pourvu que, je le
répète et remarquez les paroles et les termes de mon conseil, vous disiez tous
les jours le saint Rosaire dévotement jusqu'à la mort pour connaître la vérité
et obtenir la contrition et le pardon de vos péchés. Vous verrez en cet ouvrage
plusieurs histoires de grands pécheurs convertis par la vertu du saint Rosaire.
Lisez-les pour les méditer. Dieu seul.
ROSIER MYSTIQUE
5. Vous ne trouverez pas mauvais,
âmes dévotes et éclairées par le Saint-Esprit, que je vous donne un petit
rosier venu du ciel pour planter dans le jardin de votre âme; il n'endommagera
pas les fleurs odoriférantes de vos contemplations. Il est très odoriférant et
tout divin, il ne gâtera rien dans l'ordre de votre parterre; il est très pur
et bien ordonné, il porte tout à l'ordre et à la pureté: il croît d'une hauteur
si prodigieuse et devient d'une si grande étendue, si on l'arrose et si on le
cultive comme il faut tous les jours, que non seulement il n'empêche pas, mais
même conserve et perfectionne toutes les autres dévotions. Vous qui êtes
spirituelles, vous m'entendez bien! Ce rosier est Jésus et Marie dans la vie,
la mort et dans l'éternité.
6. Les feuilles vertes de ce
rosier mystique expriment les mystères joyeux de Jésus et de Marie; les épines,
les douloureux; et les fleurs, les glorieux. Les roses en boutons sont
l'enfance de Jésus et de Marie; les roses ouvertes représentent Jésus et Marie
dans les souffrances, et les roses épanouies montrent Jésus et Marie dans leur
gloire et leur triomphe. La rose réjouit par sa beauté: voilà Jésus et Marie
dans les mystères joyeux; elle pique par ses épines: les voilà dans les
mystères douloureux; et elle réjouit par la suavité de son odeur: les voilà
enfin dans les mystères glorieux. Ne méprisez donc pas ma plante heureuse et
divine, plantez-la vous-mêmes en votre âme en prenant la résolution de réciter
votre Rosaire; cultivez-la et arrosez-la en le récitant fidèlement tous les
jours et en faisant de bonnes oeuvres, et vous verrez que ce grain qui paraît
présentement si petit deviendra avec le temps un grand arbre où les oiseaux du
ciel, c'est-à-dire les âmes prédestinées et élevées en contemplation, feront
leur nid et leur demeure pour être, sous l'ombre de ses feuilles, garanties des
ardeurs du soleil, pour être préservées par sa hauteur des bêtes féroces de la
terre, et enfin pour être délicatement nourries par son fruit qui n'est autre
que l'adorable Jésus, auquel soit honneur et gloire dans les siècles des
siècles. Amen. Ainsi soit-il. Dieu seul.
BOUTON DE ROSE
7. Je vous offre, mes petits
enfants, un beau bouton de rose; c'est un des petits grains de votre chapelet
qui vous paraît si peu de chose! Que ce grain est précieux! Oh! que ce bouton
de rose est admirable, oh! qu'il s'épanouira large si vous dites dévotement
vote Ave Maria! Ce serait trop vous demander que de vous conseiller un Rosaire
tous les jours. Dites au moins votre chapelet tous les jours bien dévotement,
qui est un petit chapeau de roses que vous mettrez sur la tête de Jésus et de
Marie. Croyez-moi, écoutez la belle histoire et la retenez bien.
8. Deux petites filles, toutes
deux soeurs, étant à la porte de leur logis à dire le chapelet dévotement, une
belle dame s'apparut à elles, approche de la plus jeune qui n'avait que six à
sept anas, la prit par la main et l'emmène. Sa soeur aînée, toute étonnée, la
cherche et ne l'ayant pu trouver s'en vint toute éplorée à la maison et dit
qu'on avait emporté sa soeur. Le père et la mère cherchèrent inutilement
pendant trois jours. Au bout du troisième jour, ils la trouvèrent à la porte
avec un visage gai et joyeux; ils lui demandèrent d'où elle venait; elle dit
que la dame à laquelle elle disait son chapelet l'avait emmenée dans un beau
lieu et lui avait donné à manger de bonnes choses et lui avait mis entre les
bras un joli petit enfant qu'elle avait tant baisé. Le père et la mère, qui
étaient nouvellement convertis à la foi, firent venir le révérend père jésuite
qui les avait instruits dans la foi et la dévotion du Rosaire, ils lui
racontèrent ce qui s'était passé. C'est de lui que nous l'avons su. Ceci est
arrivé dans le Paraguay. Imitez, mes petits enfants, ces petites filles, et
dites comme elle tous les jours votre chapelet, et vous mériterez par là
d'aller en paradis et de voir Jésus et Marie, sinon pendant la vie, du moins
après la mort pendant l'éternité. Ainsi soit-il. Que les savants donc et les
ignorants, que les justes et les pécheurs, que les grands et les petits louent
et saluent jour et nuit par le saint Rosaire Jésus et Marie. "Salutate Mariam,
quae multum laboravit in vobis" (Rm 16,6)
PREMIERE
DIZAINE
L'excellence du saint
Rosaire dans son origine et son nom.
1ère Rose 9. Le Rosaire renferme
deux choses, savoir: l'oraison mentale et l'oraison vocale. L'oraison mentale
du saint Rosaire n'est autre que la méditation des principaux mystères de la
vie, de la mort et de la gloire de Jésus-Christ et de sa très sainte Mère.
L'oraison vocale du Rosaire consiste à dire quinze dizaines d'Ave Maria
précédées par un Pater pendant qu'on médite et qu'on contemple les quinze
vertus principales que Jésus et Marie ont pratiquées dans les quinze mystères
du saint Rosaire. Dans le premier chapelet, qui est de cinq dizaines, on honore
et on considère les cinq mystères joyeux; au second les cinq mystères
douloureux, et au troisième les cinq mystères glorieux. Ainsi le saint Rosaire
est un sacré composé de l'oraison vocale et mentale pour honorer et imiter les
mystères et les vertus de la vie, de la mort et de la passion et de la gloire
de Jésus-Christ et de Marie.
2 Rose 10. Le saint Rosaire dans
son fond et dans sa substance étant composé de la prière de Jésus-Christ et de
la Salutation angélique, savoir le Pater et l'Ave, et de la méditation des
mystères de Jésus et de Marie, c'est sans doute la première prière et la
première dévotion des fidèles, qui depuis les apôtres et les disciples a été en
usage de siècle en siècle jusqu'à nous.
11. Cependant le saint Rosaire,
dans sa forme et la méthode dont on le récite à présent, n'a été inspiré à son
Eglise, donné de la très sainte Vierge à saint Dominique pour convertir les
hérétiques albigeois et les pécheurs, qu'en l'an 1214, de la manière que je
vais dire, comme le rapporte le bienheureux Alain de la Roche dans son fameux
livre intitulé: "De Dignitate psalterii". Saint Dominique, voyant que les
crimes des hommes mettaient obstacle à la conversion des Albigeois, entra dans
une forêt proche de Toulouse et y passa trois jours et trois nuits dans une
continuelle oraison et pénitence; il ne cessait de gémir, de pleurer et de se
macérer le corps à coups de discipline, afin d'apaiser la colère de Dieu, de
sorte qu'il tomba à demi mort. La Sainte Vierge lui apparut, accompagnée de
trois princesses du ciel et lui dit: "Sais-tu, mon cher Dominique, de quelle
arme la Sainte-Trinité s'est servie pour réformer le monde? - O Madame,
répondit-il, vous le savez mieux que moi, car après votre Fils Jésus-Christ
vous avez été le principal instrument de notre salut." Elle ajouta: "Sache que
la principale pièce de batterie a été le psautier angélique, qui est le
fondement du Nouveau Testament; c'est pourquoi, si tu veux gagner à Dieu ces
coeurs endurcis, prêche mon psautier." Le saint se leva tout consolé et,
brûlant du zèle du salut de ces peuples, il entra dans l'église cathédrale;
incontinent les cloches sonnèrent par l'entremise des anges pour assembler les
habitants, et au commencement de la prédication un orage effroyable s'éleva; la
terre trembla, le soleil s'obscurcit, les tonnerres et les éclairs redoublés
firent pâlir et trembler tous les auditeurs; et leur terreur augmenta quand ils
virent une image de la Sainte Vierge exposée sur un lieu éminent, lever les
bras par trois fois vers le ciel pour demander vengeance à Dieu contre eux,
s'ils ne se convertissaient et ne recouraient à la protection de la sacrée Mère
de Dieu. Le ciel voulait par ces prodiges augmenter la nouvelle dévotion du
saint Rosaire et la rendre plus fameuse. L'orage cessa enfin par les prières de
saint Dominique. Il poursuivit son discours et expliqua avec tant de ferveur et
de force l'excellence du saint Rosaire, que les Toulousains l'embrassèrent
presque tous et renoncèrent presque tous à leurs erreurs, et l'on vit, en peu
de temps, un grand changement de moeurs et de vie dans la ville.
3 Rose 12. Cet établissement
miraculeux du saint Rosaire, qui a quelque rapport avec la manière dont Dieu
donna sa loi au monde sur la montagne de Sinaï, montre évidemment l'excellence
de cette divine pratique; aussi saint Dominique, inspiré du Saint-Esprit,
instruit par la Sainte Vierge et par sa propre expérience, prêcha tout le reste
de sa vie le saint Rosaire par exemple et de vive voix dans les villes et les
campagnes, devant les grands et les petits, devant les savants et les
ignorants, devants les catholiques et les hérétiques. Le saint Rosaire, qu'il
récitait tous les jours, était sa préparation devant la prédication et son
rendez-vous après la prédication.
13. Lorsque le saint était, un
jour de Saint-Jean l'Evangéliste, à Notre-Dame de Paris, derrière le grand
autel, dans une chapelle, pour se préparer à prêcher, en récitant le saint
Rosaire, la Sainte Vierge lui apparut et lui dit: "Dominique, quoique ce que tu
as préparé pour prêcher soit bon, voici pourtant un sermon bien meilleur que je
t'apporte." Saint Dominique reçoit de ses mains le livre où était ce sermon, le
lit, le goûte et le comprend, en rend grâce à la Sainte Vierge. L'heure du
sermon arrivé, il monte en chaire et, après n'avoir dit à la louange de saint
Jean l'Evangéliste autre chose sinon qu'il avait mérité d'être le gardien de la
Reine du ciel, il dit à toute l'assemblée des grands et des docteurs qui
étaient venus l'entendre, qui étaient accoutumés à n'entendre que des discours
curieux et polis, mais que, pour lui, il ne parlerait point dans les paroles
savantes de la sagesse humaine, mais dans la simplicité et la force du Saint-
Esprit. Alors saint Dominique leur prêcha le saint Rosaire et leur expliqua mot
à mot, comme à des enfants, la Salutation angélique, en se servant des
comparaisons fort simples qu'il avait lues dans le papier que lui avait donné
la Sainte Vierge.
14. Voici les propres paroles du
savant Cartagène qu'il a tirées en partie du livre du bienheureux Alain de la
Roche intitulé "De Dignitate psalterii": B. Alanus Patrem sanctum Dominicum
sibi haec in revelatione dixisse testatur: "Tu praedicas, fili, sed uti caveas
ne potius laudem humanam quaerans quam animarum fructum, audi quid mihi
Parisiis contigit. Debebam in majori ecclesia beatae Mariae praedicare, et
volebam curiose non jactantiae causa, sed propter astantium facultatem et
dignitatem. Cum igitur more meo per horam fere ante sermonem in psalterio meo
(Rosarium intelligit) quadam capilla post altare majus orarem, subito factus in
raptum, cernebam amicam meam Dei Genitricem afferentem mihi libellum et
dicentem: "Dominice, et si bonum est quod praedicare disposuisti sermonem,
tamen longe meliorem attuli." Laetus librum capio, lego constanter, ut dixit,
reperio, gratias ago, adest hora sermonis, adest parisiensis Universitas tota,
dominorumque numerus magnus. Audiebant quippe et videbant signa magna quae per
me Dominus operabatur; itaque ambonem ascendo. Festum est sancti Joannis
Evangelistae. De eo aliud non dico nisi quod custos singularis esse meruit
Reginae coeli. Deinde auditores sic alloquor: Domini et Magistri
praestantissimi, aures reverentiae vestrae solitae sunt curiosos audire
sermones et auscultare. At nunc ego non in doctis humanae sapientiae verbis,
sed in ostentione spiritus et virtutis loquar." Tunc, ait Carthagena post
beatum Alanum, stans Dominicus eis explicavit Salutationem angelicam
comparationibus et similitudinibus familiaribus hoc modo.
15. Et le bienheureux Alain de la
Roche, comme dit le même Cartagène, rapporte plusieurs autres apparitions de
Notre- Seigneur et de la Sainte Vierge à saint Dominique pour le preser et
l'animer de plus en plus à prêcher le saint Rosaire, afin de détruire le péché
et de convertir les pécheurs et les hérétiques: il dit en un endroit: "Beatus
Alanus dicit sibi a beata Virgine revelatum fuisse Christum Filium suum
apparuisse post se sancto Dominico et ipsi dixesse: "Dominice, gaudeo quod non
confidas in tua sapientia, sed cum humilitate potius affectas salvare animas
quam vanis hominibus placere. Sed multi praedicatores statim volunt contra
gravissima peccata instare, ignorantes quod ante gravem medicinam debet fieri
praeparatio, ne medicina sit inanis et vacua: quapropter prius homines debent
induci ad orationis devotionem et signanter ad psalterium meum angelicum;
quoniam, si omnes coeperint hoc orare, non dubium est quin perseverantibus
aderit pietas divinae clementiae. Praedica ergo psalterium meum".
16. Il dit dans un autre endroit:
"Omnes sermocinantes et praedicantes christicolis exordium pro gratia
impetranda a Salutatione angelica faciunt. Hujus rei ratio sumpta est ex
revelatione facta beato Dominico cui beata Virgo dixit: "Dominice, fili, nil
mireris quod concionando minime proficias. Enimvero aras solum a pluvia non
irrigatum. Scitoque, cum Deus renovare decrevit mundum Salutationis angelicae
pluviam praemisit; sicque ipse in melius est reformatus. - Hortare igitur
homines in concionibus ad Rosarii mei recitationen, et magnos animarum fructus
colliges." Quod sanctus Dominicus strenue executus uberes ex suis concionibus
animarum fructus retulit."
17. J'ai pris plaisir à rapporter
mot à mot ces passages latins de ces bons auteurs en faveur des prédicateurs et
personnes savantes qui pourraient révoquer en doute la merveilleuse vertu du
saint Rosaire. Pendant qu'à l'exemple de saint Dominique les prédicateurs
prêchaient la dévotion du saint Rosaire, la piété et la ferveur florissaient
dans les ordres religieux qui pratiquaient cette dévotion, et dans le monde
chrétien; mais depuis qu'on eut négligé ce présent venu du ciel, on ne vit que
péchés et que désordres partout.
4 Rose 18. Comme toutes choses,
même les plus saintes, quand particulièrement elles dépendent de la volonté des
hommes, sont sujettes aux changements, il ne faut pas s'étonner si la confrérie
du saint Rosaire n'a subsisté en sa première ferveur qu'environ cent ans, après
son institution; ainsi, elle a été presque ensevelie dans l'oubli. Outre que la
malice et l'envie du démon a sans doute beaucoup contribué à faire négliger le
saint Rosaire pour arrêter le cours des grâces de Dieu que cette dévotion
attirait au monde. En effet, la justice divine affligea tous les royaumes de
l'Europe l'an 1349 de la plus terrible peste que l'on ait jamais vue, laquelle,
du levant, se répandit dans l'Italie, l'Allemagne, la France, la Pologne, la
Hongrie, et de là presque toutes ces terres furent dévastées, car de cent
hommes à peine en restait-il un en vie; les villes, les bourgs, les villages et
les monastères furent entièrement désertés pendant trois ans que dura cette
contagion. Et ce fléau de Dieu fut suivi de deux autres: de l'hérésie des
Flagellants et d'un malheureux schisme en 1376.
19. Après que, par la miséricorde
de Dieu, ces misères eurent cessé, la sainte Vierge ordonna au bienheureux
Alain de la Roche, célèbre docteur et fameux prédicateur de l'ordre de
Saint-Dominique du couvent de Dinan en Bretagne, de renouveler l'ancienne
confrérie du saint Rosaire, afin que, comme cette célèbre confrérie avait pris
naissance en cette province, un religieux de la même province eût l'honneur de
la rétablir. Ce bienheureux Père commença à travailler à ce grand ouvrage l'an
1460, après particulièrement que Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme il rapporte
de lui-même, lui ayant dit un jour dans la sainte Hostie, lorsqu'il célébrait
la sainte Messe afin de le déterminer à prêcher le saint Rosaire: "Quoi donc,
lui dit Jésus-Christ, tu me crucifie encore derechef! - Comment, Seigneur?
répondit le bienheureux Alain tout épouvanté.- Ce sont les péchés qui me
crucifient, lui répondit Jésus-Christ, et j'aimerais mieux être crucifié encore
une fois que de voir mon Père offensé par les péchés que tu as autrefois
commis. Et tu me crucifies encore à présent, parce que tu as la science et ce
qui est nécessaire pour prêcher le Rosaire de ma Mère et par ce moyen instruire
et retirer plusieurs âmes du péché; et tu les sauverais et tu empêcherais de
grands maux; et ne le faisant pas, tu es coupable des péchés qu'ils
commettenmt." Ces terribles reproches firent résoudre le bienheureux Alain de
prêcher incessamment le Rosaire.
20. La Sainte Vierge lui dit
aussi un jour, pour l'animer de plus en plus à prêcher le saint Rosaire: "Tu as
été un grand pécheur en ta jeunesse, mais j'ai obtenu de mon fils ta
conversion, j'ai prié pour toi et j'ai désiré, s'il eût été possible, toutes
sortes de peines pour te sauver parce que les pécheurs convertis sont ma
gloire, et pour te rendre digne de prêcher partout mon Rosaire." Saint
Dominique, lui découvrant les grands fruits qu'il avait faits parmi les peuples
par cette belle dévotion qu'il leur prêchait continuellement, lui disait:
"Vides quomodo profecerim in sermone isto; id etiam facies et tu, et omnes
Mariae amatores, ut sic trahatis omnes populos ad omnem scientiam virtutum."
"Voyez le fruit que j'ai fait par la prédication du saint Rosaire; faites-en de
même, vous et tous les autres qui aimez la sainte Vierge, afin que vous
attiriez, par ce saint exercice du Rosaire, tous les peuples à la véritable
science des vertus." Voilà en abrégé ce que l'histoire nous apprend de
l'établissement du saint Rosaire par saint Dominique et de sa rénovation par le
bienheureux Alain de la Roche.
5 Rose 21. Il n'y a à proprement
parler qu'une sorte de confrérie du Rosaire composé de 150 Ave Maria; mais par
rapport à la ferveur des différentes personnes qui le pratiquent, il y en a de
trois sortes, savoir: le Rosaire commun ou ordinaire, le Rosaire perpétuel et
le Rosaire quotidien. La confrérie du Rosaire ordinaire n'exige qu'on le récite
qu'une fois par semaine. Celle du Rosaire perpétuel qu'une fois par an, mais
celle du Rosaire quotidien demande qu'on le dise tous les jours tout entier,
c'est-à-dire 150 Ave Maria. Aucun de ces Rosaires n'engage à péché, pas même
véniel, si on vient à y manquer, parce que cet engagement est volontaire et de
surérogation; mais il ne faut pas s'enrôler dans la confrérie si on n'a pas la
volonté déterminée à le réciter selon que la confrérie le demande autant qu'on
le pourra sans manquer aux obligations de l'état. Ainsi lorsque la récitation
du saint Rosaire se trouve en concurrence avec une action à laquelle l'état
engage, on doit préférer cette action au Rosaire, quelque saint qu'il soit.
Lorsque dans la maladie on ne peut le dire ni tout entier ni en partie, sans
augmenter son mal, on n'y est pas obligé. Lorsque par une obéissance légitime,
ou par un oubli involontaire, ou par une nécessité pressante, on n'a pas pu le
dire il n'y a aucun péché, même véniel; on ne laisse pas de participer aux
grâces et aux mérites des autres frères et soeurs du saint Rosaire qui le
disent dans le monde. Chrétien, si vous manquez même de le dire par pure
négligence, sans aucun mépris formel, vous ne péchez pas aussi, absolument
parlant, mais vous perdez la participation des prières et des bonnes oeuvres et
mérites de la confrérie, et par votre infidélité en choses petites et de
surérogation, vous tomberez insensiblement dans l'infidélité aux choses grandes
et d'obligation essentielle; car: "Qui spernit modica paulatim
decidet".
6 Rose 22. Depuis le temps que
saint Dominique a établi cette dévotion jusqu'à l'an 1460, que le bienheureux
Alain de la Roche, par l'ordre du ciel, l'a renouvelée, on l'appelle le
psautier de Jésus et de la sainte Vierge, parce qu'elle contient autant de
Salutations angéliques que le psautier de David contient de psaumes, et que,
les simples et les ignorants ne pouvant pas réciter le psautier de David, on
trouve dans la récitation du saint Rosaire un fruit égal à celui qu'on tire de
la récitation des psaumes de David et même encore un plus abondant: 1 Parce que
le psautier angélique a un fruit plus noble, savoir: le Verbe incarné, au lieu
que le psautier de David ne fait que le prédire; 2 Comme la vérité surpasse la
figure et le corps l'ombre, de même le psautier de la sainte Vierge surpasse le
psautier de David qui n'en a été que l'ombre et la figure; 3 Parce que la
Sainte-Trinité a immédiatement fait le psautier de la sainte Vierge ou le
Rosaire composé du Pater et de l'Ave. Voici ce que le savant Cartagène rapporte
sur ce sujet: "Sapientissimus Aquensis, libro ejus de Rosacea Corona ad
Imperatorun Maximilianum conscripto, dicit: "Salutandae Mariae ritus novitiis
inventis haud quaquam adscribitur. Si quidem cum ipsa pene ecclesia pullulavit;
nam cum inter ipsa nascentis ecclesiae primordia, perfectiores quoque fideles
tribus illis Davidicorum psalmorum quinquagenis, divinas laudes assidue
celebrarent, ad rudiores quoque qui modo arctius divinis vacabant piis moris
aemulatio est derivata... rati id quod erat, cuncta illorum sacramenta
psalmorum in coelesti hoc elogio delitescere, si quidem eum quem psalmi
venturum concinunt, hunc jam adesse, haec formula nuntiavit; sicque trinas
salutationum quinquagenas "Mariae Psalterium" appellare coeperunt, oratione
utique dominica in singulas decades ubique preposita prout a psalmidicis
observari ante adverterunt."
23. Le psautier ou le Rosaire de
la sainte Vierge est divisé en trois chapelets de cinq dizaines chacun: 1 pour
honorer les trois personnes de la Sainte-Trinité; 2 pour honorer la vie, la
mort et la gloire de Jésus-Christ; 3 pour imiter l'Eglise triomphante, pour
aider la militante et soulager la souffrante; 4 pour imiter les trois parties
des psaumes dont la première est pour la voie purgative, la seconde pour la vie
illuminative et la troisième pour la vie unitive; 5 pour nous remplir de grâces
pendant la vie, de paix à la mort et de gloire dans l'éternité.
7 Rose 24. Depuis que le
bienheureu Alain de la Roche a renouvelé cette dévotion, la voix publique, qui
est la voix de Dieu, lui a donné le nom de Rosaire qui signifie couronne de
roses; c'est-à-dire que toutes les fois que l'on dit comme il faut son Rosaire,
on met sur la tête de Jésus et de Marie une couronne composée de
cent-cinquante-trois roses blanches et de 16 roses rouges du paradis,
lesquelles ne perdront jamais ni leur beauté ni leur éclat. La Sainte Vierge a
approuvé et condfirmé ce nom de rosaire, révélant à plusieurs qu'ils lui
présentaient autant d'agréables roses qu'ils réciteront d'Ave Maria en son
honneur et autant de couronnes de roses qu'ils diront de Rosaires.
25. Le frère Alphonse Rodriguez,
de la Compagnie de Jésus, récitait son Rosaire avec tant d'ardeur qu'il voyait
souvent, à chaque Pater, sortir de sa bouche une rose vermeille, et à chaque
Ave Marie une blanche égale en beauté et en bonne odeur et seulement différente
de couleur. Les chroniques de saint François racontent qu'un jeune religieux
avait cette louable coutume de dire tous les jours avant son repas la couronne
de la sainte Vierge. Un jour, par je ne sais quel accident, il y manqua; le
dîner étant sonné, il pria le supérieur de lui permettre de la réciter avant
que d'aller à table. Avec cette permission, il se retira dans sa chambre; mais
comme il tardait trop, le supérieur envoya un religieux pour l'appeler. Ce
religieux le trouva dans sa chambre, tout éclatant d'une céleste lumière, et la
sainte Vierge avec deux anges auprès de lui; à mesure qu'il disait un Ave
Maria, une belle rose sortait de sa bouche, les anges prenaient les roses l'une
après l'autre et les mettaient sur la tête de la sainte Vierge qui en
témoignait de l'agrément. Deux autres religieux envoyés pour voir la cause du
retardement des autres virent tout ce mystère, et la sainte Vierge ne disparut
point que la couronne ne fût récitée. Le Rosaire est donc une grande couronne
et le chapelet un petit chapeau de fleurs ou petite couronne de roses célestes
qu'on met sur la tête de Jésus et de Marie. La rose est la reine des fleurs, de
même le Rosaire est la rose et la première des dévotions.
8 Rose 26. Il n'est pas possible
d'exprimer combien la sainte Vierge estime le Rosaire sur toutes les dévotions
et combien elle est magnifique à récompenser ceux qui travaillent à le prêcher,
l'établir et le cultiver; et au contraire combien elle est terrible contre ceux
qui veulent s'y opposer. Saint Dominique n'a eu rien tant à coeur pendant sa
vie que de louer la sainte Vierge, de prêcher ses grandeurs et d'animer tout le
monde à l'honorer par son Rosaire. Cette puissante Reine du ciel n'a cessé
aussi de répandre sur ce saint des bénédictions à pleines mains; et elle a
couronné ses travaux de mille prodiges et miracles, il n'a jamais rien demandé
à Dieu qu'il ne l'ait obtenu par l'intercession de la sainte Vierge; et, pour
comble de faveur, elle l'a rendu victorieux de l'hérésie del Albigeois et fait
père et patriarche d'un grand ordre.
27. Que dirai-je du bienheureux
Alain de la Roche, réparateur de cette dévotion? La sainte Vierge l'a honoré
plusieurs fois de sa visite pour l'instruire des moyens de faire son salut, de
se rendre bon prêtre, parfait religieux et imitateur de Jésus-Christ. Pendant
les tentations et les persécutions horribles des démons qui le réduisaient à
une extrême tristesse et presque au désespoir, elle le consolait et dissipait
par sa douce présence tous ces nuages et ces ténèbres. Elle lui a enseigné la
méthode de dire le Rosaire, ses excellences et ses fruits; elle l'a favorisé de
la glorieuse qualité de son nouvel époux, et pour gage de ses chastes
affections, elle lui a mis une bague au doigt, un collier fait de ses cheveux
au col, et lui a donné un Rosaire. L'abbé Tritème, le docte Cartagène, le
savant Martin Navarre et les autres en parlent avec éloges. Après avoir attiré
à la confrérie du Rosaire plus de cent mille âmes, il mourut à Zwolle, en
Flandre, le 8 septembre 1475.
28. Le démon, jaloux des grands
fruits que le bienheureux Thomas de Saint-Jean, célèbre prédicateur du saint
Rosaire, faisait par cette pratique, le réduisait, par ses mauvais traitements,
à une longue et fâcheuse maladie dans laquelle il fut désespéré des médecins.
Une nuit qu'il croyait infailiblement mourir, le démon lui apparut sous une
figure épouvantable; mais élevant directement les yeux et le coeur vers une
image de la sainte Vierge qui était près de son lit, il cria de toutes ses
forces: "Aidez-moi, secourez-moi, ô ma très douce Mère!". A peine eut-il achevé
ces paroles, que la sainte Vierge lui tendit la main de la sainte image, lui
serra le bras en lui disant: "Ne crains point, mon fils Thomas, me voici à ton
secours; lève-toi et continue de prêcher la dévotion de mon Rosaire comme tu as
commencé. Je te défendrai contre tous tes ennemis." A ces paroles de la sainte
Vierge, le démon prit la fuite. Le malade se leva en parfaite santé, et il
rendit grâces à sa bonne Mère avec un torrent de larmes, et continua de prêcher
le Rosaire avec un succès merveilleux.
29. La sainte Vierge ne favorise
pas seulement les prédicateurs du Rosaire, elle récompense aussi glorieusement
ceux qui, par leur exemple, attirent les autres à cette dévotion. Alphonse, roi
de Léon et de Galice, désirant que tous ses domestiques honorassent la sainte
Vierge par le Rosaire, s'avisa, pour les y animer par son exemple, de porter un
gros Rosaire à son côté, mais sans le réciter pourtant: ce qui obligea tous les
gens de sa cour à le dire dévotement. Le roi tomba malade à l'extrémité et
lorsqu'on le croyait mort, il fut ravi en esprit au tribunal de Jésus-Christ.
Il vit les diables qui l'accusaient de tous les crimes qu'il avait commis et le
juge étant sur le point de le condamner aux peines éternelles, la sainte Vierge
se présenta en sa faveur devant son Fils; on apporta une balance, on mit tous
les péchés du roi dedans un bassin, et la sainte Vierge mit le gros Rosaire
qu'il avait porté en son honneur et avec ceux qu'il avait fait dire par son
exemple, qui pesa plus que tous ses péchés, et puis, le regardant d'un oeil
favorable, elle lui dit: "J'ai obtenu de mon Fils, pour récompense du petit
service que tu m'as rendu en portant le Rosaire, le prolongement de ta vie pour
quelques années. Emploie-les bien, et fais pénitence." Le roi, revenu de ce
ravissement, s'écria: "O bienheureux Rosaire de la sainte Vierge, par lequel
j'ai été délivré de la damnation éternelle." Après qu'il eut recouvré la santé,
il passa le reste de sa vie dans la dévotion du saint Rosaire et le récitait
tous les jours. Que les dévots de la sainte Vierge tâchent de gagner le plus
qu'ils pourront de fidèles à la confrérie du saint Rosaire, à l'exemple de ces
saints et de ce roi; ils auront ici-bas ses bonnes grâces et la vie éternelle.
Qui elucidant me vitam aeternam habebunt.
9 Rose 30. Mais, voyons
maintenant quelle injustice c'est d'empêcher le progrès de la confrérie du
saint Rosaire et quels sont les châtiments dont Dieu a puni plusieurs
malheureux qui ont méprisé et voulu détruire la confrérie du saint Rosaire.
Quoique la dévotion du saint Rosaire ait été autorisée du ciel par plusieurs
prodiges et qu'elle soit approuvée de l'Eglise par plusieurs bulles des papes,
il ne se trouve que trop de libertins, d'impies et d'esprits forts du temps,
qui tâchent ou de décrier la confrérie du saint Rosaire, ou d'en éloigner du
moins les fidèles. Il est aisé de connaître que leurs langues sont infectées du
venin de l'enfer et qu'ils sont poussés par l'esprit malin; car nul ne peut
désapprouver la dévotion du saint Rosaire, qu'il ne condamne ce qu'il y a de
plus pieux dans la religion chrétienne, savoir: l'Oraison dominicale, la
Salutation angélique, les mystères de la vie, de la mort et de la gloire de
Jésus-Christ et de sa sainte Mère. Ces esprits forts, qui ne peuvent souffrir
qu'on dise le Rosaire, souvent tombent, sans y penser, dans le sens réprouvé
des hérétiques qui ont en horreur le chapelet et le Rosaire. C'est s'éloigner
de Dieu et de la vraie piété que d'abhorrer les confréries, puisque
Jésus-Christ nous assure qu'il se trouve au milieu de ceux qui sont assemblés
en son nom. Ce n'est pas être bon catholique que de négliger tant et de si
grandes indulgences que l'Eglise accorde aux confréries. Enfin c'est être
ennemi du salut des âmes, de dissuader les fidèles d'être du saint Rosaire,
puisque, par ce moyen, ils quittent le parti du péché pour embrasser la piété.
Si saint Bonaventure a eu raison de dire que celui-là mourra en son péché et
sera damné qui aura négligé la sainte Vierge: "Qui negligerit illam morietur in
peccatis suis" (in psalterio suo), quels châtiments doivent attendre ceux qui
détournent les autres de sa dévotion!...
10 Rose 31. Lorsque saint
Dominique prêchait cette dévotion dans Carcassone, un hérétique tournait en
ridicule ses miracles et les 15 mystères du saint Rosaire, ce qui empêchait la
conversion des hérétiques. Dieu, pour punir cet impie, permit à quinze mille
démons d'entrer en son corps; ses parents l'amenèrent au bienheureux Père pour
le délivrer de ces malins esprits. Il se mit en oraison et exhorta toute la
compagnie de réciter avec lui le Rosaire tout haut, et voilà qu'à chaque Ave
Maria, la sainte Vierge faisait sortir cent démons du corps de cet hérétique en
forme de charbons ardents. Après qu'il fut délivré, il abjura ses erreurs, se
convertit et se fit enrôler en la confrérie du Rosaire avec plusieurs de son
parti qui furent touchés de ce châtiment et de la vertu du Rosaire.
32. Le docte Cartagène, de
l'ordre de Saint-François, avec plusieurs auteurs, rapporte que l'an 1482,
lorsque le vénérable Père Jacques Sprenger et ses religieux travaillaient avec
grand zèle à rétablir la dévotion et la confrérie du saint Rosaire dans la
ville de Cologne, deux fameux prédicateurs, jaloux des grands fruits qu'ils
faisaient par cette pratique, tâchaient de la décrier par leurs sermons, et
comme ils avaient du talent, et un grand crédit, ils dissuadaient beaucoup de
personnes de s'y enrôler; l'un de ces prédicateurs, pour mieux venir à bout de
son pernicieux dessein, prépara un sermon exprès et l'assigna à un jour de
dimanche. L'heure du sermon étant venue le prédicateur ne paraissait point; on
l'attendit, on le chercha, et enfin on le trouva mort sans avoir été secouru de
personne. L'autre prédicateur, se persuadant que cet accident était naturel,
résolut de suppléer à son défaut pour abolir la confrérie du Rosaire. Le jour
et l'heure du sermon étant arrivés, Dieu châtia ce prédicateur d'une paralysie
qui lui ôta le mouvement et la parole. Il reconnut sa faute et celle de son
compagnon, il eut recours à la sainte Vierge dans son coeur, lui promettant de
prêcher partout le Rosaire avec autant de force qu'il l'avait combattu. Il la
pria de lui rendre pour cela la santé et la parole, ce que la sainte Vierge lui
accorda, et se trouvant subitement guéri il se leva comme un autre Saul, de
persécuteur devenu défenseur du saint Rosaire. Il fit réparation publique de sa
faute, et prêcha avec beaucoup de zèle et d'éloquence l'excellence du saint
Rosaire.
33. Je ne doute point que les
esprits forts et critiques de ce temps, qui liront les histoires de ce petit
traité, ne les révoqueront en doute, comme ils ont toujours fait, quoique je
n'aie fait autre chose que les transcrire de très bons auteurs contemporains et
en partie dans un livre nouvellement composé par le Révérend Père Antonin
Thomas, de l'ordre des frères prêcheurs, intitulé: "Le Rosier mystique". Tout
le monde sait qu'il y a trois sorte de foi aux histoires différentes. Nous
devons aux histoires de l'Ecriture sainte une foi divinie; aux histoires
profanes qui ne répugnent point à la raison et écrites par de bons auteurs, une
foi humaine; et aux histoires pieuses rapportées par de bons auteurs et
nullement contraires à la raison, à la foi ni aux bonnes moeurs, quoiqu'elles
soient quelquefois extraordinaires, une foi pieuse; j'avoue qu'il ne faut être
ni trop crédule ni trop critique, et qu'il faut tenir le milieu en tout pour
trouver le point de la vérité et de la vertu; mais aussi je sais que, comme la
charité croit facilement tout ce qui n'est point contraire à la foi ni aux
bonnes moeurs: Charitas omnia credit, de même l'orgueil porte à nier presque
toutes les histoires bien avérées, sous prétexte qu'elles ne sont point dans
l'Ecriture sainte. C'est le piège de Satan, où les hérétiques qui nient la
tradition sont tombés, et où les critiques du temps tombent insensiblement, ne
croyant pas ce qu'ils ne comprennent pas, ou ce qui ne leur revient pas, sans
aucune autre raison que l'orgueil et la suffisance de leur propre
esprit.
DEUXIEME
DIZAINE
L'excellence du saint
Rosaire dans les prières dont il est composé.
11 Rose 34. Le Credo ou le
Symbole des Apôtres qu'on récite sur la croix du Rosarie ou du chapelet, étant
un sacré raccourci et abrégé des vérités chrétiennes, est une prière d'un grand
mérite, parce que la foi est la base, le fondement et le commencement de toutes
les vertus chrétiennes, de toutes les vertus éternelles et de toutes les
prières que Dieu a pour agréables. "Accedentem ad Deum credere oportet". Il
faut que celui qui s'approche de Dieu par la prière commence par croire, et
plus il aura de foi, et plus sa prière aura de force et de mérite en elle-même
et rendra de gloire à Dieu. Je ne m'arrêterai pas à expliquer les paroles du
Symbole des Apôtres; mais je ne puis m'empêcher de déclarer que ces trois
premières paroles: "Credo in Deum: Je crois en Dieu", renfermant les actes des
trois vertus théologales: la foi, l'espérance et la charité, ont une efficace
merveilleuse pour sanctifier l'âme et terrasser le démon. C'est avec ces
paroles que plusieurs saints ont vaincu les tentations, particulièrement celles
qui sont contre la foi, l'espérance ou la charité, soit pendant la vie, soit à
l'heure de la mort. Ce furent les dernières paroles que saint Pierre le martyr
écrivit le mieux qu'il put avec le doigt sur le sable, lorsque ayant la tête
fendue en deux par un coup de sabre qu'un hérétique lui donna, il était près
d'expirer.
35. Comme la foi est la seule
clef qui nous fait entrer dans tous les mystères de Jésus et de Marie renfermés
au saint Rosaire, il faut le commencer en récitant le Credo avec une grande
attention et dévotion, et plus notre foi sera vive et forte, et plus le Rosaire
sera méritoire. Il faut que cette foi soit vive et animée par la charité,
c'est-à-dire que pour bien réciter le saint Rosaire, il faut être en grâce de
Dieu ou dans la recherche de cette grâce; il faut que la foi soit forte et
constante, c'est-à-dire qu'il ne faut pas chercher dans la pratique du saint
Rosaire seulement son goût sensible et sa consolation spirituelle, c'est-à-dire
qu'il ne faut pas l'abandonner parce qu'on a une foule de distractions
involontaires dans l'esprit, un dégoût étrange dans l'âme, un ennui accablant
et un assoupissement presque continuel dans le corps; il n'est pas besoin de
goût ni de consolation, ni de soupirs, ni d'élans, ni de larmes, ni
d'application continuelle de l'imagination, pour bien réciter son Rosaire. La
foi pure et la bonne intention suffisent. "Sola fides sufficit".
12 Rose 36. Le Pater, ou
l'Oraison dominicale, tire sa première excellence de son auteur, qui n'est pas
un homme ou un ange, mais le Roi des anges et des hommes, Jésus-Christ. "Il
était nécessaire, dit saint Cyprien, que Celui qui venait nous donner la vie de
la grâce comme Sauveur, nous enseignât la manière de prier comme Maître
céleste". La sagesse de ce divin Maître paraît bien dans l'ordre, la douceur,
la force et la clarté de cette divine prière; elle est courte, mais elle est
riche en instruction, intelligible pour les simples et remplie de mystères pour
les savants. Le Pater renferme tous les devoirs que nous devons rendre à Dieu,
les actes de toutes les vertus et les demandes de tous nos besoins spirituels
et corporels. Elle contient, dit Tertullien, l'abrégé de l'Evangile. Elle
surpasse, dit Thomas à Kempis, tous les désirs des saints, elle contient en
abrégé toutes les douces sentences des psaumes et des cantiques; elle demande
tout ce qui nous est nécessaire; elle loue Dieu d'une excellente manière; elle
élève l'âme de la terre au ciel et l'unit étroitement avec Dieu.
37. Saint Chrysostome dit que
celui qui ne prie pas comme le divin Maître a prié et enseigné à prier, n'est
pas son disciple, et Dieu le Père n'écoute pas agréablement les prières que
l'esprit humain a formées, mais bien celles de son Fils, qu'il nous a
enseignées. Nous devons réciter l'Oraison dominicale avec certitude que le Père
éternel l'exaucera, puisqu'elle est la prière de son Fils, qu'il exauce
toujours, et que nous sommes ses membres; car que peut refuser un si bon Père à
une requête si bien conçue et appuyée sur les mérites et la recommandation d'un
si digne Fils? Saint Augustin assure que le Pater bien récité efface les péchés
véniels. Le juste tombe sept fois. L'Oraison dominicale contient sept demandes
par lesquelles il peut remédier à ses chutes et se fortifier contre ses
ennemis. Elle est courte et facile, afin que, comme nous sommes fragiles et
sujets à plusieurs misères, nous recevions un plus prompt secours en la
récitant plus souvent et plus dévotement.
38. Désabusez-vous donc, âmes
dévotes qui négligez l'Oraison que le propre Fils de Dieu a composée et qu'il a
ordonné à tous les fidèles; vous qui n'avez d'estime que pour les prières que
les hommes ont composées, comme si l'homme, même le plus éclairé, savait mieux
que Jésus-Christ comment nous devons prier. Vous cherchez dans les livres des
hommes la façon de louer et de prier Dieu, comme si vous aviez honte de vous
servir de celle que son Fils nous a prescrite. Vous vous persuadez que les
oraisons qui sont dans les livres sont pour les savants et pour les riches, et
que le Rosaire n'est que pour les femmes, pour les enfants et pour le peuple,
comme si les louanges et les prières que vous lisez étaient plus belles et plus
agréables à Dieu que celles qui sont contenues dans l'oraison dominicale. C'est
une dangeureuse tentation que de se dégoûter de l'Oraison que Jésus-Christ nous
a recommandée pour prendre les oraisons que les hommes ont composées. Ce n'est
pas que nous désapprouvions celles que les saints ont composées pour exciter
les fidèles à louer Dieu, mais nous ne pouvons souffrir qu'ils les préfèrent à
l'Oraison qui est sortie de la bouche de la Sagesse incarnée, et qu'ils
laissent la source pour courir après les ruisseaux, et qu'ils dédaignent l'eau
claire pour boire l'eau trouble. Car enfin le Rosaire, composé de l'Oraison
dominicale et de la Salutation angélique, est cette eau claire et perpétuelle
qui coule de la source de la grâce, tandis que les autres oraisons qu'ils
cherchent dans les livres ne sont que de bien petits ruisseaux qui en
dérivent.
39. Nous pouvons appeler heureux
celui qui, en récitant l'Oraison du Seigneur, en pèse attentivement chaque
parole; là il trouve tout ce dont il a besoin, tout ce qu'il peut désirer.
Quand nous récitons cette admirable prière, tout d'abord nous captivons le
coeur de Dieu en l'invoquant par le doux nom de Père. "Notre Père", le plus
tendre de tous les pères, tout- puissant dans la création, tout admirable dans
sa conservation, tout aimable dans sa Providence, tout bon et infiniment bon
dans la Rédemption. Dieu est notre Père, nous sommes tous frères, le ciel est
notre patrie et notre héritage. N'y a-t-il pas là de quoi nous inspirer à la
fois l'amour de Dieu, l'amour du prochain et le détachement de toutes les
choses de la terre? Aimons donc un tel Père et disons-lui mille et mille fois:
"Notre Père qui êtes aux cieux". Vous qui remplissez le ciel et la terre par
l'immensité de votre essence, qui êtes présent partout; vous qui êtes dans les
saints par votre gloire, dans les damnés par votre justice, dans les justes par
votre grâce, dans les pécheurs par votre patience qui les souffre, faites que
nous nous souvenions toujours de notre céleste origine, que nous vivions comme
vos véritables enfants; que nous tendions toujours vers vous seul par toute
l'ardeur de nos désirs. "Que votre nom soit sanctifié". Le nom du Seigneur est
saint et redoutable, dit le prophète-roi, et le ciel, suivant Isaïe, retentit
des louanges que les séraphins ne cessent de donner à la sainteté du Seigneur,
Dieu des armées. Nous demandons ici que toute la terre connaisse et adore les
attributs de ce Dieu si grand et si saint; qu'il soit connu, aimé et adoré des
païens, des Turcs, des Juifs, des Barbares et de tous les infidèles; que tous
les hommes le servent et le glorifient par une foi vive, une espérance ferme,
par une charité ardente, et par le renoncement à toutes les erreurs: en un mot,
que tous les hommes soient saints parce qu'il est saint lui-même. "Que votre
règne arrive". C'est-à-dire que vous régniez dans nos âmes par votre grâce,
durant la vie, afin que nous méritions, après notre mort, de régner avec vous
dans votre royaume, qui est la souveraine et éternelle félicité, que nous
croyons, que nous espérons et que nous attendons, cette félicité qui nous est
promise par la bonté du Père, qui nous est acquise par les mérites du Fils et
qui nous est révélée par les lumières du Saint-Esprit. "Que votre volonté soit
faite sur la terre comme au ciel". Sans doute, rien ne peut se dérober aux
dispositions de la Providence divine qui a tout prévu, tout arrangé avant
l'évènement; nul obstacle ne l'écarte de la fin qu'elle s'est proposée, et
quand nous demandons à Dieu que sa volonté soit faite, ce n'est pas que nous
craignions, dit Tertullien, que quelqu'un s'oppose efficacement à l'exécution
de ses desseins, mais que nous acquiescions humblement à tout ce qu'il lui a
plû d'ordonner à notre égard; que nous accomplissions toujours et en toutes
choses sa très sainte volonté, qui nous est connue par ses commandements, avec
autant de promptitude, d'amour et de constance, que les anges et les
bienheureux lui obéissent dans le ciel.
40. "Donnez-nous aujourd'hui
notre pain de chaque jour". Jésus-Christ nous enseigne à demander à Dieu tout
ce qui est nécessaire à la vie du corps et à la vie de l'âme. Par ces paroles
de l'Oraison dominicale, nous faisons l'humble aveu de notre misère et nous
rendons hommage à la Providence, en déclarant que nous croyons, que nous
voulons tenir de sa bonté tous les biens temporels. Sous le nom de pain nous
demandons ce qui est simplement nécessaire à la vie, le superflu n'est point
compris. Ce pain nous le demandons aujourd'hui, c'est-à- dire que nous bornons
au jour présent toutes nos sollicitudes, nous reposant sur la Providence pour
le lendemain. Nous demandons le pain de chaque jour, avouant ainsi nos besoins
toujours renaissants et montrant la continuelle dépendance où nous sommes de la
protection et du secours de Dieu. "Pardonnez-nous nos offenses comme nous
pardonnons à ceux qui nous ont offensés". Nos péchés, disent saint Augustin et
Tertullien, sont autant de dettes que nous contractons envers Dieu, et sa
justice en exige le paiement jusqu'à la dernière obole. Or nous avons tous ces
tristes dettes. Malgré le nombre de nos iniquités, approchons-nous donc de lui
avec confiance et disons-lui avec un vrai repentir: Notre Père qui êtes aux
cieux, pardonnez-nous les péchés de notre coeur et de notre bouche, les péchés
d'action et d'omission qui nous rendent infiniment coupables aux yeux de votre
justice, parce qu'en qualité d'enfants d'un père si clément et miséricordieux,
nous pardonnons par obéissance et par charité à ceux qui nous ont offensés. Et
"ne permettez pas" à cause de notre infidélité à vos grâces, "que nous
succombions aux tentations" du monde, du démon et de la chair. Mais
"délivrez-nous du mal", qui est le péché, du mal de la peine temporelle et de
la peine éternelle, que nous avons méritées. "Ainsi soit-il". Parole d'une
grande consolation, qui est, dit saint Jérôme, comme le sceau que Dieu met à la
fin de nos requêtes pour nous assurer qu'il nous a exaucés, comme si lui-même
nous répondait: Amen!!! Qu'il soit fait comme vous le demandez, vous l'avez
obtenu en vérité, car c'est ce que signifie ce mot: Amen.
13 Rose 41. Nous honorons les
perfections de Dieu en récitant chaque parole de l'Oraison dominicale. Nous
honorons sa fécondité par le nom de Père, qui engendre de toute éternité un
Fils qui est Dieu comme vous, éternel, consubstantiel, qui est une même
essence, une même puissance, une même bonté, une même sagesse avec vous, Père
et Fils, qui, vous aimant, produisez le Saint- Esprit, qui est Dieu comme vous,
trois personnes adorables, qui êtes un seul Dieu. Notre Père! C'est-à-dire,
Père des hommes par la création, par la conservation et par la rédemption, Père
miséricordieux des pécheurs, Père ami des justes, Père magnifique des
bienheureux. Qui êtes. Par ces paroles nous admirons l'infinité, la grandeur et
la plénitude de l'essence de Dieu, qui s'appelle véritablement Celui qui est,
c'est-à-dire, qui existe essentiellement, nécessairement et éternellement, qui
est l'Etre des êtres, la cause de tous les êtres; qui renferme éminemment en
lui-même les perfections de tous les êtres; qui est dans tous par son essence,
par sa présence et par sa puissance, sans y être renfermé. Nous honorons sa
sublimité, sa gloire et sa majesté par ces mots: Qui êtes aux cieux,
c'est-à-dire assis comme dans votre trône, exerçant votre justice sur tous les
hommes. Nous adorons sa sainteté en désirant que son nom soit sanctifié. Nous
reconnaissons sa souveraineté et la justice de ses lois, en souhaitant que son
règne arrive, et que les hommes lui obéissent sur la terre comme les anges lui
obéissent dans le ciel. Nous croyons à sa Providence, en le priant de nous
donner notre pain de chaque jour. Nous invoquons sa clémence, en lui demandant
la rémission de nos péchés. Nous recourons à sa puissance, en le priant de ne
pas nous laisser succomber à la tentation. Nous nous confions à sa bonté, en
espérant qu'il nous délivrera du mal. Le Fils de Dieu a toujours glorifié son
Père par ses oeuvres; il est venu au monde pour le faire glorifier des hommes;
il leur a enseigné la manière de l'honorer, par cette oraison qu'il a daigné
nous dicter lui-même. Nous devons donc la réciter souvent avec attention et
dans le même esprit qu'il l'a composée.
14 Rose 42. Lorsque nous récitons
attentivement cette divine Oraison, nous faisons autant d'actes des plus nobles
vertus chrétiennes que nous prononçons de paroles. En disant: Notre Père qui
êtes aux cieux, nous formons des actes de foi, d'adoration et d'humilité. En
désirant que son nom soit sanctifié et glorifié, nous faisons paraître un zèle
ardent pour sa gloire. En lui demandant la possession de son royaume, nous
faisons un acte d'espérance. En souhaitant que sa volonté soit accomplie sur la
terre comme dans le ciel, nous montrons un esprit de parfaite obéissance. En
lui demandant notre pain de chaque jour, nous pratiquons la pauvreté d'esprit
et le détachement des biens de la terre. En le priant de nous remettre nos
péchés, nous faisons un acte de repentir. Et en pardonnant à ceux qui nous ont
offensés, nous exerçons la miséricorde dans la plus haute perfection. En lui
demandant son secours dans les tentations, nous faisons des actes d'humilité,
de prudence et de force. En attendant qu'il nous délivre du mal, nous
pratiquons la patience. Enfin, en demandant toutes ces choses, non seulement
pour nous, mais encore pour notre prochain et pour tous les membres de
l'Eglise, nous faisons le devoir des vrais enfants de Dieu, nous l'imitons dans
sa charité qui embrasse tous les hommes et nous accomplissons le commandement
de l'amour du prochain.
Nous détestons tous les péchés et
nous observons tous les commandements de Dieu, lorsqu'en recitant cette Oraison
notre coeur s'accorde avec notre langue, et que nous n'avons point d'intentions
contraires au sens de ces divines paroles. Car lorsque nous faisons réflexion
que Dieu est au ciel, c'est-à- dire infiniment élevé au-dessus de nous par la
grandeur de sa majesté, nous entrons dans les sentiments du plus profond
respect en sa présence; tout saisis de crainte, nous fuyons l'orgueil et nous
nous abaissons jusqu'au néant. Lorsqu'en pronoçant le nom du Père, nous nous
souvenons que nous tenons notre existence de Dieu, par le moyen de nos parents,
et notre instruction même par le moyen de nos maîtres, qui nous tiennent ici la
place de Dieu, dont ils sont les images vivantes, nous nous sentons obligés de
les honorer ou, pour mieux dire, d'honorer Dieu en leurs personnes, et nous
nous gardons bien de les mépriser et de les affliger. Lorsque nous désirons que
le saint Nom de Dieu soit glorifié, nous sommes bien éloignés de le profaner.
Lorsque nous regardons le royaume de Dieu comme notre héritage, nous renonçons
à toute attache aux biens de ce monde; lorsque nous demandons sincèrement pour
notre prochain les mêmes biens que nous désirons pour nous-mêmes, nous
renonçons à la haine, à la dissension et à l'envie. En demandant à Dieu notre
pain de chaque jour, nous détestons la gourmandise et la volupté qui se
nourrissent de l'abondance. En priant Dieu véritablement de nous pardonner,
comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, nous réprimons notre colère
et notre vengeance, nous rendons le bien pour le mal et nous aimons nos
ennemis. En demandant à Dieu de ne pas nous laisser tomber dan le péché au
moment de la tentation, nous montrons que nous fuyons la paresse, que nous
cherchons les moyens de combattre les vices et de faire notre salut. En priant
Dieu de nous délivrer du mal, nous craignons sa justice, et nous sommes
heureux, car la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse, c'est par la
crainte de Dieu que tout homme évite le péché.
15 Rose 44. La Salutation
angélique est si sublime, si relevée, que le bienheureux Alain de la Roche a
cru qu'aucune créature ne peut la comprendre et qu'il n'y a que Jésus-Christ,
né de la Vierge Marie, qui puisse l'expliquer. Elle tire principalement son
excellence de la très sainte Vierge à qui elle fut adressée, de la fin de
l'Incarnation du Verbe pour laquelle elle fut apportée du ciel, et de
l'archange Gabriel qui la prononça le premier. La Salutation angélique résume
dans l'abrégé le plus concis toute la théologie chrétienne sur la sainte
Vierge. On y trouve une louange et une invocation. La louange renferme tout ce
qui fait la véritable grandeur de Marie; l'invocation renferme tout ce que nous
devons lui demander, et ce que nous pouvons attendre de sa bonté pour nous. La
très sainte Trinité en a révélé la première partie; sainte Elisabeth, éclairée
du Saint-Esprit, y a ajouté la seconde; et l'Eglise, dans le premier concile
d'Ephèse, tenu l'an 430, y a mis la conclusion, après avoir condamné l'erreur
de Nestorius et défini que la sainte Vierge est véritablement Mère de Dieu. Le
concile ordonna qu'on invoquerait la sainte Vierge sous cette glorieuse qualité
par ces paroles: Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l'heure de notre mort.
45. La sainte Vierge Marie a été
celle à qui cette divine Salutation a été présentée pour terminer l'affaire la
plus grande et la plus importante du monde, l'Incarnation du Verbe éternel, la
paix entre Dieu et les hommes et la rédemption du genre humain. L'ambassadeur
de cette heureuse nouvelle fut l'archange Gabriel, un des premiers princes de
la cour céleste. La Salutation angélique contient la foi et l'espérance des
patriarches, des prophètes et des apôtres. Elle est la constance et la force
des martyrs, la science des docteurs, la persévérance des confesseurs et la vie
des religieux. (Bienheureux Alain). Elle est le cantique nouveau de la loi de
grâce, la joie des anges et des hommes, la terreur et la confusion des démons.
Par la Salutation angélique, Dieu s'est fait homme, une Vierge est devenue Mère
de Dieu, les âmes des justes ont été délivrées des limbes, les ruines du ciel
ont été réparées et les trônes vides ont été remplis, le péché a été pardonné,
la grâce nous a été donnée, les malades ont été guéris, les morts ressuscités,
les exilés rappelés, la trés sainte Trinité a été apaisée, et les hommes ont
obtenu la vie éternelle. Enfin, la Salutation angélique est l'arc-en-ciel, le
signe de la clémence et de la grâce que Dieu a faites au monde (Bienheureux
Alain).
16 Rose 46. Quoiqu'il n'y ait
rien d'aussi grand que la majesté divine ni rien d'aussi abject que l'homme
considéré comme pécheur, cette suprême Majesté ne dédaigne pas néanmoins nos
hommages, elle est honorée quand nous chantons ses louanges. Et le salut de
l'ange est un des plus beaux cantiques que nous puissions adresser à la gloire
du Très-Haut. "Canticum novum cantabo tibi: Je vous chanterai un cantique
nouveau". Ce cantique nouveau que David a prédit qu'on chanterait à la venue du
Messie, c'est la Salutation de l'archange. Il y a un cantique ancien et un
cantique nouveau. L'ancien est celui que les Israélites ont chanté en
reconnaissance de la création, de la conservation, de la délivrance de leur
captivité, du passage de la mer Rouge, de la manne et de toutes les autres
faveurs du ciel. Le cantique nouveau est celui que les chrétiens chantent en
actions de grâces de l'Incarnation et de la Rédemption. Comme ces prodiges ont
été accomplis par le salut angélique, nous répétons ce même salut pour
remercier la très sainte Trinité de ses bienfaits inestimables. Nous louons
Dieu le Père de ce qu'il a tant aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils
unique pour sauveur. Nous bénissons le Fils de ce qu'il est descendu du ciel
sur la terre, de ce qu'il s'est fait homme et de ce qu'il nous a rachetés. Nous
glorifions le Saint-Esprit de ce qu'il a formé dans le sein de la sainte Vierge
ce corps très pur qui a été la victime de nos péchés. C'est dans cet esprit de
reconnaissance que nous devons réciter le salut angélique, produisant des actes
de foi, d'espérance, d'amour et d'actions de grâces pour ce bienfait de notre
salut.
47. Quoique ce cantique nouveau
s'adresse directement à la Mère de Dieu et qu'il contienne ses éloges, il est
néanmoins très glorieux à la Sainte-Trinité, parce que tout l'honneur que nous
rendons à la sainte Vierge retourne à Dieu comme à la cause de toutes ses
perfections et de tous ses vertus. Dieu le Père est glorifié de ce que nous
honorons la plus parfaite de ses créatures. Le Fils est glorifié de ce que nous
louons sa très pure Mère. Le Saint-Esprit est glorifié de ce que nous admirons
les grâces dont il a rempli son épouse. De même que la sainte Vierge, par son
beau cantique Magnificat, renvoya à Dieu les louanges et les bénédictions que
lui donna sainte Elisabeth sur son éminente dignité de Mère du Seigneur, de
même elle renvoie promptement à Dieu les éloges et les bénédictions que nous
lui donnons par le salut angélique.
48. Si la Salutation angélique
rend gloire à la Sainte- Trinité, elle est aussi la louange la plus parfaite
que nous puissions adresser à Marie. Sainte Melchtilde, désirant savoir par
quel moyen elle pourrait mieux témoigner la tendresse de sa dévotion à la Mère
de Dieu, fut ravie en esprit; et sur cette pensée, la sainte Vierge lui apparut
portant sur son sein la Salutation angélique écrite en lettres d'or et lui dit:
"Sachez, ma fille, que personne ne peut m'honorer par un salut plus agréable
que celui que m'a fait présenter la très adorable Trinité et par lequel elle
m'a élevée à la dignité de Mère de Dieu. Par le mot "Ave", qui est le nom
d'Eve, Eva, j'appris que Dieu, par sa toute-puissance, m'avait préservée de
tout péché et des misères auxquelles la première femme fut sujette. Le nom de
"Marie", qui signifie dame de lumières, marque que Dieu m'a remplie de sagesse
et de lumière, comme un astre brillant, pour éclairer le ciel et la terre. Ces
mots: "pleine de grâces", me représentent que le Saint-Esprit m'a comblée de
tant de grâces que je puis en faire part abondamment à ceux qui en demandent
par ma médiation. En disant: "Le Seigneur est avec vous", on me renouvelle la
joie ineffable que je ressentis lorsque le Verbe éternel s'incarna dans mon
sein. Quand on me dit: "vous êtes bénie entre toutes les femmes", je loue la
divine miséricorde qui m'a élevée à ce haut degré de bonheur. A ces paroles:
"Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni", tout le ciel se réjouit avec moi
de voir Jésus mon Fils adoré et glorifié pour avoir sauvé les
hommes".
17 Rose 49. Entre les choses
admirables que la sainte Vierge a révélées au bienheureux Alain de la Roche (et
nous savons que ce grand dévot à Marie a confirmé par serment ses révélations),
il y en a trois des plus remarquables: la première, que c'est un signe probable
et prochain de réprobation éternelle, que d'avoir de la négligence, de la
tiédeur et de l'aversion pour la Salutation angélique qui a réparé le monde -
la seconde, que ceux qui ont de la dévotion pour cette admirable salutation
portent un très grand signe de prédestination - la troisième, que ceux qui ont
reçu du ciel la faveur d'aimer la sainte Vierge et de la servir par affection,
doivent être extrêmement soigneux de continuer à l'aimer et à la servir jusqu'à
ce qu'elle les ait fait placer dans le ciel par son Fils au degré de gloire
convenable à leurs mérites (Alanus).
50. Tous les hérétiques, qui sont
tous des enfants du diable et qui portent les marques évidentes de la
réprobation, ont horreur de l'Ave Maria; ils apprennent encore le Pater, mais
non pas l'Ave Maria; ils aimeraient mieux porter sur eux un serpent qu'un
chapelet ou un rosaire. Entre les catholiques, ceux qui portent la marque de
réprobation ne se soucient guère du chapelet ni du Rosaire, négligent de le
dire ou ne le disent qu'avec tiédeur et à la hâte. Quand je n'ajouterais aucune
foi pieuse à ce qui a été révélé au bienheureux Alain de la Roche, mon
expérience me suffit pour être persuadé de cette terrible et douce vérité. Je
ne sais pas, et je ne vois pas même évidemment comment il se peut faire qu'une
dévotion si petite en apparence soit la marque infaillible du salut éternel, et
son défaut la marque de la réprobation. Cependant, rien n'est si véritable.
Nous voyons même que les gens de nouvelles doctrines de nos jours condamnées
par l'Eglise, avec toute leur piété apparente, négligent beaucoup la dévotion
au chapelet et au Rosaire et souvent l'ôtent de l'esprit et du coeur de ceux ou
celles qui les approchent, sous les plus beaux prétextes du monde; ils se
gardent de condamner ouvertement, comme font les calvinistes, le chapelet,
Rosaire, scapulaire; mais la manière dont ils s'y prennent est d'autant plus
pernicieuse qu'elle est plus fine. Nous en parlerons dans la suite.
51. Mon Ave Marie, mon Rosaire ou
mon chapelet, est ma prière, et ma très sûre pierre de touche, pour distinguer
ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu d'avec ceux qui sont dans
l'illusion du malin esprit. J'ai connu des âmes qui volaient, ce semble, comme
des aigles, jusqu'aux nues par leur sublime contemplation, et qui cependant
étaient malheureusement trompées par le démon, et je n'ai découvert leurs
illusions que par l'Ave Maria et le chapelet, qu'elles rejetaient comme
au-dessous d'elles. L'Ave Maria est une rosée céleste et divine qui, tombant
dans l'âme d'un prédestiné, lui communique une fécondité admirable pour
produire toutes sortes de vertus, et plus l'âme est arrosée par cette prière,
plus elle devient éclairée dans l'esprit, embrasée dans le coeur et fortifiée
contre tous ses ennemis. L'Ave Maria est un trait perçant et enflammé qui,
étant uni par un prédicateur à la parole de Dieu qu'il annonce, lui donne la
force de percer, de toucher et de convertir les coeurs les plus endurcis,
quoique d'ailleurs il n'ait pas beaucoup de talent naturel pour la prédication.
Ce fut ce trait secret que la sainte Vierge, comme j'ai déjà dit, enseigna à
saint Dominique et au bienheureux Alain, pour convertir les hérétiques et les
pécheurs. C'est de là qu'est venue la pratique des prédicateurs de dire un Ave
Maria en commençant leur prédication, comme assure saint Antonin.
18 Rose 52. Cette divine
Salutation attire sur nous la bénédiction de Jésus et de Marie, car c'est un
principe infaillible que Jésus et Marie récompensent magnifiquement ceux qui
les glorifient: ils rendent au centuple les bénédictions qu'on leur donne. Ego
diligentes me diligo, Pr 8,17, ut ditem diligentes me et thesauros eorum
repleam. C'est ce que Jésus et Marie criaient hautement: "Nous aimons ceux qui
nous aiement, nous les enrichissons et nous remplissons leurs trésors". - Qui
seminat in benedictionibus, de benedictionibus et metet: Ceux qui sèment des
bénédictions recueilleront des bénédictions" (2 Cor 9,6). Or n'est-ce pas
aimer, bénir et glorifier Jésus et Marie que de réciter comme il faut la
Salutation angélique? En chaque Ave Maria, on donnera deux bénédictions à Jésus
et à Marie. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et béni le fruit de votre
ventre, Jésus. Par chaque Ave Maria, vous rendez à Marie le même honneur que
Dieu lui rendit en la saluant avec l'archange Gabriel. Qui pourrait croire que
Jésus et Marie, qui font du bien souvent à ceux qui les maudissent, donnassent
leurs malédictions à ceux et celles qui les bénissent et les honorent par l'Ave
Maria? La Reine des cieux, disent saint Bernard et saint Bonaventure, n'est pas
moins reconnaissante et honnête que les personnes de qualité bien élevées en ce
monde: elle les surpasse même en cette vertu comme en toutes les autres
perfections; elle ne souffrira donc jamais que nous l'honorions avec respect,
qu'elle ne nous le rende au centuple. Marie, dit saint Bonaventure, nous salue
avec la grâce, si nous la saluons avec l'Ave Marie: "Ipsa salutabit nos cum
gratia si salutaverim eam cum Ave Maria". Qui pourrait comprendre les grâces et
les bénédictions qu'opèrent en nous le salut et les regards bénins de la sainte
Vierge? Dans le moment que sainte Elisabeth entendit le salut que lui donna la
Mère de Dieu, elle fut remplie du Saint-Esprit, et l'enfant qu'elle portait
dans son sein tressaillit de joie. Si nous nous rendons dignes du salut et de
la bénédiction réciproques de la sainte Vierge, sans doute nous serons remplis
de la grâce et un torrent de consolations spirituelles découlera dans nos
âmes.
19 Rose 53. Il est écrit: "Donnez
et on vous donnera". Prenons la comparaison du bienheureux Alain: "Si je vous
donnais chaque jour cent cinquante diamants, quand vous seriez mon ennemi, ne
me pardonneriez-vous pas? Ne me feriez-vous pas comme un ami, toutes les grâces
que vous pourriez? Voulez-vous vous enrichir des biens de la grâce et de la
gloire? Saluez la très sainte Vierge, honorez votre bonne Mère". "Sicut qui
thesaurizat, ita et qui honorificat matrem. Celui qui honore sa Mère, la sainte
Vierge, est semblable à un homme qui amasse des trésors" (Si 3,5).
Présentez-lui chaque jour au moins cinquante Ave Maria dont chacun contient
quinze pierres précieuses, qui lui sont plus agréables que toutes les richesses
de la terre. Que ne devez-vous pas attendre de sa libéralité? Elles est notre
Mère et notre amie. Elle est l'impératrice de l'univers qui nous aime plus que
toutes les mères et les reines ensemble n'ont aimé un homme mortel, car, dit
saint Augustin, la charité de la Vierge Marie excède tout l'amour naturel de
tous les hommes et de tous les anges.
54. Un jour, Notre-Seigneur
apparut à sainte Gertrude comptant des pièces d'or; elle eut la hardiesse de
lui demander ce qu'il comptait. "Je compte, lui répondit Jésus- Christ, tes Ave
Marie, c'est la monnaie dont on achète mon paradis". Le dévot et le docte
Suarez, de la Compagnie de Jésus, estimait tant le mérite de la Salutation
angélique, qu'il disait qu'il aurait volontiers donné toute sa science pour le
prix d'un Ave Maria bien dit.
55. "Que celui qui vous aime, ô
divine Marie, lui dit le bienheureux Alain de la Roche, écoute et goûte: Le
ciel est dans la joie, la terre est dans l'admiration, toutes les fois que je
dis: Ave Maria; j'ai le monde en horreur, j'ai l'amour de Dieu dans mon coeur,
lorsque je dis :Ave Maria; mes craintes s'évanouissent, mes passions se
mortifient, quand je dis: Ave Maria; je crois dans la dévotion, je trouve la
componction, quand je dis: Ave Maria; mon espérance s'affermit, ma consolation
s'augmente, lorsque je dis: Ave Maria; mon esprit se réjouit, mon chagrin se
dissipe, quand je dis: Ave Maria; car la douceur de cette bénigne salutation
est si grande qu'on n'a point de terme pour l'expliquer comme il faut, et après
qu'on en aura dit des merveilles, elle demeure encore si cachée et si profonde
qu'on ne la peut découvrir. Elle est courte en paroles, mais grande en
mystères; elles est plus douce que le miel et plus précieuse que l'or; il faut
très fréquemment l'avoir dans le coeur pour la méditer, et dans la bouche pour
la lire et la répéter dévotement". "Auscultet tui nominis, o Maria, coelum
gaudet, omnis terra stupet cum dico Ave Maria; Satan fugit, infernus
contremiscit, cum dico Ave Maria; mundus vilescit, cor in amore liquescit, cum
dico Ave Maria; terror evanescit, caro marcescit, cum dico Ave Maria; crescit
devotio, oritur compuctio, cum dico Ave Maria; spes proficit, augetur
consolatio, cum dico Ave Maria; recreatur animus, et in bono confortatur aeger
afectus, cum dico Ave Maria. Siquidem tanta suavitas hujus benignae
salutationes, ut humanis non possit explicare verbis, sed semper manet altior
et profundior quam omnis creatura indagare sufficiat. Haec oratio parva est
verbis, alta mysteriis, brevis sermone, alta virtute, super mel dulcis, super
aurum pretiosa; ore cordis est jugiter ruminanda labiisque puris frequentissime
legenda ac devote repetenda". Le même bienheureux Alain rapporte, au chapitre
69 de son psautier, qu'une religieuse très dévote au Rosaire apparaut après sa
mort à une de ses soeurs et lui dit: "Si je pouvais retourner dans mon corps
pour dire seulement un Ave Maria, quoique sans beaucoup de ferveur, pour avoir
le mérite de cette prière, je souffrirais volontiers tout de nouveau toutes les
douleurs que j'ai souffertes avant de mourir". Il faut remarquer qu'elle avait
souffert plusieurs années sur son lit des douleurs violentes.
56. Michel de Lisle, évêque de
Salubre, disciple et collègue du bienheureux Alain de la Roche dans le
rétablissement du saint Rosaire, dit que la Salutation angélique est le remède
à tous les maux qui nous affligent, pourvu que nous la récitions dévotement en
l'honneur de la sainte Vierge.
20 Rose BREVE
EXPLICATION DE L'AVE MARIA.
57. Etes-vous dans la misère
du péché? Invoquez la divine Marie, dites-lui: Ave, qui veut dire: je vous
salue dans un très profond respect, ô vous qui êtes sans péché et sans malheur.
Elle vous délivrera du mal de vos péchés. Etes-vous dans les ténèbres de
l'ignorance ou de l'erreur? Venez à Marie, dites-lui: Ave Maria, c'est-à-dire
Illuminée des rayons du soleil de justice; et elle vous fera part de ses
lumières. Etes-vous égaré du chemin du ciel? Invoquez Marie, qui veut dire:
Etoile de la mer et l'étoile polaire qui guide notre navigation en ce monde, et
elle vous conduira au port du salut éternel. Etes-vous dans l'affliction? Ayez
recours à Marie qui veut dire: mer amère qui a été remplie d'amertume en ce
monde et qui est présentement changée dans une mer de pures douceurs au ciel;
elle convertira vos tristesses en joie et vos afflictions en consolations.
Avez-vous perdu la grâce? Honorez l'abondance des grâces dont Dieu a rempli la
sainte Vierge, dites-lui: "Pleine de grâces" et de tous les dons du
Saint-Esprit, et elle vous fera part de ses grâces. Etes-vous seul, privé de la
protection de Dieu, adressez- vous à Marie, dites-lui: "Le Seigneur est avec
vous" plus noblement et intimement que dans les justes et les saints, car vous
êtes une même chose avec Lui; étant votre Fils, sa chair est votre chair, vous
êtes avec le Seigneur par une très parfaite ressemblance et par une mutuelle
charité; car vous êtes sa Mère. Dites-lui enfin: Toute la très sainte Trinité
est avec vous dont vous êtes le Temple précieux; et elle vous remettra sous la
protection et sauvegarde de Dieu. Etes-vous devenu l'objet de la malédiction de
Dieu? Dites: "Vous êtes benie par-dessus toutes les femmes" et de toutes les
nations, pour votre pureté et fécondité; vous avez changé la malédiction divine
en bénédiction; et elle vous bénira. Avez-vous faim du pain de la grâce et du
pain de vie? Approchez de celle qui a porté le pain vivant qui est descendu du
Ciel, dites-lui: "Le fruit de votre ventre soit béni", lequel vous avez conçu
sans nul déchet de votre virginité, que vous avez porté sans peine et enfanté
sans douleur. "Jésus" soit béni qui a racheté le monde captif, guéri le monde
malade, ressuscité l'homme mort, ramené l'homme banni, justifié l'homme
criminel, sauvé l'homme damné. Sans doute votre âme sera rassasiée du pain de
la grâce en cette vie et de la gloire éternelle en l'autre. Amen.
58. Concluez votre prière avec
l'Eglise et dites: "Sainte Marie ", sainte au corps et en l'âme, sainte par un
dévouement singulier et éternel au service de Dieu, sainte en qualité de Mère
de Dieu qui vous a douée d'une éminente sainteté, convenable à cette dignité
infinie. "Mère de Dieu", qui êtes aussi notre Mère, notre Avocate et
Médiatrice, la Trésorière et Dispensatrice des grâces de Dieu, procurez-nous
promptement le pardon de nos péchés et notre réconciliation avec la divine
Majesté. "Priez pour nous pécheurs", vous qui avez tant de compassion des
misérables, qui ne méprisez et ne rebutez point les pécheurs, sans lesquels
vous ne seriez pas la Mère du Sauveur. "Priez pour nous maintenant", pendant le
temps de cette vie courte, fragile et misérable, "maintenant", car nous n'avons
d'assuré que ce moment présent, maintenant que nous sommes attaqués et
environnés nuit et jour d'ennemis puissants et cruels. "Et à l'heure de notre
mort", si terrible et si périlleux, où nos forces sont épuisées, où nos esprits
et nos corps sont abattus par la douleur et la crainte; à l'heure de notre mort
que Satan redouble ses efforts afin de nous perdre pour jamais; à cette heure
que ce sera la décision de notre sort pour toute l'éternité bienheureuse ou
malheureuse. Venez au secours de vos pauvres enfants, ô Mère pitoyable, ô
l'avocate et le refuge des pécheurs, chassez loin de nous, à l'heure de la
mort, les démons nos accusateurs et vos ennemis, dont l'aspect effroyable nous
épouvante. Venez nous éclairer dans les ténèbres de la mort. Conduisez-nous,
accompagnez-nous au tribunal de notre juge, votre Fils; intercédez pour nous,
afin qu'il nous pardonne et nous reçoive au nombre de vos élus dans le séjour
de la gloire éternelle. "Amen". Ainsi soit-il.
59. Qui n'admirera l'excellence
du saint Rosaire, composé de ces deux divines parties: l'Oraison dominicale et
la Salutation angélique? Y a-t-il de prière plus agréable à Dieu et à la sainte
Vierge, plus facile, plus douce et plus salutaire aux hommes? Ayons-les
toujours au coeur et dans la bouche pour honorer la très sainte Trinité,
Jésus-Christ notre Sauveur et sa très sainte Mère. De plus, à la fin de chaque
dizaine, il est bon d'ajouter le Gloria Patri, etc., c'est-à- dire: Gloire au
Père, au Fils et au Saint-Esprit. Comme il était au commencement, comme il est
maintemant et il sera dans tous les siècles des siècles. Ainsi
soit-il.
TROISIEME
DIZAINE
Excellence du saint Rosaire
dans la méditation de la vie et de la Passion de Notre-Seigneur
Jésus-Christ.
21 Rose LES QUINZE MYSTERES DU
ROSAIRE
60. Un mystère est une chose sacrée et difficile à
comprendre. Les oeuvres de Jésus-Christ sont toutes sacrées et divines, parce
qu'il est Dieu et homme tout ensemble. Celles de la sainte Vierge sont très
saintes, parce qu'elle est la plus parfaite de toutes les pures créatures. On
appelle avec raison les oeuvres de Jésus-Christ et de sa sainte Mère des
mystères, parce qu'elles sont remplies de quantité de merveilles, de
perfections et d'instructions profondes et sublimes, que le Saint-Esprit
découvre aux humbles et aux âmes simples qui les honorent. On peut encore
appeler les oeuvres de Jésus et de Marie des fleurs admirables, dont l'odeur et
la beauté ne sont connues que de ceux qui les approchent, qui les flairent et
qui les ouvrent par une attentive et sérieuse méditation.
61. Saint Dominique a partagé la
vie de Jésus-Christ et de la sainte Vierge en quinze mystères, qui nous
représentent leurs vertus et leurs principales actions comme quinze tableaux
dont les traits doivent nous servir de règle et d'exemple pour la conduite de
notre vie. Ce sont quinze flambeaux pour guider nos pas dans ce monde; quinze
miroirs ardents pour connaître Jésus et Marie, pour nous connaître nous-mêmes
et pour allumer le feu de leur amour dans nos coeurs; quinze fournaises pour
nous consumer entièrement de leurs célestes flammes. La sainte Vierge a
enseigné à saint Dominique cette excellente méthode de prier et lui a ordonné
de la prêcher, afin de réveiller la piété des chrétiens et de faire revivre
l'amour de Jésus-Christ dans leurs coeurs. Elle l'enseigna aussi au bienheureux
Alain de la Roche. "C'est une prière très utile, lui dit-elle, c'est un service
qui m'est fort agréable, que de réciter cent cinquante Salutations angéliques.
Il me l'est encore davantage, et ceux-là feront encore beaucoup mieux qui
réciteront les salutations avec la méditation de la vie, de la passion et de la
gloire de Jésus-Christ, car cette méditation est l'âme de ces oraisons". En
effet, le Rosaire, sans la méditation des mystères sacrés de notre salut, ne
serait presque qu'un corps sans âme, une excellente matière sans sa forme qui
est la méditation, qui le distingue des autres dévotions.
62. La première partie du Rosaire
contient cinq mystères, dont le premier est l'Annonciation de l'archange
Gabriel à la sainte Vierge; le second, la Visitation de la sainte Vierge à
sainte Elisabeth; le troisième, la Nativité de Jésus-Christ; le quatriène, la
Présentation de l'Enfant Jésus au temple et la purification de la sainte
Vierge; le cinquième, le Recouvrement de Jésus dans le temple parmi les
docteurs. On appelle ces Mystères joyeux à cause de la joie qu'ils ont donné à
tout l'univers. La sainte Vierge et les anges furent comblés de joie au moment
heureux où le Fils de Dieu s'incarna. Sainte Elisabeth et saint Jean-Baptiste
furent remplis de joie par la visite de Jésus et de Marie. Le ciel et la terre
se sont réjouis à la naissance du Sauveur. Siméon fut consolé et comblé de
joie, quand il reçut Jésus dans ses bras. Les docteurs étaient ravis
d'admiration en entendant les réponses de Jésus; et qui exprimera la joie de
Marie et de Joseph en retrouvant Jésus après trois jours
d'absence?...
63. La seconde partie du Rosaire
se compose aussi de cinq mystères que l'on appelle Mystères douloureux, parce
qu'ils nous représentent Jésus-Christ accablé de tristesse, couvert de plaies,
chargé d'opprobres, de douleurs et de tourments. Le premier de ces mystères est
la prière de Jésus et son Agonie au jardin des Olives; le second, sa
Flagellation; le troisième, son Couronnement d'épines; le quatrième, le
Portement de Croix; le cinquième, son Crucifiement et sa mort sur le
Calvaire.
64. La troisième partie du
Rosaire contient cinq autres mystères qu'on appelle glorieux, parce que nous y
contemplons Jésus et Marie dans le triomphe et dans la gloire. Le premier est
la Résurrection de Jésus-Christ; le second, son Ascension au ciel; le
troisième, la Descente du Saint-Esprit sur les apôtres; le quatrième,
l'Assomption de la glorieuse Vierge; le cinquième, son Couronnement. Voilà les
quinze fleurs odoriférantes du Rosier mystique sur lesquelles les âmes pieuses
s'arrêtent comme de sages abeilles, pour en cueillir le suc admirable et en
composer le miel d'une dévotion solide.
22 Rose LA MEDITATION DES
MYSTERES NOUS CONFORME A JESUS.
65. Le soin principal de l'âme
chrétienne est de tendre à la perfection. Soyez les fidèles imitateurs de Dieu,
comme ses enfants bien-aimés, nous dit le grand Apôtre. Cette obligation est
comprise dans le décret éternel de notre prédestination, comme l'unique moyen
ordonné pour parvenir à la gloire éternelle. Saint Grégoire de Nysse dit
gracieusement que nous sommes des peintres. Notre âme est la toile d'attente
sur laquelle nous devons appliquer le pinceau, les vertus sont les couleurs qui
doivent relever son éclat, et l'original que nous devons copier, c'est
Jésus-Christ, l'image vivante qui représente parfaitement le Père éternel.
Comme donc un peintre pour tirer un portrait au naturel se met devant les yeux
l'original, et qu'à chaque coup de pinceau qu'il donne il regarde, de même le
chrétien doit toujours avoir devant les yeux la vie et les vertus de
Jésus-Christ, pour ne rien dire, ne rien penser, ne rien faire qui n'y soit
conforme.
66. C'est pour nous aider dans
l'important ouvrage de notre prédestination, que la sainte Vierge a ordonné à
saint Dominique d'exposer aux fidèles qui récitent le Rosaire les mystères
sacrés de la vie de Jésus-Christ, non seulement afin qu'ils l'adorent et le
glorifient, mais principalement afin qu'ils règlent leur vie et leurs actions
sur ses vertus. Or, comme les enfants imitent leurs parents en les voyant et en
conversant avec eux; qu'ils apprennent leur langage en les entendant parler;
qu'un apprenti, en voyant travailler son maître, apprend son art; de même les
fidèles confrères du Rosaire, en considérant sérieusement et dévotement les
vertus de Jésus-Christ, dans les quinze mystères de sa vie, deviennent
semblables à ce divin Maître, avec le secours de sa grâce et par l'intercession
de la sainte Vierge.
67. Si Moïse ordonna au peuple
hébreu, de la part de Dieu même, de ne jamais oublier les bienfaits dont il
avait été comblé, à plus forte raison le Fils de Dieu peut-il nous commander de
graver dans notre coeur et d'avoir sans cesse devant les yeux les mystères de
sa vie, de sa passion et de sa gloire, puisque ce sont autant de bienfaits dont
Il nous a favorisés et par lesquels Il nous a montré l'excès de son amour pour
notre salut. "O vous tous qui passez, dit-il, arrêtez-vous et considérez s'il y
eut jamais douleurs semblables aux douleurs que j'endure pour votre amour.
Souvenez-vous de ma pauvreté et de mes abaissements, pensez à l'absinthe et au
fiel que j'ai pris pour vous dans ma passion". Ces paroles et beaucoup d'autres
qu'on pourrait alléguer nous convainquent assez de l'obligation que nous avons
de ne pas nous contenter de réciter le Rosaire vocalement en l'honneur de
Jésus-Christ et de la sainte Vierge, mais de le réciter avec la méditation des
mystères sacrés.
23 Rose LE ROSAIRE MEMORIAL DE
LA VIE ET DE LA MORT DE JESUS.
68. Jésus-Christ, le divin Epoux de
nos âmes, notre très doux ami, Jésus désire que nous nous souvenions de ses
bienfaits et que nous les estimions sur toutes choses; il a une joie
accidentelle, aussi bien que la sainte Vierge avec tous les saints du paradis,
lorsque nous méditons dévotement et avec affection sur les mystères sacrés du
Rosaire, qui sont les effets les plus signalés de son amour pour nous et les
plus riches présents qu'il puisse nous faire, puisque c'est par de tels
présents que la sainte Vierge même et tous les saints jouissent de la gloire.
La bienheureuse Angèle de Foligno pria un jour Notre- Seigneur de lui enseigner
à quel exercice elle l'honorerait le plus. Il lui apparut attaché à la croix et
lui dit: "Ma fille, regarde mes plaies". Elle apprit de ce très aimable Sauveur
que rien ne lui est plus agréable que la méditation de ses souffrances. Ensuite
il lui découvrit les blessures de sa tête et plusieurs circonstances de ses
tourments et lui dit: "J'ai souffert tout cela pour ton salut, que peux-tu
faire qui égale mon amour pour toi?"
69. Le saint sacrifice de la
messe honore infiniment la très sainte Trinité, parce qu'il représente la
passion de Jésus- Christ et que nous y offrons les mérites de son obéissance,
de ses souffrances et de son sang. Toute la cour céleste en reçoit aussi une
gloire accidentelle, et plusieurs docteurs, avec saint Thomas, nous disent pour
la même raison, qu'elle se réjouit de la communion des fidèles, parce que le
Saint- Sacrement est un mémorial de la passion et de la mort de Jésus-Christ, et
que, par ce moyen, les hommes participent à ses fruits et avancent l'affaire de
leur salut. Or, le saint Rosaire, récité avec la méditation des mystères
sacrés, est un sacrifice de louanges à Dieu pour le bienfait de notre
Rédemption et un dévot souvenir des souffrances, de la mort et de la gloire de
Jésus-Christ. Il est donc vrai que le Rosaire cause une gloire, une joie
accidentelle à Jésus-Christ, à la sainte Vierge et à tous les bienheureux, car
ils ne désirent rien de plus grand, pour notre bonheur éternel, que de nous
voir occupés à un exercice aussi glorieux à notre Sauveur et aussi salutaire
pour nous.
70. L'Evangile nous assure qu'un
pécheur qui se convertit et fait pénitence cause de la joie à tous les anges.
Si c'est assez pour réjouir les anges qu'un pécheur quitte ses péchés et en
fasse pénitence, quelle joie, quelle jubilation sera-ce pour toute la cour
céleste, quelle gloire pour Jésus-Christ même, de nous voir sur la terre,
méditer dévotement et avec amour sur ses abaissements, sur ses tourments, sur
sa mort cruelle et ignominieuse? Y a-t-il rien de plus efficace, pour nous
toucher et nous porter à une sincère pénitence? Le chrétien qui ne médite pas
sur les mystères du Rosaire montre une grande ingratitude pour Jésus-Christ et
le peu d'estime qu'il fait de tout ce que le divin Sauveur a souffert pour le
salut du monde. Sa conduite semble dire qu'il ignore la vie de Jésus-Christ,
qu'il se met fort peu en peine d'apprendre ce qu'il a fait, ce qu'il a souffert
pour nous sauver. Ce chrétien doit fort craindre que, n'ayant pas connu
Jésus-Christ, ou que l'ayant mis en oubli, Il ne le rejette au jour du jugement
avec ce reproche: "Je vous dis en vérité que je ne vous connais point".
Méditons donc sur la vie et les souffrances du Sauveur par le saint Rosaire,
apprenons à le bien connaître et à reconnaître ses bienfaits, afin qu'il nous
reconnaisse pour ses enfants et pour ses amis au jour du jugement.
24 Rose LA MEDITATION DES
MYSTERES DU ROSAIRE EST UN GRAND MOYEN DE PERFECTION.
71. Les saints
faisaient leur principale étude de la vie de Jésus-Christ, ils ont médité sur
ses vertus et sur ses souffrances, et, par ce moyen, ils sont arrivés à la
perfection chrétienne. Saint Bernanrd a commencé par cet exercice, qu'il a
toujours continué. "Dès le commencement de ma conversion, dit-il, je fis un
bouquet de myrrhe composé des douleurs de mon Sauveur; je mis ce bouquet sur
mon coeur, pensant aux fouets, aux épines et aux clous de la passion.
J'appliquai tout mon esprit à méditer tous les jours sur ces mystères". C'était
aussi l'exercice des saints martyrs: nous admirons comment ils ont triomphé des
plus cruels tourments. D'où pouvait venir cette admirable constance des
martyrs, dit saint Bernard, sinon des plaies de Jésus-Christ, sur lesquelles
ils faisaient leur plus fréquente méditation? Où était l'âme de ces généreux
athlètes, lorsque leur sang coulait et que leur corps était broyé par les
supplices? Leur âme était dans les plaies de Jésus-Christ et ces plaies les
rendaient invincibles.
72. La très sainte Mère du
Sauveur ne s'est occupée toute sa vie qu'à méditer sur les vertus et les
souffrances de son Fils. Lorsqu'elle entendit les anges chanter à sa naissance
leur cantique d'allégresse, lorsqu'elle vit les pasteurs l'adorer dans
l'étable, son esprit fut rempli d'admiration et elle méditait toutes ces
merveilles. Elle comparait les grandeurs du Verbe incarné à ses profonds
abaissements; la paille et la crèche, à son trône et au sein de son Père; la
puissance d'un Dieu, à la faiblesse d'un enfant; sa sagesse, à sa simplicité.
La sainte Vierge dit un jour à sainte Brigitte: "Lorsque je contemplais la
beauté, la modestie, la sagesse de mon Fils, mon âme était transportée de joie,
et lorsque je considérais ses mains et ses pieds qu'on percerait avec des
clous, je versais un torrent de larmes, le coeur me fendait de tristesse et de
douleur".
73. Après l'Ascension de
Jésus-Christ, la sainte Vierge passa le reste de sa vie à visiter les lieux que
ce divin Sauveur avait sanctifiés par sa présence et par ses tourments. Là,
elle méditait sur l'excès de sa charité et sur les rigueurs de sa passion.
C'était encore l'exercicie continuel de Marie- Madeleine pendant les trente
années qu'elle vécut dans la Sainte-Baume. Enfin saint Jerôme dit que c'était
la dévotion des premiers fidèles. De tous les pays du monde ils venaient en
Terre Sainte pour graver plus profondément dans leurs coeurs l'amour et le
souvenir du Sauveur des hommes, par la vue des objets et des lieux qu'il avait
consacrés par sa naissance, par ses travaux, par ses souffrances et par sa
mort.
74. Tous les chrétiens n'ont
qu'une foi, n'adorent qu'un Dieu, n'espèrent qu'une même félicité dans le ciel;
ils ne connaissent qu'un médiateur qui est Jésus-Christ; tous doivent imiter ce
divin modèle, et pour cela considérer les mystères de sa vie, de ses vertus et
de sa gloire. C'est une erreur de s'imaginer que la méditation des vérités de
la foi et des mystères de la vie de Jésus-Christ ne regarde que les prêtres,
les religieux et ceux qui se sont retirés des embarras du monde. Si les
religieux et les ecclésiastiques sont obligés de méditer sur les grandes
vérités de notre sainte religion pour répondre dignement à leur vocation, les
gens du monde y sont au moins autant obligés, à cause des dangers où ils sont
tous les jours de se perdre. Ils doivent donc s'armer du fréquent souvenir de
la vie, des vertus et des souffrances du Sauveur, que nous représentent les
quinze mystères du saint Rosaire.
25 Rose RICHESSE DE
SANCTIFICATION RENFERMEES DANS LES PRIERES
ET LES MEDITATIONS DU
ROSAIRE.
75. Jamais personne ne pourra comprendre les richesses
admirables de sanctification qui sont renfermées dans les prières et dans les
mystères du saint Rosaire. Cette méditation des mystères de la vie et de la
mort de Notre- Seigneur Jésus-Christ est, pour tous ceux qui en font usage, la
source des fruits les plus merveilleux. Aujourd'hui, on veut des choses qui
frappent, qui émeuvent, qui produisent dans l'âme des impressions profondes.
Qu'y a-t-il au monde de plus émouvant que cette histoire merveilleuse de notre
Rédempteur se déroulant à nos yeux en quinze tableaux nous rappelant les
grandes scènes de la vie, de la mort et de la gloire du Sauveur du monde?
Quelles prières sont plus excellentes et plus sublimes que l'Oraison dominicale
et l'Ave de l'ange? Là sont renfermés tous nos désirs, tous nos
besoins.
76. La méditation des mystères et
des prières du Rosaire est la plus facile de toutes les oraisons, parce que la
diversité des vertus, des états de Jésus-Christ que l'on étudie, récrée et
fortifie merveilleusement l'esprit et empêche les distractions. Les savants
trouvent dans ces formules la doctrine la plus profonde, et les petits, les
instructions les plus familières. Il faut passer par cette méditation facile,
avant de s'élever au degré le plus sublime de la contemplation. Telle est la
pensée de saint Thomas d'Aquin, et le conseil qu'il nous donne, quand il dit
qu'il faut s'exercer d'abord comme dans un champ de combat par l'acquisistion
de toutes les vertus dont nous avons le parfait modèle dans les mystères du
Rosaire; car c'est là, dit le savant Cajetan, que nous acquerrons l'union
intime avec Dieu, sans laquelle la contemplation n'est qu'une illusion capable
de séduire les âmes.
77. Si les faux illuminés de nos
jours ou les quiétistes avaient suivi ce conseil, ils n'auraient pas fait de si
terribles chutes, ni causé tant de scandales dans la dévotion. C'est une
étrange illusion du démon de croire qu'on puisse faire des oraisons plus
sublimes que celles du Pater et de l'Ave, en abandonnant ces divines oraisons
qui sont le soutien, la force et la garde de l'âme. J'avoue qu'il n'est pas
toujours nécessaire de les réciter vocalement et que la prière intérieure, en
un sens, est plus parfaite que la vocale; mais je vous assure qu'il est très
dangereux, pour ne pas dire pernicieux, de quitter de son propre mouvement la
récitation du chapelet ou du Rosaire sous prétexte d'une plus parfaite union à
Dieu. L'âme finement orgueilleuse, trompée par le démon du midi, fait tout ce
qu'elle peut intérieurement pour s'élever au degré sublime des oraisons des
saints, méprise et quitte pour cela ses anciennes manières de prier, bonnes
pour les âmes du commun. Elle ferme d'elle-même l'oreille aux prières et au
salut d'un ange et même à l'oraison qu'un Dieu a faite, pratiquée et commandée:
"Sic orabitis: Pater noster" et Vous prierez ainsi, et, par là, elle tombe
d'illusion en illusion, et de précipice en précipice.
78. Croyez-moi, mon cher confrère
du Rosaire, voulez-vous arriver à un haut degré d'oraison sans pourtant
l'affecter et sans tomber dans les illusions du démon si ordinaires aux
personnes d'oraison, dites tous les jours, si vous pouvez, votre Rosaire entier
ou du moins le chapelet. Y êtes-vous déjà arrivé par la grâce de Dieu, si vous
voulez vous y conserver et y croître dans l'humilité, conservez la pratique du
saint Rosaire, car jamais une âme qui dit son Rosaire tous les jours ne sera
formellement hérétique ni trompée par le démon; c'est une proposition que je
signerais de mon sang. Si cependant Dieu, par sa très grande miséricorde, vous
attire au milieu de votre chapelet aussi puissammment que quelques saints,
laissez-vous aller à son attrait, laissez Dieu opérer et prier en vous et y
réciter le Rosaire à sa manière, et que celui-là vous suffise dans la journée.
Mais si vous n'êtes que dans la contemplation active ou oraison ordinaire, de
quiétude, de présence de Dieu et d'affection, vous avez encore moins de raison
de quitter le Rosaire, et bien loin de reculer dans l'oraison et la vertu en le
récitant, qu'au contraire, il vous sera un aide merveilleux et la véritable
échelle de Jacob, où il y avait 15 échelons, par lesquels vous irez de vertu en
vertu, de lumières en lumières, et arriverez facilement sans tromperie jusqu'à
la plénitude de l'âge de Jésus-Christ.
26 Rose 79. Gardez-vous bien
d'imiter l'opiniâtreté de cette dévote de Rome dont les merveilles du Rosaire
parlent tant. C'était une personne si dévote et si fervente qu'elle faisait
confusion par sa sainte vie aux religieux les plus austères de l'Eglise de
Dieu. Voulant consulter saint Dominique et s'étant confessée à lui, il lui
imposa pour pénitence de dire un seul Rosaire et par conseil de le dire tous
les jours. Elle s'excusa sur ce sujet et dit qu'elle a ses exercices réglés,
qu'elle gagne tous les jours les stations de Rome, qu'elle porte la haire, le
cilice, qu'elle prend la discipline plusieurs fois par semaine, qu'elle fait
tant de jeûnes et autres pénitences. Saint Dominique la presse et represse à
suivre son conseil, elle n'en veut rien faire; elle sort comme scandalisée du
confessionnal de voir le procédé de ce nouveau directeur pour elle, qui lui
voulait persuader une dévotion qu'elle ne pouvait goûter. Voilà qu'étant en
oraison et ravie en extase, elle voit son âme obligée de paraître devant le
Souverain Juge. Saint Michel met toutes ses pénitences et autres prières dans
un bassin de la balance et de l'autre tous ses péchés et imperfections. Saint
Michel hausse la balance, le bassin de ses bonnes oeuvres s'en va en l'air et
ne peut contrepeser le bassin de ses péchés et imperfections. Tout alarmée,
elle crie miséricorde, elle s'adresse à la sainte Vierge, son avocate, laquelle
laissa tomber dans le bassin de ses bonnes oeuvres le seul Rosaire qu'elle
avait dit pour pénitence, lequel fut si pesant qu'il contrepesa tous ses péchés
aussi bien que toutes ses bonnes oeuvres. Elle fut reprise en même temps de la
sainte Vierge de ce qu'elle avait refusé de suivre le conseil de son serviteur
Dominique, de dire le saint Rosaire tous les jours. Etant revenue à elle-même,
elle alla se jeter aux pieds de saint Dominique, lui raconta ce qui lui était
arrivé, lui demanda pardon de son incrédulité, promit de dire le Rosaire tous
les jours et arriva par ce moyen à la perfection chrétienne, et à la gloire
éternelle. Apprenez de là, personnes d'oraison, la force, le prix et
l'importance de cette dévotion du saint Rosaire avec la méditation des
mystères.
80. Quoi de plus élevé en oraison
que sainte Madeleine, qui était portée sept fois le jour par les anges
au-dessus du Saint Pillon, laquelle avait été à l'école de Jésus-Christ et de
sa sainte Mère, et, cependant, lorsqu'elle demandait un jour à Dieu un bon
moyen pour s'avancer en son amour et arriver à la plus haute perfection,
l'archange saint Michel vient de la part de Dieu lui dire qu'il n'en savait
point d'autre que de considérer au milieu d'une croix, qu'il lui planta au
devant de sa caverne, les mystères douloureux qu'elle avait vu opérer de ses
propres yeux. Que l'exemple de saint François de Sales, ce grand directeur des
âmes spirituelles de son siècle, vous oblige à vous rendre d'une si sainte
confrérie, puis que, tout saint qu'il était, il s'obligea par voeu de le dire
tout entier tous les jours autant de temps qu'il vivrait. Saint Charles
Borromée le récitait aussi tous les jours et recommandait fort cette dévotion à
ses prêtres et ecclésiastiques dans les séminaires et à tout son peuple. Le
bienheureux Pie V, l'un des grands papes qui ait gouverné l'Eglise, récitait
tous les jours le Rosaire. Saint Thomas de Villeneuve, archevêque de Valence,
saint Ignace, saint François Xavier, saint François de Borgia, sainte Thérèse,
saint Philippe de Néri, pllusieurs autres grands hommes que je passe sous
silence, ont excellé en cette dévotion. Suivez leurs exemples, vos directeurs
en seraient bien aise, et s'ils sont informés des fruits que vous en pouvez
retirer, ils vous y exciteront les premiers.
27 Rose 81. Pour vous animer
encore davantage à cette dévotion des grandes âmes, j'ajoute que le Rosaire
récité avec la méditation des mystères: 1 nous élève insensiblement à la
connaissance parfaite de Jésus-Christ; 2 purifie nos âmes du péché; 3 nous rend
victorieux de tous nos ennemis; 4 nous rend la pratique des vertus facile; 5
nous embrase de l'amour de Jésus-Christ; 6 nous enrichit de grâces et de
mérites; 7 nous fournit de quoi payer toutes nos dettes à Dieu et aux hommes,
et enfin, nous fait obtenir de Dieu toutes sortes de grâces.
82. La connaissance de
Jésus-Christ est la science des chrétiens et la science du salut; elle
surpasse, dit saint Paul, toutes les sciences humaines en prix et en
excellence: 1 pour la dignité de son objet, qui est un Dieu homme, en présence
duquel tout l'univers n'est qu'une goutte de rosée ou un grain de sable; 2 pour
son utilité; les sciences humaines ne nous remplissent que de vent et de fumée
de l'orgueil; 3 pour sa nécessité; car on ne peut être sauvé, si on n'a la
connaissance de Jésus-Christ, et celui qui ignore toutes les autres sciences
sera sauvé, pourvu qu'il soit éclairé de la science de Jésus-Christ. Heureux
Rosaire qui nous donne cette science et connaissance de Jésus-Christ, en nous
faisant méditer sa vie, sa mort et passion et sa gloire. La reine de Saba,
admirant la sagesse de Salomon, s'écria: "Heureux vos domestiques et vos
serviteurs qui sont toujours en votre présence et entendent les oracles de
votre sagesse"; plus heureux les fidèles qui méditent attentivement la vie, les
vertus, les souffrances et la gloire du Sauveur, parce qu'ils acquièrent par ce
moyen, sa parfaite connaissance dans laquelle consiste la vie éternelle. Haec
est vita aeterna.
83. La sainte Vierge a révélé au
bienheureux Alain qu'aussitôt que saint Dominique prêcha le Rosaire, les
pécheurs endurcis furent touchés et pleurèrent amèrement leurs crimes; les
jeunes enfants même firent des pénitences incroyables, la ferveur fut si
grande, partout où il prêchait le Rosaire, que les pécheurs changèrent de vie
et édifièrent tout le monde par leurs pénitences et l'amendement de leur vie.
Si vous sentez votre conscience chargée de quelques péchés, prenez votre
Rosaire, en récitant une partie en l'honneur de quelques mystères de la vie, de
la passion ou de la gloire de Jésus-Christ, et soyez persuadé que, pendant que
vous méditerez et honorerez ces mystères, Il montrera ses plaies sacrées à son
Père au ciel. Il plaidera pour vous et vous obtiendra la contrition et le
pardon de vos péchés. Il dit un jour au bienheureux Alain: "Si ces misérables
pécheurs récitaient souvent mon Rosaire, ils participeraient aux mérites de ma
passion, et, comme leur Avocat, j'apaiserais la divine Justice".
84. Cette vie est une guerre et
une tentation continuelles; nous n'avons pas à combattre des ennemis de chair
et de sang, mais les puissances mêmes de l'enfer. Quelles armes prendrons-
nous, pour les combattre, que l'oraison que notre grand Capitaine nous a
enseignée, que la Salutation angélique, qui a chassé les démons, détruit le
péché et renouvelé le monde, que la méditation de la vie, de la passion de
Jésus-Christ, de la pensée de laquelle nous devons nous armer, comme nous
ordonne saint Pierre, pour nous défendre des mêmes ennemis qu'il a vaincus et
qui nous attaquent tous les jours. "Depuis que le démon, dit le cardinal
Hugues, a été vaincu par l'humilité et la passion de Jésus-Christ, il ne se
peut quasi attaquer à une âme armée de la méditation de ses mystères ou, s'il
l'attaque, il en est vaincu honteusement". "Induite vos armaturam Dei (Eph
6,11).
85. Armez-vous donc de ces armes
de Dieu, du saint Rosaire, et vous briserez la tête du démon, et demeurerez
stables contre toutes ses tentations. C'est d'où vient que le Rosaire même
matériel est si terrible au diable, et que les saints s'en sont servis pour
l'enchaîner et le chasser des corps des possédés, comme plusieurs histoires
rendent témoignage.
86. Un homme, dit le bienheureux
Alain, ayant en vain tenté toutes sortes de pratiques de dévotion pour être
délivré du malin esprit qui le possédait, s'avisa de mettre à son col son
Rosaire, ce qui le soulagea, et ayant éprouvé que lorsqu'il l'ôtait de son cou,
le démon le tourmentait cruellement, résolut de le porter au cou jour et nuit,
ce qui chassa le diable pour toujours, ne pouvant supporter une si terrible
chaîne. Le bienheureux Alain témoigne qu'il a délivré un grand nombre de
possédés, en leur mettant ainsi le Rosaire au cou.
87. Le Révérend Père Jean Amât,
de l'ordre de Saint- Dominique, prêchant le Carême dans un lieu de ce royaume
d'Aragon, on lui amena une jeune fille possédée du démon; après l'avoir
plusieurs fois exorcisée, mais en vain, il lui mit son Rosaire au cou, et
aussitôt elle se mit à faire de cris et des hurlements épouvantables, disant:
"Otez-moi, ôtez- moi ces grains qui me tourmentent". Enfin le père, par
compassion pour la pauvre fille, lui ôta son Rosaire du cou. La nuit suivante,
lorsque le Révérend Père était dans son lit à se reposer, les mêmes démons qui
possédaient cette fille vinrent à lui, tout écumants de rage, pour se saisir de
sa personne; mais avec son Rosaire qu'il tenait fortement à la main, malgré les
efforts qu'ils firent pour le lui ôter, il les fouetta admirablement bien et
les chassa en disant: "Sainte Marie, Notre-Dame du saint Rosaire, à mon aide!"
Lorsque, le lendemain, il allait à l'église, il rencontra cette pauvre fille
encore possédée; un des démons qui étaient en elle se mit à dire en se moquant
de lui: "Ah! frère, si tu n'avais point eu ton Rosaire, nous t'aurions bien
accommodé ". Alors le Révérend Père jette derechef son Rosaire au cou de la
fille, disant: "Par les très sacrés noms de Jésus et de Marie, sa sainte Mère,
et par la vertu du très saint Rosaire, je vous commande, esprits malins, de
sortir de ce corps tout à l'heure"; aussitôt ils furent contraints d'obéir, et
elle fut délivrée. Ces histoires nous marquent quelle est la force du saint
Rosaire pour vaincre toutes sortes de tentations des démons et toutes sortes de
péchés, parce que les grains bénits du Rosaire les mettent en fuite.
28 Rose 88. Saint Augustin assure
qu'il n'y a point d'exercice si fructueux et si utile au salut que de penser
souvent aux souffrances de Notre-Seigneur. Le bienheureux Albert le Grand,
maître de saint Thomas, a su par révélation que le simple souvenir ou la
méditation de la passion de Jésus-Christ est plus méritoire au chrétien que de
jeûner pendant un an tous les vendredis au pain et à l'eau, ou de prendre la
discipline jusqu'au sang toutes les semaines, ou de réciter tous les jours le
psautier. Ah! Quel est, par conséquent, le mérite du Rosaire, qui fait mémoire
de toute la vie et la passion de Notre-Seigneur? La sainte Vierge révéla un
jour, au bienheureux Alain de la Roche, qu'après le saint sacrifice de la
messe, qui est la première et la plus vive mémoire de la passion de Jésus-
Christ, il n'y avait point de dévotion plus excellente et plus méritoire que le
Rosaire, qui est comme une seconde mémoire et représentation de la vie et de la
passion de Jésus-Christ.
89. Le Révérend Père Dorland
rapporte que la sainte Vierge dit un jour au vénérable Dominique, chartreux,
dévot du saint Rosaire, qui résidait à Trèves l'an 1481: "Toutes les fois qu'un
fidèle récite le Rosaire avec les méditations des mystères de la vie et de la
passion de Jésus- Christ, en état de grâce, il obtient pleine et entière
rémission de tous ses péchés". Elle dit aussi au bienheureux Alain: "Sachez
qu'encore qu'il y ait quantité d'indulgences données à mon Rosaire, j'y en
ajouterai beaucoup davantage pour chaque cinquantaine à ceux qui le réciteront
sans péché mortel, à genoux, dévotement, et quiconque persévèrera dans la
dévotion du saint Rosaire avec ces articles et méditations, je lui obtiendrai,
pour récompense de ce bon service, pleine rémission de la peine et de la coulpe
de tous ses péchés à la fin de la vie. Et que cela ne te semble pas incroyable;
il m'est facile, puisque je suis la Mère du Roi des cieux, qui m'appelle pleine
de grâce, et, si j'en suis remplie, j'en ferai une ample effusion à mes chers
enfants".
90. Saint Dominique était si bien
persuadé de l'efficace et mérite du saint Rosaire qu'il ne donnait quasi point
d'autre pénitence à ceux qu'il confessait, comme nous avons vu dans l'histoire
que j'ai rapportée d'une dame romaine à qui il ne donna pour pénitence qu'un
seul Rosaire. Les confesseurs devraient aussi, pour marcher sûrement sur les
traces de ce grand saint, enjoindre aux pénitents le Rosaire, avec la réflexion
sur les sacrés mystères, plutôt que d'autres pénitences qui ne sont pas d'un si
grand mérite, ni si agréables à Dieu, ni si salutaires aux âmes pour les faire
avancer dans la vertu, ni si efficaces pour les empêcher de tomber dans le
péché, et de plus, en disant le Rosaire, on gagne quantité d'indulgences qui ne
sont pas attachées à plusieurs autres dévotions.
91. "Certes, dit l'abbé Blosius,
ce Rosaire, avec les méditations de la vie et de la passion, est très agréable
à Jésus-Christ et à la sainte Vierge et très efficace pour obtenir toutes
choses; nous le pouvons dire tant pour nous que pour ceux qui nous sont
recommandés et pour toute l'Eglise. Recourons donc à la dévotion du saint
Rosaire dans toutes nos nécessités, et nous obtiendrons infailliblement ce que
nous demanderons à Dieu pour notre salut".
29 Rose 92. Il n'est rien de plus
divin, selon la pensée de saint Denis, rien de plus noble ni de plus agréable à
Dieu, que de coopérer au salut des âmes et de renverser les machines du démon
qui tâche de les perdre. C'est le motif qui a fait descendre le Fils de Dieu en
terre. Il avait ruiné l'empire de Satan par la fondation de l'Eglise, mais ce
tyran avait repris ses forces et exercé une cruelle violence sur les âmes des
Albigeois, par les haines, les dissensions et par les vices abominables qu'il
faisait régner dans le monde dans le onzième siècle. Quel remède à ces grands
désordres, comment abattre les forces de Satan? La sainte Vierge, protectrice
de l'Eglise, n'a point donné de moyen plus efficace pour apaiser la colère de
son Fils, pour extirper l'hérésie et réformer les moeurs des chrétiens que la
confrérie du saint Rosaire, comme l'effet l'a vérifié. Il a renouvelé la
charité, la fréquentation des sacrements des premiers siècles d'or de l'Eglise,
réformé les moeurs des chrétiens.
93. Le pape Léon X dit en sa
bulle que cette confrérie a été fondée en l'honneur de Dieu et de la sainte
Vierge comme un mur pour arrêter les malheurs qui allaient fondre sur l'Eglise.
Gregoire XIII dit que le Rosaire a été donne du ciel comme un moyen pour
apaiser la colère de Dieu et implorer l'intercession de la sainte Vierge. Jules
3 dit que le Rosaire a été inspiré pour nous ouvrir plus facilement le ciel,
par les faveurs de la sainte Vierge. Paul III et le bienheureux Pie V déclarent
que le Rosaire a été établi et donné aux fidèles pour se procurer plus
efficacement le repos et la consolation spirituelle. Qui négligera d'entrer en
une confrérie instituée pour des fins aussi nobles?
94. Le Père Dominique, chartreux,
fort dévot au Rosaire, vit un jour le ciel ouvert et toute la cour céleste
rangée en un ordre admirable et entendit chanter le Rosaire, d'une mélodie
ravissante, honorant à chaque dizaine un mystère de la vie, de la passion et de
la gloire de Jésus-Christ et de la sainte Vierge. Et il remarqua que quand ils
prononçaient le sacré nom de Marie, ils faisaient tous une inclination de la
tête, et à celui de Jésus, ils faisaient tous une génuflexion et rendaient
grâces à Dieu des grands biens qu'il a faits au ciel et en la terre par le
saint Rosaire. Il vit aussi la sainte Vierge et les saints présenter à Dieu les
Rosaires que les confrères récitent en terre, et prient pour ceux qui
pratiquent cette dévotion; il vit encore d'innombrables couronnes, de très
belles et odoriférantes fleurs, préparées pour ceux qui récitent dévotement le
saint Rosaire, et qu'autant de fois qu'ils le récitent ils se font une couronne
dont ils seront parés au ciel. La vision de ce dévot chartreux est conforme à
la vision qu'eut le disciple bien-aimé, dans laquelle il vit une multitude
innombrable d'anges et des saints, qui louaient et bénissaient Jésus-Christ
pour tout ce qu'il a fait et souffert dans ce monde pour notre salut; n'est-ce
pas ce que font les dévots confrères du Rosaire?
95. Il ne faut pas s'imaginer que
le Rosaire soit seulement pour les femmes, et les petits et les ignorants; il
est aussi pour les hommes, et les plus grands hommes. D'abord que saint
Dominique eut rendu compte au pape Innocent III de l'ordre qu'il avait reçu du
ciel, d'établir cette sainte confrérie, le Saint-Père l'approuva, exhorta saint
Dominique à le prêcher et il voulut y être associé. Les cardinaux mêmes
l'embrassèrent avec une grande ferveur, en sorte que Lopez avance ces paroles:
"Nullum sexum, nullam aetatem, nullam conditionem ab oratione rosarii subtraxit
se". Ainsi on remarque, dans cette confrérie, toutes sortes de personnes: des
ducs, des princes, des rois, aussi bien que des prélats, des cardinaux,
souverains pontifes, dont le dénombrement serait trop long pour cet abrégé; et
vous mettant, cher lecteur, en cette confrérie, vous aurez part à leur dévotion
et leurs grâces sur la terre et à leur gloire dans le ciel. "Cum quibus
consortium vobis erit devotionis, erit et communio dignitatis".
30 Rose 96. Si les privilèges,
les grâces et les indulgences rendent une confrérie recommandable, on peut dire
que celle du Rosaire est la plus recommandable de l'Eglise, puisqu'elle est la
plus favorisée et enrichie d'indulgences, et il n'y a presque point de papes
depuis son institution qui n'aient ouvert les trésors de l'Eglise pour la
gratifier; et comme l'exemple persuade mieux que les paroles et les bienfaits,
les Saints Pères n'ont pu mieux marquer l'estime qu'ils faisaient de cette
sainte confrérie qu'en s'y associant eux-mêmes. Voici un petit abrégé des
indulgences que les Souverains Pontifes ont entièrement accordées à la
confrérie du Saint Rosaire, confirmées de nouveau par notre Saint-Père le pape
Innocent 11e le 31 juillet 1679, reçues et permises d'être publiées par
monseigneur l'archevêque de Paris le 25 septembre de la même année: 1 Pour le
jour de l'entrée dans la confrérie: indulgence plénière; 2 Pour l'article de la
mort: indulgence plénière; 3 Pour chacun des trois chapelets du Rosaire
récités: dix ans et dix quarantaines d'indulgences; 4 Pour chaque fois qu'ils
prononceront dévotement les saints noms de Jésus et de Marie; sept jours
d'indulgences; 5 Pour ceux qui assisteront dévotement à la procession du saint
Rosaire: sept ans et sept quarantaines d'indulgences; 6 A ceux qui, vraiment
pénitents et confessés, visiteront la chapelle du Rosaire dans l'église où elle
est établie, les premiers dimanches de chaque mois et les fêtes de
Notre-Seigneur et de la sainte Vierge: indulgence plénière; 7 A ceux qui
assistent au Salve Regina: cent jours d'indulgence; 8 A ceux qui dévotement et
pour montrer exemple portent ouvertement le saint Rosaire; cent jours
d'indulgences; 9 Aux confrères malades, qui ne pourront venir à l'église, étant
confessés et communiés, réciteront le jour le saint Rosaire ou du moins le
chapelet: indulgence plénière au jour marqué pour la gagner; 10 Les
Saints-Pères, par une grande libéralité envers les confrères du saint Rosaire,
leur ont donné la faculté de gagner les indulgences des stations de Rome,
visitant cinq autels, en recitant devant chacun cinq fois le Pater et l'Ave,
pour l'heureux état de l'Eglise. S'il n'y a qu'un autel ou deux dans cette
église, où est le Rosaire établi, ils réciteront 25 fois le Pater et l'Ave
devant cet autel.
97. Grande faveur pour les
confrères du saint Rosaire, parce que dans les églises des stations de Rome, il
y a des indulgences plénières, des délivrances d'âmes du purgatoire et
plusieurs autres grandes rémissions que les confrères peuvent gagner sans
peine, sans frais, sans sortir de leurs pays; et même, si la confrérie n'est
pas établie dans le lieu où demeurent les confrères, ils gagneront lesdites
indulgences, visitant cinq autels de quelque église que ce soit, par la
concession de Léon dixième. Voici les jours auxquels ils les peuvent gagner,
déterminés et fixés, pour ceux qui sont hors la ville de Rome, par un décret de
la Sacrée Congrégation établié pour les indulgences, approuvé par notre
Saint-Père le 7 mars 1678, qui a ordonné qu'il sera inviolablement observé:
Tous les dimanches de l'Avent; les trois jours des Quatre-Temps; la vigile de
Noël, aux messes de minuit, de l'aurore et du jour; les fêtes de saint Etienne,
de saint Jean l'Evangéliste, et des Innocents, de la Circoncision et des Rois;
les dimanches de la Septuagésime, Sexagésime, Quinquagésime et, depuis le jour
des Cendres, tous les jours, jusqu'au dimanche de la Quasimodo inclusivement;
les trois jours des Rogations; le jour de l'Ascension; la vigile de la
Pentecôte, et tous les jours de l'octave et les trois jours de Quatre-Temps de
septembre. Cher confrère du Rosaire, il y a un grand nombre d'autres
indulgences. Si vous les voulez voir, lisez le sommaire des indulgences
accordées aux confrères du Rosaire. Vous y verrez les noms des papes, l'année
et plusieurs autres particularités que cet abrégé ne souffre pas.
QUATRIEME
DIZAINE
L'excellence du saint Rosaire
dans les merveilles que Dieu a opérées en sa
faveur.
31 Rose 98. Saint Dominique étant
allé visiter sainte Blanche, reine de France, qui, depuis 12 ans qu'elle était
mariée, n'avait point eu d'enfants, et donc elle était fort affligée, lui
conseilla de dire son Rosaire tous les jours, pour obtenir cette grâce du diel,
ce qu'elle fit, et elle accoucha, l'an 1213, de son aîné qui fut appelé
Philippe. Mais la mort l'ayant ravi en son berceau, la dévote reine eut plus
que jamais recours à la sainte Vierge et elle fit distribuer quantité de
Rosaires à toute la cour et dans plusieurs villes du royaume, afin que Dieu la
comblât d'une entière bénédiction. Ce qui arriva ainsi, car l'an 1215 saint
Louis vint au monde, la gloire de la France et le modèle des rois
chrétiens.
99. Alphonse huitième, roi
d'Aragon et de Castille, fut, à cause de ses péchés, châtié de Dieu en
plusieurs manières et il fut contraint de se retirer dans une ville de l'un de
ses alliés. Saint Domnique, se rencontrant en cette même ville le jour de Noël,
y prêcha à son ordinaire le Rosaire et les grâces que l'on obtient de Dieu par
cette dévotion et dit, entre autres choses, que ceux qui le réciteraient
dévotement obtiendraient la victoire de leurs ennemis et recouvreraient tout ce
qu'ils avaient perdu. Le roi remarque bien ces paroles, envoie quérir saint
Dominique et lui demande si ce qu'il avait prêché du saint Rosaire était
véritable. Le saint répondit qu'il n'en fallait point douter et lui promit que
s'il voulait pratiquer cette dévotion et s'enrôler en la confrérie, il en
verrait les effets. Le roi se résolut à réciter tous les jours le Rosaire, et
il continua pendant un an, et le même jour de Noël, ayant récité son Rosaire,
la sainte Vierge lui apparut et lui dit: "Alphonse, il y a un an que tu me sers
dévotement par mon Rosaire, je viens te récompenser. Sache que j'ai obtenu de
mon Fils le pardon de tous tes péchés; voilà un rosaire que je te donne;
porte-le sur toi, et jamais aucun de tes ennemis ne te pourra nuire". Elle
disparut et laissa le roi fort consolé; il s'en retourna, tenant ce rosaire à
la main et, abordant la reine, il lui raconta tout joyeux la faveur qu'il
venait de recevoir de la sainte Vierge; il lui toucha les yeux de ce rosaire,
elle recouvra la vue qu'elle avait perdue. Quelque temps après, le roi, ayant
ramassé quelques troupes, avec l'aide de ses alliés, attaqua hardiment ses
ennemis, les obligea de rendre ses terres, de réparer ses dommages, les chassa
entièrement et devint si heureux en guerre que de tous côtés il lui venait des
soldats pour combattre sous ses enseignes, parce que les victoires semblaient
suivre partout ses batailles. Il ne s'en faut pas étonner, car il ne livrait
jamais de combats qu'après avoir récité son Rosaire à genoux; il faisait
recevoir dans la confrérie du saint Rosaire toute sa cour et il obligeait ses
officiers et domestiques d'y être dévots. La reine s'y engagea aussi, et tous
deux persévérèrent au service de la sainte Vierge et vécurent en grande
piété.
32 Rose (B. Alain, c.53) 100.
Saint Dominique avait un cousin nommé dom Perez ou Pedro, qui menait une vie
fort dissolue. Ayant entendu que le saint prêchait les merveilles du saint
Rosaire et que plusieurs se convertissaient et changeaient de vie par ce moyen,
il dit: "J'avais perdu l'espérance de mon salut, mais je commence à prendre
courage, il faut que j'entende cet homme de Dieu". Il vint donc un jour au
sermon de saint Dominque. Quand le saint le vit, il redoubla sa ferveur à
tonner contre les vices, et il pria Dieu dans son coeur d'ouvrir les yeux de
son cousin pour connaître l'état misérable de son âme. Dom Perez fut d'abord un
peu effrayé; mais il ne résolut pas de se convertir; il retourna une autre fois
au sermon et le saint, voyant que ce coeur endurci ne se convertissait pas sans
quelque coup extraordinaire, il cria tout haut: "Seigneur Jésus, faites voir à
toute cette audience l'état où est celui qui vient d'entrer en votre maison".
Alors tout le peuple vit dom Pérez environné d'une troupe de diables en forme
de bêtes horribles qui le tenaient lié avec des chaînes de fer. Chacun s'enfuit
tout effrayé qui de- çà, qui de-là, et lui fut encore plus épouvanté de se voir
l'objet de l'horreur de tout le monde. Saint Dominique les fit tous arrêter et
dit à ce seigneur: "Connaissez, malheureux, l'état déplorable où vous êtes;
jetez-vous aux pieds de la sainte Vierge". Il lui envoya un rosaire. "Prenez ce
rosaire, récitez-le avec dévotion et repentance de vos péchés et faites
résolution de changer de vie". Il se mit à genoux, récita le Rosaire; il se
sentit inspiré de se confesser, ce qu'il fit avec une grande contrition. Le
saint lui ordonna de dire tous les jours le saint Rosaire; il promit de le
faire; il écrivit lui-même son nom dans la confrérie. Son visage, qui
auparavant avait effrayé tout le monde, parut, sortant de l'église, brillant
comme celui d'un ange. Il persévéra dans la dévotion du Rosaire, mena une vie
fort réglée et mourut heureusement.
33 Rose 101. Saint Dominique,
prêchant près de Carcassone le saint Rosaire, on lui amena un hérétique
albigeois possédé par le démon. Le saint l'exorcisa en présence d'une grande
multitude de peuple; on tient qu'il y avait plus de douze mille hommes à
l'entendre. Les démons, qui possédaient ce pauvre misérable, étant obligés de
répondre malgré eux aux interrogations que le saint leur faisait, dirent: [1.]
Qu'ils étaient quinze mille dans le corps de ce misérable, parce qu'il avait
attaqué les quinze mystères du Rosaire; 2. Que, par le Rosaire qu'il prêchait,
il mettait la terreur et l'épouvante dans tout l'enfer, et qu'il était l'homme
du monde qu'ils haïssaient davantage à cause des âmes qu'il leur enlevait par
la dévotion du Rosaire; 3. Ils révélèrent plusieurs autres particularités.
Saint Dominique, ayant jeté son rosaire au cou du possédé, leur demanda qui, de
tous les saints du ciel, ils craignaient davantage et devait être plus aimé et
honoré des hommes. A cette interrogation, ils firent des cris si épouvantables
que la plupart des auditeurs, saisis d'effroi, tombèrent par terre. Ensuite,
ces malins esprits, pour ne pas répondre, pleurèrent et se lamentèrent d'une
manière si pitoyable, si touchante, que plusieurs des assistants en pleurèrent
eux-mêmes, par une pitié naturelle. Ils disaient par la bouche du possédé d'un
ton de voix lamantable: "Dominique, Dominique, aie pitié de nous, nous te
promettons que nous ne te nuirons jamais. Toi qui as tant pitié des pécheurs et
misérables, aie pitié de nous, misérables. Hélas, nous souffrons, pourquoi
prends-tu plaisir à augmenter nos peines? Contente-toi des peines que nous
endurons. Miséricorde! miséricorde! miséricorde!"
102. Le saint, sans être touché
des paroles tendres de ces esprits malheureux, leur répondit qu'il ne cesserait
de les tourmenter jusqu'à ce qu'ils eussent répondu à la question. Les démons
lui dirent qu'ils y répondraient, mais en secret et à l'oreille, et non pas
devant tout le monde. Le saint incite et leur commande de parler et répondre
tout haut. Les diables ne voulurent plus dire mot, quelque commandement qu'il
leur fit. Il se mit à genoux et fit cette prière à la sainte Vierge: "O
excellentissima Virgo Maria, per virtutem psalterii et rosarii tui, compelle
hos humani generis hostes questioni meae satisfacere. - O très sainte Vierge
Marie, par la vertu du saint Rosaire, ordonnez à ces ennemis du genre humain de
répondre à ma question". Cette prière étant faite, voilà qu'une flamme ardente
sortit des oreilles, des narines et de la bouche du possédé, qui fit trembler
tout le monde, mais cependant qui ne fit de mal à personne. Alors les diables
s'écrièrent: "Dominique, nous te prions, par la passion de Jésus-Christ et par
les mérites de sa sainte Mère et de tous les saints, que tu nous permettes de
sortir de ce corps sans rien dire; car les anges, quand tu le voudras, te le
révèleront. Ne sommes-nous pas des menteurs? Pourquoi veux-tu nous croire? Ne
nous tourmente pas davantage, aie pitié de nous". "Malheureux que vous êtes,
indignes d'être exaucés", dit saint Dominique, qui, se mettant encore à genoux,
fit sa prière à la sainte Vierge: "O Mater sapientiae dignissima et de cujus
salutatione quomodo illa fieri debeat jam edoctus est populus; pro salute
populi circunstantis rogo: Coge hosce tuos adversarios, ut plenam et sinceram
veritatem palam hic profiteantur". Il n'eut pas plus tôt fini sa prière, qu'il
vit la sainte Vierge auprès de lui, entourée d'une grande multitude d'anges,
qui, avec une verge d'or qu'elle tenait à la main, frappait le démoniaque en
lui disant: "Réponds à mon serviteur Dominique, selon sa demande". Il faut
remarquer que le peuple n'entendait ni ne voyait point la sainte Vierge; il n'y
avait que saint Dominique.
103. Alors les démons
commencèrent à s'écrier en disant: "O inimica nostra, ô nostra damnatrix, ô
nostra inimica, ô nostra domnatrix, ô confusio nostra, quare de coelo
descendisti, ut nos hic ita torqueres? Per te quae infernum evacuas et pro
peccatoribus tanquam potens advocata exoras; ô Via coeli certissima et
securissima, cogimur sine mora et intermissione ulla, nobis quamvis invitis, et
contra nitentibus, totam rei proferre veritatem. Nunc declarandum nobis est
simulque publicandum ipsum medium et modus quo ipsimet confundamur, unde vae et
maledictio in aeternum nostris tenebrarum principibus. Audite igitur vos,
christiani. Haec christi Mater potentissima est in preservandis suis servis
quominus precipites ruant in baratrum nostrum inferni. Illa est quae dissipat
et enervat, ut sol, tenebras omnium machinarum et astutiarum nostrarum, detegit
omnes fallacias nostras et ad nihilum redegit omnes nostras tentationes.
Coactique fatemur neminem nobiscum damnari qui ejus sancto cultui et pio
obsequio devotus perseverat. Unicum ipsius suspirum, ab ispa et per ipsam
sanctissimae Trinitati oblatum, superat et excedit omnium sanctorum preces,
atque pium et sanctum eorum votum et desiderium, magisque eum formidamus quam
omnes paradisi sanctos; nec contra fideles ejus famulos quidquam praevalere
possumus. Notum sit etiam vobis plurimos christianos in hora mortis ipsam
invocantes contra nostra jura salvari, et nisi Marietta illa obstitisset
nostrosque conatus repressisset, a longo jam tempore totam Ecclesiam
exterminassemus, nam saepissime universos Ecclesiae status et ordines a fide
deficere fecissemus. Imo planius et plenius vi et necessita compulsi, adhuc
vobis dicimus, nullum in exercitio Rosarii sive psalterii ejus perseverantem
aeternos suis veram impetrat contritionem qua fit ut peccata sua confiteantur,
et eorum indulgentiam a Deo consequantur."
104. C'est-à-dire en français: "O
notre ennemie, ô notre ruine, ô notre confusion, pourquoi êtes-vous venue
exprès du ciel pour nous tourmenter si fort? Faut-il que, malgré nous, ô
avocate des pécheurs qui les retirez des enfers, ô chemin très assuré du
paradis, nous soyons obligés de dire toute la vérité? Faut-il que nous
confessions devant tout le monde ce qui sera la cause de notre confusion et de
notre ruine? Malheur à nous, malheur à nos princes des ténèbres. Ecoutez donc,
chrétiens. Cette Mère de Jésus-Christ est toute puissante pour empêcher que ses
serviteurs ne tombent en enfer; c'est elle qui, comme un soleil, dissipe les
ténèbres de nos mines, qui rompt nos pièges et rend toutes nos tentations
inutiles et sans effet. Nous sommes contraints d'avouer qu'aucun de ceux qui
persévèrent dans son service n'est damné avec nous. Un seul de ses soupirs,
qu'elle offre à la Sainte-Trinité, surpasse toutes les prières, les voeux et
les désirs de tous les saints. Nous la craignons plus que tous les bienheureux
ensemble et nous ne pouvons rien contre ses fidèles serviteurs. Plusieurs
chrétiens mêmes qui l'invoquent à la mort, et qui devraient selon nos lois
ordinaires être damnés, sont sauvés par son intercession. Ah! si cette Mariette
(c'est ainsi que leur rage la faisait appeler) ne s'était opposée à nos
desseins et à nos efforts, nous aurions depuis longtemps renversé et détruit
l'Eglise et fait tomber tous ses ordres dans l'erreur et l'infidélité. Nous
protestons de plus, par la violence qu'on nous fait, qu'aucun de ceux qui
persévèrent à dire le Rosaire n'est damné; car elle obtient à ses dévots
serviteurs une vraie contrition de leurs péchés par laquelle ils en obtiennent
le pardon et l'indulgence". Alors saint Dominique fit réciter le Rosaire à tout
le peuple, fort lentement et dévotement, et, à chaque Ave Maria que le saint et
le peuple récitaient (chose étonnante), il sortait du corps de ce malheureux
une grande multitude de démons, en forme de charbons ardents. Les démons étant
tous sortis et l'hérétique fut tout à fait délivré, la sainte Vierge donna,
quoique invisiblement, sa bénédiction à tout le peuple, qui en ressentit une
joie très sensible. Ce miracle fut cause qu'un grand nombre d'hérétiques se
convertirent et se mirent de la confrérie du saint Rosaire.
34 Rose (B. Alain, 2e p., c.17)
105. Qui pourrait raconter les victoire que Simon, comte de Montfort, a
remportées sur les Albigeois sous la protection de Notre-Dame du Rosaire? Elles
sont si fameuses que le monde n'en a jamais vu de pareilles. Il défit une fois
dix mille hérétiques avec cinq cents hommes; une autre fois, avec trente, il
demeura vainqueur de trois mille; ensuite avec huits cents cavaliers et mille
hommes d'infanterie, il tailla en pièces l'armée du roi d'Aragon, composée de
cent mille hommes, sans perdre qu'un seul cavalier et huit soldats des
siens.
106. De quels dangers la sainte
Vierge a-t-elle délivré Alain de l'Anvallay, chevalier breton, qui combattait
pour la foi contre les Albigeois! Un jour, étant environné de ses ennemis de
tous côtés, la sainte Vierge lança contre eux cent cinquante pierres et le
délivra de leurs mains. Un autre jour, son vaisseau ayant fait naufrage et
étant près d'abîmer, cette bonne Mère lui fit paraître cent cinquante petites
collines par sur lesquelles il aborda en Bretagne. Et en mémoire des miracles
que la sainte Vierge avait faits en sa faveur à cause d'un Rosaire qu'il
récitait tous les jours, il prépara un couvent à Dinan pour loger les religieux
du nouvel ordre de saint Dominique et, s'étant fait religieux, il mourut
saintement à Orléans.
107. Othère, de même soldat
breton de Vaucouleurs, a souvent mis en fuite des compagnies entières
d'hérétiques et de voleurs, portant son rosaire au bras et à la garde de son
épée. Ses ennemis, après avoir été vaincus, lui ont avoué qu'ils avaient vu son
épée toute éclatante et une fois un bouclier à son bras, dans lequel
Jésus-Christ, la sainte Vierge et les saints étaient dépeints, le rendaient
invincible et lui donnaient la force de bien charger. Une fois, avec dix
compagnies, il défit vingt mille hérétiques sans perdre un seul des siens, ce
qui toucha tellement le général de l'armée hérétique, qu'il vint trouver
Othère, abjura son hérésie et déclara qu'il l'avait vu couvert d'armes de feu
dans le combat.
35 Rose (B. Alain, 4e p. c 40)
108. Le bienheureux Alain rapporte qu'un cardinal nommé Pierre, du titre de
Sainte-Marie delà le Tibre, instruit par saint Dominique, son ami intime, de la
dévotion au saint Rosaire, s'y affectionna tellement qu'il en devint le
panégyriste et le persuadait à tous. Le cardinal fut envoyé légat dans la Terre
Sainte vers les chrétiens qui étaient croisés contre les Sarrasins. Il persuada
si bien l'efficace du Rosaire à l'armée chrétienne que tous l'ayant embrassé
pour implorer le secours du ciel dans un combat, où ils n'étaient que trois
mille, ils triomphèrent de cent mille. Les démons, comme nous avons vu,
craignaient infiniment le Rosaire. Saint Bernard dit que la Salutation
angélique leur donne la chasse et fait frémir l'enfer. Le bienheureux Alain
assure qu'il a vu plusieurs personnes, qui s'étaient livrées au diable corps et
âme, en renonçant au baptême et à Jésus- Christ, et puis, après avoir pris la
dévotion du saint Rosaire, ont été délivrés de sa tyrannie.
36 Rose 109. L'an 1578, une femme
d'Anvers s'était donnée au démon par une cédule signée de son sang. Quelque
temps après, elle en eut un sensible regret et un grand désir de réparer le mal
qu'elle avait fait. Elle chercha un confesseur prudent et charitable, pour
savoir par quel moyen elle pourrait être affranchie de la puissance du diable.
Elle trouva un prêtre sage et dévot, qui lui conseilla d'aller trouver le père
Henri, directeur de la confrérie du saint Rosaire, du couvent de
Saint-Dominique, pour s'y faire enrôler et se confesser. Elle le demanda et, au
lieu du Père, elle trouva le diable, sous la figure d'un religieux, qui la
reprit sévèrement et lui dit qu'elle n'avait plus de grâces à espérer de Dieu,
ni de moyen de révoquer ce qu'elle avait signé, ce qui l'affligea fort. Mais
elle ne perdit pas toute espérance en la miséricorde de Dieu, elle retourna
encore chercher le Père et elle trouva encore le diable, qui la rebuta comme
auparavant. Elle retourna pour la troisième fois et elle trouva par la
permission divine le père Henri qu'elle cherchait, qui la reçut charitablement,
l'exhorta à se confier en la bonté de Dieu et à faire une bonne confession; il
la reçut dans la confrérie et lui ordonna de réciter souvent le Rosaire. Un
jour, pendant la Messe que le Père célébrait pour elle, la sainte Vierge força
le diable de lui rendre la cédule qu'elle avait signée; et ainsi elle fut
délivrée par l'autorité de Marie et la dévotion du saint Rosaire.
37 Rose 110. Un seigneur qui
avait plusieurs enfants mit une de ses filles dans un monastère entièrement
déréglé, où les religieuses ne respiraient que la vanité et les plaisirs. Le
confesseur, homme fervent et dévot au saint Rosaire, désirant d'abord conduire
cette jeune religieuse dans les pratiques d'une meilleure vie, lui ordonna de
réciter tous les jours le Rosaire en l'honneur de la sainte Vierge, méditant la
vie, la passion et la gloire de Jésus-Christ Elle agréa fort cette dévotion;
peu à peu elle eut du dégoût du dérèglement de ses soeurs; elle commença à
aimer le silence et l'oraison, malgré les mépris et les railleries des autres,
qui la traitaient de bigote. En ce temps-là, un saint abbé, étant allé faire la
visite dans ce monastère, eut une étrange vision, en son oraison; il lui sembla
voir une religieuse dans sa chambre en oraison, devant une grande dame d'une
beauté admirable, accompagnée d'une troupe d'anges, lesquels à coup de dards
enflammés chassaient une multitude de démons qui voulaient entrer. Et ces
esprits malins s'enfuyaient aux chambres des autres religieuses, sous la figure
de sales animaux, pour les exciter au péché auquel plusieurs donnaient entrée.
L'abbé connut, par cette vision, l'état malheureux de ce monastère et pensa
mourir de tristesse; il fit venir la jeune religieuse et l'exhorta à la
persévérance. En faisant réflexion sur l'excellence du Rosaire, il prit dessein
de réformer ces religieuses par cette dévotion. Il acheta de beaux rosaires
qu'il donna à toutes les religieuses, les persuadant de le réciter tous les
jours et leur promit, si elles voulaient bien le faire, de ne les contraindre
jamais de se réformer. Elles reçurent agréablement ces rosaires et promirent de
les réciter à cette condition. (Chose admirable!) Peu à peu elles quittèrent
leurs vanités, se portèrent au silence et à la récollection, et en moins d'un
an, elles demandèrent toutes la réforme. Le Rosaire opéra plus sur leurs coeurs
que l'abbé n'aurait pu gagner par ses exhortations et son autorité.
38 Rose 111. Une comtesse
d'Espagne, ayant été instruite dans la dévotion du saint Rosaire par saint
Dominique, le disait tous les jours avec des avancements merveilleux dans la
vertu. Comme elle ne respirait que la perfection, elle demanda un jour à un
prélat et fameux prédicateur quelques pratiques de perfection. Ce prélat lui
dit qu'il fallait, auparavant, lui déclarer l'état de son âme et ses exercices
de piété; elle lui dit que le principal était le Rosaire, qu'elle récitait tous
les jours, méditant les mystères joyeux, douloureux et glorieux avec un grand
profit spirituel de son âme. L'évêque, ravi d'entendre expliquer les rares
instructions qui sont renfermées dans les mystères, lui dit: "Il y a vingt ans
que je suis docteur en théologie, j'ai lu quantité d'excellentes pratiques de
dévotion; mais je n'en ai pas connu de plus fructueuse ni de plus conforme au
christianisme. Je veux vous imiter, je prêcherai le Rosaire". Il le fit avec un
si heureux succès, qu'à peut de temps il vit un très grand changement de moeurs
en son diocèse, plusieurs conversions, restitutions et réconciliations; les
débauches, le jeu, le luxe cessèrent; la paix dans les familles, la dévotion et
la charité commencèrent à fleurir. Changement d'autant plus admirable que cet
évêque avait beaucoup travaillé à réformer son diocèse avec très peu de fruit.
Pour mieux persuader la dévotion du Rosaire, il en portait un beau à son côté
et le montrait à ses auditeurs. Il disait: "Sachez, mes frères, que le Rosaire
de la sainte Vierge est si excellent, que moi, qui suis votre évêque, docteur
en théologie, en l'un et l'autre droit, je fais gloire de le porter toujours
comme la plus illustre marque de mon épiscopat et doctorat".
39 Rose 112. Un recteur d'une
paroisse de Danemark racontait souvent, à la plus grande gloire de Dieu et avec
une grande joie de son âme, qu'il avait vu un pareil fruit de la dévotion du
Rosaire dans sa paroisse, que cet évêque dans son diocèse. "J'avais, disait-il,
prêché toutes les matières les plus pressantes et les plus fructueuses, sans
aucun profit; je ne voyais aucun amendement dans ma paroisse; enfin je fis
résolution de prêcher le saint Rosaire, j'en expliquai l'excellence et sa
pratique, et je proteste qu'après avoir fait goûter cette dévotion à mon
peuple, je vis un changement évident dans six mois. Tant il est véritable que
cette divine prière a une onction toute divine pour toucher les coeurs et leur
inspirer l'horreur du péché et l'amour de la vertu". La sainte Vierge dit un
jour au bienheureux Alain: "Comme Dieu a choisi le salut angélique pour
l'Incarnation de son Verbe et la Rédemption des hommes, ainsi, ceux qui
désirent réformer les moeurs des peuples et les régénérer en Jésus- Christ me
doivent honorer et saluer par le même salut. Je suis, ajoute-t-elle, la voie
par laquelle Dieu est venu aux hommes et il faut qu'après Jésus-Christ ils
obtiennent la grâce et les vertus par mon moyen".
113. Pour moi, qui écris, j'ai
appris, par ma propre expérience, la force de cette prière pour convertir les
coeurs les plus endurcis. J'en ai trouvé sur lesquels toutes les plus terribles
vérités prêchées dans une mission n'avaient fait aucune impression et qui, pour
avoir, par mon conseil, pris la pratique de réciter tous les jours le Rosaire,
se sont convertis et donnés tout à Dieu. J'ai vu une infinie différence entre
les moeurs des peuples des paroisses où j'avais fait des missions, parce que
les uns, ayant quitté la pratique du chapelet et du Rosaire, étaient retombés
dans leurs péchés; et les autres, pour l'avoir conservée, s'étaient conservés
dans la grâce de Dieu et augmentaient tous les jours dans la vertu.
40 Rose 114. Le bienheureux Alain
de la Roche, le Père Jean Dumont, le Père Thomas, les chroniques de saint
Dominique et d'autres auteurs qui ont été souvent témoins oculaires, rapportent
d'une grande quantité de conversions miraculeuses de pécheurs et pécheresses,
qui, depuis 20, 30 et 40 ans étaient dans les derniers désordres, que rien
n'avait pu les convertir et qui l'ont été par cette dévotion merveilleuse. Je
ne les rapporterai point, de peur d'une trop grande longueur. Je ne veux pas
même rapporter celles que j'ai vues moi- même, de mes propres yeux; je les
passe sous silence pour plusieurs raisons. Cher lecteur, par votre expérience,
si vous pratiquez et prêchez cette dévotion, vous en apprendrez plus qu'en
aucun livre et vous expérimenterez heureusement l'effet des promesses qu'a
faites la sainte Vierge à saint Dominique, au bienheureux Alain de la Roche et
à ceux qui font fleurir cette dévotion qui lui est si agréable, qui instruit
les peuples des vertus de son Fils et des siennes, porte à l'oraison mentale, à
l'imitation de Jésus-Christ, à la fréquentation des sacrements, à la pratique
solide des vertus, et de toutes sortes de bonnes oeuvres, à gagner tant de
belles indulgences que les peuples ignorent parce que les prédicateurs de cette
dévotion n'en parlent quasi jamais et se contentent de faire un sermon du
Rosaire, à la mode, bien souvent qui ne cause que de l'admiration, point
d'instruction.
115. Enfin, je me contente de
vous dire, avec le bienheureux Alain de la Roche, que le Rosaire est une source
et un magasin de toutes sortes de biens: 1 P Peccatoribus praestat
poenitentiam; 2 S Sitientibus stillat satietatem; 3 A Alligatis adducit
absolutionem; 4 L Lugentibus largitur laetitiam; 5 T Tentatis tradit
tranquillitatem; 6 E Egenis expellit egestatem; 7 R Religiosis reddit
reformationem; 8 I Ignorantibus inducit intelligentiam; 9 V Vivis vincit
vastitatem; 10 M Mortuis mittit misericordian per modum suffragii. "Volo", dit
un jour la sainte Vierge au bienheureux Alain, "ut psaltae mei in vita et in
morte, et post mortem habeant benedictionem, gratiae plenitudinem ac
libertatem, inmunesque sint a caecitate, obduratione, inopia ac servitute": Je
veux que les dévots de mon Rosaire aient la grâce et la bénédiction de mon Fils
pendant leur vie, à leur mort, et après leur mort, et qu'ils soient affranchis
de toutes sortes d'esclavages et qu'ils soient des rois, qu'ils aient la
couronne sur la tête, le sceptre à la main et la gloire éternelle. Ainsi
soit-il.
CINQUIEME
DIZAINE
41 Rose LA MANIERE SAINTE DE
RÉCITER LE ROSAIRE.
116. Ce n'est pas proprement la
longueur, mais la ferveur de la prière, qui plaît à Dieu et qui lui gagne le
coeur. Un seul Ave Maria bien dit est d'un plus grand mérite que cent cinquante
mal dits. Presque tous les chrétiens catholiques récitent le Rosaire, le
chapelet ou du moins quelques dizaines d'Ave. Pourquoi donc y en a-t-il si peu
qui se corrigent de leurs péchés et s'avancent dans la vertu, sinon parce
qu'ils ne font pas ces prières comme il faut.
117. Voyons donc la manière qu'il
faut les réciter pour plaire à Dieu et devenir plus saints. Premièrement il
faut que la personne qui récite le saint Rosaire soit en état de grâce ou du
moins dans la résolution de sortir de son péché, parce que toute la théologie
nous enseigne que les bonnes oeuvres et les prières faites en péché mortel,
sont des oeuvres mortes, qui ne peuvent être agréables à Dieu ni mériter la vie
éternelle; c'est en ce sens qu'il est écrit: "Non est speciosa laus in ore
peccatoris: La louange ne sied pas à la bouche du pécheur" (Si 15,9). La
louange et le salut de l'ange et l'Oraison même de Jésus-Christ n'est pas
agréable à Dieu lorsqu'elle sort de la bouche d'un pécheur impénitent: "Populus
hic labiis me honorat, cor autem eorum longe est a me" (Mc 7,6) Ces personnes
qui se mettent de mes confréries, (dit Jésus-Christ), qui récitent tous les
jours le chapelet ou le Rosaire, sans aucune contrition de leurs péchés,
m'honorent de leurs lèvres, mais leur coeur est bien éloigné de moi. [2] J'ai
dit: "ou du moins dans la résolution de sortir du péché", 1 parce que s'il
fallait absolument être en grâce de Dieu pour faire des prières qui lui fussent
agréables, il s'ensuivrait que ceux qui sont en péché mortel ne devraient point
du tout prier, quoiqu'ils en aient plus de besoin que les justes, ce qui est
une erreur condamnée par l'Eglise, et, ainsi, il ne faudrait jamais conseiller
à un pécheur de dire son chapelet ou son Rosaire parce qu'il lui serait
inutile; 2 parce que, si avec la volonté de demeurer dans le péché, et sans
aucune intention d'en sortir, on s'enrôlait dans une confrérie de la sainte
Vierge, ou on récitait le chaplet, le Rosaire ou quelque autre prière, on se
rendrait du nombre des faux dévots de la sainte Vierge, et dévots présomptueux
et impénitents, qui, sous le manteau de la sainte Vierge, avec le scapulaire
sur leur corps ou le Rosaire à la main, crient: Sainte Vierge, bonne Vierge, je
vous salue, Marie, et cependant crucifient et déchirent cruellement
Jésus-Christ par leurs péchés et tombent malheureusement, du milieu des plus
saintes confréries de la sainte Vierge, dans le milieu des flammes de
l'enfer.
118. Nous conseillons le saint
Rosaire à tout le monde: aux justes pour persévérer et croître dans la grâce de
Dieu, et aux pécheurs pour sortir de leurs péchés. Mais à Dieu ne plaise que
nous exhortions un pécheur à faire du manteau de la protection de la sainte
Vierge, un manteau de damnation pour voiler ses crimes, et à changer le
Rosaire, qui est un remède à tous maux, en un poison mortel et funeste.
Corruptio optimi pessima. Il faut être un ange en pureté, dit le savant Hugues,
cardinal, pour approcher de la sainte Vierge et réciter la Salutation
angélique. Elle fit un jour voir à un impudique, qui récitait le saint Rosaire
régulièrement tous les jours, de beaux fruits dans un vaisseau souillé
d'ordures; il en eut horreur, et elle lui dit: "Voilà comme tu me sers, tu me
présentes de belles roses dans un vaisseau sale et corrompu. Juge si je puis
les avoir agréables".
42 Rose 119. Il ne suffit pas,
pour bien prier, d'exprimer nos demandes par la plus excellente de toutes les
manières d'oraison qui est le Rosaire, mais il faut encore y apporter une
grande attention, car Dieu écoute plutôt la voix du coeur que celle de la
bouche. Prier Dieu avec des distractions volontaires serait une grande
irrévérence, qui rendrait nos Rosaires infructueux et nous remplirait de
péchés. Comment ose-t-on demander à Dieu qu'il nous écoute, si nous ne nous
écoutons pas nous-mêmes, et si, pendant que nous prions cette redoutable
majesté qui fait tout trembler, nous nous arrêtions volontairement à courir
après un papillon? C'est éloigner de soi la bénédiction de ce grand Seigneur et
la changer dans la malédiction portée contre ceux qui font l'oeuvre de Dieu
négligemment: Maledictus qui facit opus Dei negligenter (Jr 48,10).
120. Vous ne pouvez pas, à la
vérité, réciter votre Rosaire sans avoir quelques distractions involontaires;
il est même bien difficile de dire un Ave Maria sans que votre imagination
toujours remuante ne vous ôte quelque chose de votre attention; mais vous
pouvez le réciter sans distractions volontaires, et vous devez prendre toutes
sortes de moyens pour diminuer les involontaires et fixer votre imagination. A
cet effet, mettez-vous en la présence de Dieu, croyez que Dieu et sa sainte
Mère vous regardent, que votre bon Ange à votre main droite prend vos Ave Maria
comme autant de roses, s'ils sont bien dits, pour en faire une couronne à Jésus
et à Marie, et qu'au contraire, le démon est à votre gauche et rôde autour de
vous, pour dévorer vos Ave Maria et les marquer sur son livre de mort, s'ils ne
sont pas dits avec attention, dévotion et modestie; surtout ne manquez pas de
faire les offrandes des dizaines en l'honneur des mystères, et de vous
représenter, dans l'imagination, Notre-Seigneur et sa sainte Mère dans le
mystère que vous honorez.
121. On lit dans la vie du
bienheureux Herman, de l'ordre des Prémontrés, que, lorsqu'il disait le Rosaire
avec attention et dévotion, en méditant les mystères, la sainte Vierge lui
apparaissait toute brillante de lumière, avec une beauté et majesté
ravissantes. Mais ensuite, sa dévotion s'étant refroidie et ne récitant plus
son Rosaire qu'à la hâte, et sans attention, elle lui apparut le visage tout
ridé, triste et désagréable. Herman, étonné d'un tel changement, la sainte
Vierge lui dit: "Je parais telle devant tes yeux, que je suis à présent dans
ton âme, car tu ne me traites plus que comme une personne vile et méprisable.
Où est le temps que tu me saluais avec respect et attention, en méditant mes
mystères et admirant mes grandeurs?"
45 Rose 122. Comme il n'y a point
de prière plus méritoire à l'âme et plus glorieuse à Jésus et à Marie que le
Rosaire bien dit, il n'y en a point aussi qui soit plus difficile à bien dire
et dans laquelle il soit plus difficile de persévérer, à cause particulièrement
des distractions qui viennent comme naturellement dans la répétition si
fréquente de la même prière. Lorsqu'on dit l'office de la sainte Vierge, ou les
sept psaumes, ou quelques autres prières que le chapelet ou le Rosaire, le
changement ou la diversité des termes dont ces prières sont conçues arrêtent
l'imagination et recréent l'esprit, et par conséquent donnent facilité à l'âme
pour les bien réciter. Mais dans le Rosaire, comme on y a toujours le même
Pater et Ave à dire, et la même forme à garder, il est bien difficile qu'on ne
s'y ennuie, qu'on ne s'y endorme et qu'on ne l'abandonne, pour prendre d'autres
prières plus récréatives et moins ennuyeuses. C'est ce qui fait qu'il faut
infiniment plus de dévotion pour persévérer dans la récitation du saint Rosaire
que d'aucune autre prière, quand ce serait le psautier de David.
123. Ce qui augmente cette
difficulté, c'est notre imagination, qui est si volage qu'elle n'est pas quasi
un moment en repos, et la malice du démon si infatigable à nous distraire et à
nous empêcher de prier. Que ne fait point ce malin esprit contre nous, tandis
que nous sommes à dire notre Rosaire contre lui? Il augmente notre langueur et
notre négligence naturelles. Avant de commencer notre prière, il augmente notre
ennui, nos distractions et nos accablements; pendant que nous le prions, il
nous accable de tous côtés, et il nous sifflera après que nous l'aurons dit
avec beaucoup de peines et de distractions: "Tu n'a rien dit qui vaille; ton
chapelet, ton Rosaire, ne vaut rien, tu ferais bien mieux de travailler et de
faire tes affaires; tu perds ton temps à réciter tant de prières vocales sans
attention; une demi-heure de méditation ou de bonne lecture vaudrait bien
mieux. Demain, que tu seras moins endormi, tu prieras avec plus d'attention,
remets le reste de ton Rosaire à demain". Ainsi le diable, par ses artifices,
fait souvent quitter le Rosaire tout à fait ou en partie, ou fait prendre le
change ou le fait différer.
124. Ne le croyez pas, cher
confrère du Rosaire, et prenez courage, quoique pendant tout votre Rosaire
votre imagination n'ait été remplie que d'imaginations et pensées extravagantes
que vous avez tâché de chasser le mieux que vous avez pu, quand vous vous en
êtes aperçu. Votre Rosaire est d'autant meilleur qu'il est difficile; il est
d'autant plus difficile qu'il est naturellement moins agréable à l'âme et qu'il
est plus rempli de misérables petites mouches et fourmis, qui, ne faisant que
courir çà et là dans l'imagination malgré la volonté, ne [lui] donnent pas à
l'âme le temps de goûter ce qu'elle dit et de se reposer dans la
paix.
125. S'il faut que vous
combattiez pendant tout votre Rosaire, contre les distractions qui vous
viennent, combattez vaillamment les armes au poing, c'est-à-dire en continuant
votre Rosaire, quoique sans aucun goût ni consolation sensible: c'est un
terrible combat, mais salutaire à l'âme fidèle. Si vous mettez les armes bas,
c'est-à-dire si vous quittez votre Rosaire, vous êtes vaincu, et pour lors, le
diable, comme vainqueur de votre fermeté, vous laissera en paix et vous
reprochera au jour du jugement votre pusillanimité et infidélité. "Qui fidelis
est in minimo et in majori fidelis est : Celui qui est fidèle dans les petites
choses le sera aussi dans les plus grandes" (Lc 16,10) Celui qui est fidèle à
rejeter les plus petites distractions à la moindre partie de ses prières, sera
aussi fidèle dans les plus grandes. Rien n'est si sûr, puisque le Saint-Esprit
l'a dit. Courage donc, bon serviteur et servante fidèle à Jésus-Christ et à la
sainte Vierge, qui avez pris la résolution de dire votre Rosaire tous les
jours. Que la multitude des mouches (j'appelle ainsi les distractions qui vous
font la guerre pendant que vous priez), ne soient pas capables de vous faire
lâchement quitter la compagnie de Jésus et de Marie, dans laquelle vous êtes en
disant votre Rosaire. Je mettrai ci-après des moyens de diminuer les
distractions.
44 Rose 126. Après avoir invoqué
le Saint-Esprit, pour bien réciter votre Rosaire, mettez-vous un moment en la
présence de Dieu et faites les offrandes des dizaines, comme vous verrez
ci-après. Avant de commencer la dizaine, arrêtez-vous un moment, plus ou moins,
selon votre loisir, pour considérer le mystère que vous célébrez par la dizaine
et demandez toujours, par ce mystère et l'intercession de la sainte Vierge, une
des vertus qui éclatent le plus dans ce mystère ou dont vous aurez le plus de
besoin. Prenez surtout garde aux deux fautes ordinaires que font presque tous
ceux qui disent le chapelet ou le Rosaire: La première, c'est de ne prendre
aucune intention en disant leur chapelet, en sorte que, si vous leur demandez
pourquoi ils disent leur chapelet, ils ne sauraient vous répondre. C'est
pourquoi ayez toujours en vue, en récitant votre Rosaire, quelque grâce à
demander, quelque vertu à imiter, ou quelque péché à détruire. La seconde faute
qu'on commet ordinairement en récitant le saint Rosaire, c'est de n'avoir point
d'autre intention, en le commençant, que de l'avoir bientôt fini. Cela vient de
ce qu'on regarde le Rosaire comme une chose onéreuse, qui pèse bien fort sur
les épaules lorsqu'on ne l'a pas dit; surtout quand on s'en est fait un
principe de conscience, ou quand on l'a reçu par pénitence et comme malgré
soi.
127. C'est une pitié de voir
comment la plupart disent leur chapelet ou leur Rosaire. Ils le disent avec une
précipitation étonnante et ils mangent même une partie des paroles. On ne
voudrait pas faire un compliment de cette manière ridicule au dernier des
hommes, et on croit que Jésus et Marie en seront honorés!... Après cela,
faut-il s'étonner si les plus saintes prières de la religion chrétienne restent
quasi sans aucun fruit, et si, après mille et dix mille Rosaires récités, on
n'en est pas plus saint? Arrêtez, cher confrère du Rosaire, votre précipitation
naturelle, en récitant votre Rosaire, et faites quelques pauses au milieu du
Pater et de l'Ave, et une plus petite après les paroles du Pater et de lAve que
j'ai marquées par une croix ci-après. Notre Père qui êtes aux cieux + votre nom
soit sanctifié + votre règne arrive + votre volonté soit faite + en la terre
comme au ciel +. Donnez-nous aujourd'hui + notre pain quotidien + et nous
pardonnez nos offenses + comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés +
et ne nous laissez point tomber dans la tentation + mais délivrez-nous du mal.
Ainsi soit-il +. Je vous salue, Marie, pleine de grâce + le Seigneur est avec
vous + vous êtes bénie entre toutes les femmes + et béni est le fruit de votre
ventre, Jésus +. Sainte Marie, Mère de Dieu + priez pour nous pauvres pécheurs,
maintenant + et à l'heure de notre mort. Ainsi soit- il +. Vous aurez d'abord
de la peine à faire ces médiantes, par la mauvaise habitude que vous avez de
prier à la hâte; mais aussi une dizaine dite ainsi posément vous sera plus
méritoire que des milliers de Rosaires récités à la hâte, sans réfléchir ni
s'arrêter.
128. Le bienheureux Alain de la
Roche et d'autres auteurs, entre autres Bellarmin, racontent qu'un bon prêtre
conseilla à trois pénitentes qu'il avait, et qui étaient toutes trois soeurs,
de réciter tous les jours dévotement le Rosaire, pendant un an, sans y manquer,
pour former un bel habillement de gloire à la sainte Vierge, et que c'était un
secret qu'il avait reçu du ciel. Toutes les trois le dirent pendant un an. Le
jour de la Purification, sur le soir, lorsqu'elles étaient couchées, la sainte
Vierge, accompagnée de sainte Catherine et de sainte Agnès, entra dans leur
chambre, revêtue d'un habit tout brillant de lumière, sur lequel il y avait de
tous côtés écrit en lettres d'or: Ave Mariea gratia plena. La Reine des cieux
approcha du lit de l'aînée des soeurs et lui dit: "Je vous salue, ma fille, qui
m'avez si souvent et si bien saluée. Je viens vous remercier des beaux habits
que vous m'avez faits". Les deux saintes vierges qui l'accompagnaient la
remercièrent aussi et toutes trois disparurent. Une heure après, la sainte
Vierge, avec ses deux compagnes, vint encore dans la chambre, habillée d'un
habit vert, mais sans or et sans lumière, approcha du lit de la seconde soeur,
la remercia de cet habit qu'elle lui avait fait, en disant son Rosaire. Mais
comme cette seconde soeur avait vu la sainte Vierge apparaître à sa soeur aînée
avec beaucoup plus de brillant, elle lui en demanda la raison. "C'est, lui
répondit Marie, qu'elle m'a fait de plus beaux habits, en disant mieux son
Rosaire que toi". Environ une heure après, la sainte Vierge apparut une
troisième fois à la plus jeune des soeurs, habillée d'un haillon sale et
déchiré et lui dit: "O fille, vous m'avez ainsi habillée, je vous en remercie".
La jeune fille, couverte de confusion, s'écria: "Et quoi! ma maîtresse, je vous
ai si mal habillée, je vous en demande pardon. Je vous demande du temps pour
faire un plus bel habit, en récitant mieux mon Rosaire". La vision ayant
disparu et la plus jeune soeur fort affligée ayant dit à leur confesseur tout
ce qui s'était passé, il les anima à dire pendant un an leur Rosaire avec plus
de perfection que jamais, ce qu'elles firent. Au bout de l'année, le jour même
de la Purification, la sainte Vierge, accompagnée encore de sainte Catherine et
de sainte Agnès qui portaient des couronnes, et habillée d'un habit
merveilleux, leur apparut sur le soir et leur dit: "Soyez assurées, mes filles,
du royaume des cieux, vous y entrerez demain avec grande allégresse". A quoi
toutes trois répondirent: "Notre coeur est préparé, notre chère Maîtresse,
notre coeur est préparé". La vision disparut. Cette même nuit il leur prit mal,
elles envoyèrent chercher leur confesseur, reçurent les derniers sacrements et
après avoir remercié leur confesseur de la sainte pratique qu'il leur avait
enseignée. Après complies, la sainte Vierge leur apparut encore, accompagnée
d'un grand nombre de vierges, fit revêtir les trois soeurs de robes blanches,
après quoi, elles marchèrent toutes trois pendant que les anges chantaient:
"Venez, épouses de Jésus-Christ, recevez les couronnes qui vous sont preparées
dans l'éternité". Apprenez plusieurs vérités de cette histoire: 1 combien il
est important d'avoir de bons directeurs qui inspirent de saintes pratiques de
piété et particulièrement le saint Rosaire; 2 combien il est important de
réciter le Rosaire avec attention et dévotion; 3 combien la sainte Vierge est
bénigne et miséricordieuse envers ceux qui se repentent du passé et proposent
de mieux faire; 4 combien elle est libérale à récompenser pendant la vie, à la
mort et dans l'éternité, les petits services qu'on lui rend avec
fidélité.
45 Rose 129. J'ajoute qu'il faut
réciter le saint Rosaire avec modestie, c'est-à-dire, autant qu'on peut, à
genoux, les mains jointes, le rosaire en mains. Si cependant on est malade, on
peut le dire en son lit; si on est en voyage, on peut le dire en marchant; si
pour quelques infirmités on ne peut être à genoux, on peut le dire debout ou
assis. On peut même le réciter en travaillant, lorsqu'on ne peut pas quitter
son travail, pour satisfaire aux devoirs de sa profession, car le travail
manuel n'est pas toujours contraire à la prière vocale. J'avoue que notre âme
étant limitée dans son opération, quand elle est attentive au travail des
mains, elle en est moins attentive aux opérations de l'esprit, telle qu'est la
prière; mais cependant, dans la nécessité, cette prière a son prix devant la
sainte Vierge, qui récompense plus la bonne volonté que l'action
extérieure.
130. Je vous conseille de
partager votre Rosaire en trois chapelets ou trois différents temps de la
journée; il vaut mieux le partager ainsi que de le dire tout à la fois. Si vous
ne pouvez pas trouver assez de temps pour en dire le tiers de suite, dites-en
une dizaine ici et une dizaine là; vous pourrez faire en sorte, malgré toutes
vos occupations et affaires, que vous ayez dit votre Rosaire tout entier avant
de vous mettre au lit. Imitez en cela la fidélité de saint François de Sales.
Etant un soir fort fatigué des visites qu'il avait faites pendant la journée,
et étant près de minuit, il se ressouvint qu'il lui restait quelques dizaines
de son Rosaire à dire, il se mit à genoux et les récita avant de se coucher,
malgré tout ce que son aumônier, qui le voyait fatigué, lui pût dire pour
l'engager à remettre à dire au lendemain ce qui lui restait de prières. Imitez
encore la fidélité, modestie et dévotion de ce saint religieux, dont parlent
les chroniques de saint François, qui avait coutume, avant le dîner, de réciter
un chapelet avec beaucoup d'attention et de modestie... J'en ai parlé
ci-devant.
46 Rose 131. De toutes les
manières de réciter le saint Rosaire, la plus glorieuse à Dieu, la plus
salutaire à l'âme et la plus terrible au diable, c'est de le psalmodier ou
réciter publiquement à deux choeurs. Dieu aime les assemblées. Tous les anges
et les bienheureux assemblés dans le ciel y chantent incessamment ses louanges.
Les justes assemblés en plusieurs communautés sur la terre y prient en commun
jour et nuit. Notre-Seigneur a expressément conseillé cette pratique à ses
apôtres et disciples, et leur promit que toutes les fois qu'ils seraient au
moins deux ou trois assemblés en son nom, il se trouverait au milieu de ceux
qui sont assemblés pour prier en son mon et réciter sa même prière. Quel
bonheur d'avoir Jésus-Christ en sa compagnie! Pour le posséder il ne faut que
s'assembler pour dire le chapelet. C'est la raison pourquoi les premiers
chrétiens s'assemblaient si souvent pour prier ensemble, malgré les
persécutions des empereurs, qui leur défendaient les assemblées. Ils aimaient
mieux s'exposer à la mort que de manquer à s'assembler pour avoir la compagnie
de Jésus-Christ.
132. Cette manière de prier est
plus salutaire à l'âme: 1 parce que l'esprit est ordinairement plus attentif
dans une prière publique que dans une particulière; 2 quand on prie en commun,
les prières de chaque partriculier deviennent communes à toute l'assemblée et
ne font toutes ensemble qu'une même prière, en sorte que, si quelque
particulier ne prie pas si bien, un autre dans l'assemblée qui prie mieux
supplée à son défaut. Le fort supporte le faible, le fervent embrase le tiède,
le riche enrichit le pauvre, le mauvais passe parmi le bon. Comment vendre une
mesure d'ivraie? Il ne faut pour cet effet que la mêler avec quatre ou cinq
boisseaux de bon blé; le tout est vendu. 3 Un personne qui récite son chapelet
toute seule n'a que le mérite d'un chapelet; mais si elle le dit avec trente
personnes, elle a le mérite de trente chapelets. Ce sont les lois de la prière
publique. Quel gain! quel avantage! 4 Urbain huitième, étant fort satisfait de
la dévotion du saint Rosaire qu'on récitait à deux choeurs, en plusieurs lieux
de Rome, particulièrement au couvent de la Minerve, donna cent jours
d'indulgences toutes les fois qu'on le réciterait à deux choeurs: Toties
quoties. Ce sont les termes de son bref qui commence: Ad perpetuum rei
memoriam, an 1626. Ainsi, toutes les fois qu'on dit le chapelet en commun, on
gagne cent jours d'indulgences. 5 C'est que cette prière publique est plus
puissante, pour apaiser la colère de Dieu et attirer sa miséricorde, que la
prière particulière, et l'Eglise, conduite par le Saint- Esprit, s'en est
servie dans tous les temps de calamités et de misères publiques. Le pape
Grégoire 13 déclare, par sa bulle, qu'il faut pieusement croire que les prières
publiques et processions des confrères du saint Rosaire avaient beaucoup
contribué à obtenir de Dieu la grande victoire que les chrétiens gagnèrent au
golfe de Lépante sur l'armée navale des Turcs, le 1er dimanche d'octobre en
1571.
133. Louis le Juste, d'heureuse
mémoire, assiégeant La Rochelle, où les hérétiques tenaient leurs forts,
écrivit à la reine sa mère de faire faire des prières publiques pour la
prospérité de ses armes. La reine résolut de faire réciter le Rosaire
publiquement dans l'église des Frères prêcheurs du faubourg Saint-Honoré de
Paris, ce qui fut exécuté par les soins de Monseigneur l'archevêque. On
commença cette dévotion le 20 mai 1628. La reine mère et la reine régnante s'y
rendirent, avec Monseigneur le duc d'Orléans, les cardinaux de la Rochefoucault
et de Bérulle, plusieurs prélats, toute la cour et une foule innombrable de
peuple. Monseigneur l'archevêque lisait à haute voix les méditations sur les
mystères du Rosaire, il commençait ensuite le Pater et l'Ave de chaque dizaine
et les religieux avec les assistants répondaient; après le chapelet, on portait
l'image de la sainte Vierge en procession, en chantant ses litanies. On
continua cette dévotion tous les samedis avec une ferveur admirable et une
bénédiction du ciel évidente, car le roi triompha des Anglais à l'île de Ré et
entra victorieux dans La Rochelle, le jour de la Toussaint de la même année. On
voit par là quelle est la force de la prière publique.
134. Enfin le Rosaire récité en
commun est bien plus terrible au démon, puisqu'on fait, par ce moyen, un corps
d'armée pour l'attaquer. Il triomphe quelquefois fort facilement de la prière
d'un particulier, mais si elle est unie à celle des autres, il n'en peut venir
à bout que difficilement. Il est aisé de rompre une houssine toute seule; mais
si vous l'unissez avec plusieurs autres et en faites un faisceau, on ne peut
plus la rompre. "Vis unita fit fortior". Les soldats s'assemblent en corps
d'armée pour battre leurs ennemis; les méchants s'assemblent souvent pour faire
leurs débauches et leurs danses; les démons même s'assemblent pour nous perdre;
pourquoi donc les chrétiens ne s'assembleront-ils pas pour avoir la compagnie
de Jésus-Christ, pour apaiser la colère de Dieu, pour attirer sa grâce et sa
miséricorde, et pour vaincre et terrasser plus puissamment les démons? Cher
confrère du Rosaire, si vous demeurez à la ville ou à la campagne, auprès de
l'église de la paroisse ou d'une chapelle, allez-y au moins tous les soirs,
avec permission de monsieur le recteur de ladite paroisse, et là en compagnie
de tous ceux qui voudront y venir réciter le chapelet à deux choeurs; faites la
même chose dans votre maison ou celle d'un particulier du village, si vous
n'avez pas la commodité de l'église ou de la chapelle.
135. C'est une sainte pratique
que Dieu, par sa miséricorde, a établie dans les lieux ou j'ai fait des
missions, pour en conserver et augmenter le fruit, pour empêcher le péché. On
ne voyait dans ces bourgs et villages, auparavant que le chapelet y fût établi,
que danses, débauches, dissolutions, immodesties, jurements, querelles,
divisions; on n'y entendait que des chansons déshonnêtes, paroles à double
entente. A présent on n'y entend que le chant des cantiques et la psalmodie du
Pater et de l'Ave; on n'y voit que de saintes compagnies de 20, 30, 100
personnes et plus, qui chantent comme des religieux les louanges de Dieu à une
heure réglée. Il y a même des lieux où on récite le Rosaire en commun tous les
jours, en trois temps de la journée. Quelle bénédiction du ciel! Comme il y a
des réprouvés partout, ne doutez pas qu'il n'y ait, dans les lieux où vous
demeurez, quelques méchants qui négligeront de venir au chapelet, qui s'en
railleront peut-être même et feront tout ce qu'ils pourront, par leurs
mauvaises paroles et leurs mauvais exemples, pour vous empêcher de continuer ce
saint exercice; mais tenez bon. Comme ces malheureux doivent être à jamais
séparés de Dieu et de son paradis, dans l'enfer, il faut qu'ici-bas, par
avance, ils se séparent de la compagnie de Jésus-Christ et de ses serviteurs et
servantes.
47 Rose 136. Séparez-vous des
méchants, peuple de Dieu, âmes prédestinées, et pour vous échapper et vous
sauver du milieu de ceux qui se damnent par leur impiété, indévotion ou
oisiveté, sans perdre le temps, récitez souvent le saint Rosaire avec foi, avec
humilité, avec confiance et avec persévérance. [Premièrement] quiconque pensera
sérieusement au commandement que Jésus-Christ nous a fait de prier toujours, à
l'exemple qu'il nous a donné, aux besoins infinis que nous avons de la prière,
à cause de nos ténèbres, ignorances et faiblesses et de la multitude de nos
ennemis, certes, celui-là ne se contentera pas de réciter le Rosaire une fois
tous les ans, comme la confrérie du Rosaire perpétuel demande, ni toutes les
semaines, comme le Rosaire ordinaire prescrit, mais le récitera tous les jours,
sans y manquer, comme le Rosaire quotidien marque, quoiqu'il n'en ait point
d'autre obligation que celle de son salut. Oportet: il faut, il est nécessaire
semper orare, toujours prier, et non deficere, ne point cesser de
prier.
137. Ce sont des paroles
éternelles de Jésus-Christ, qu'il faut croire et pratiquer sous peine de
damnation. Expliquez- les comme il vous plaira, pourvu que vous ne les
expliquiez pas à la mode, afin de ne les pratiquer qu'à la mode. Jésus- Christ
nous en a donné la vraie explication dans les exemples qu'il nous a laissés:
Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum ego feci, ita et vos faciatis. Joan 13,5.
Erat pernoctans in oratione Dei. Luc 6,12. Comme si le jour ne lui eût pas
suffi, il employait encore la nuit à la prière. Il répétait souvent à ses
apôtres ces deux paroles: Vigilate et orate. Veillez et priez. La chair est
infirme, la tentation est proche et continuelle. Si vous ne priez toujours,
vous y tomberez. Apparemment qu'ils crurent que ce que Notre-Seigneur leur
disait n'était que de conseil, ils interprétèrent ces paroles à la mode, c'est
pourquoi ils tombèrent dans la tentation et dans le péché, étant même dans la
compagnie de Jésus-Christ.
138. Si vous voulez, cher
confrère, vivre à la mode, et vous damner à la mode, c'est-à-dire de temps en
temps tomber dans le péché mortel, et puis aller à confesse, éviter les péchés
grossiers et criants, et conserver les honnêtes, il n'est pas nécessaire que
vous fassiez tant de prières, que vous disiez tant de Rosaires; une petite
prière le matin et le soir, quelques chapelets donnés en pénitences, quelques
dizaines d'Ave Maria sur un chapelet à la cavalière, quand la fantaisie vous en
prend, il n'en faut pas davantage pour vivre en honnête homme. Si vous en
faisiez moins, vous approcheriez du libertinage; si vous en faites plus, vous
approcheriez de la singularité et de la bigoterie.
139. Mais si, comme un vrai
chrétien qui veut se sauver en vérité et marcher sur les traces des saints,
vous voulez ne point tomber du tout en péché mortel, rompre tous les pièges et
eteindre tous les traits enflammés du diable, il faut que vous priiez toujours
comme a enseigné et ordonné Jésus-Christ. Ainsi, il faut pour le moins que vous
disiez votre Rosaire tous les jours ou quelques prières équivalents. Je dis
encore pour le moins, car ce sera tout ce que vous pourrez faire avec votre
Rosaire, tous les jours, que d'éviter tous les péchés mortels et de vaincre
toutes les tentations, au milieu des torrents d'iniquité du monde, qui
emportent souvent les plus assurés; au milieu des ténèbres épaisses qui
aveuglent souvent les plus éclairés, au milieu des esprits malins qui, étant
plus expérimentés que jamais, et ayant moins de temps à tenter, tentent avec
plus de finesse et de succès. Oh! quelle merveille de la grâce du saint
Rosaire, si vous échappez au monde, au diable et à la chair et au péché et vous
sauvez dans le ciel!
140. Si vous ne voulez pas croire
ce que j'avance, croyez-en votre propre expérience. Je vous demande si, lorsque
vous ne faisiez qu'un peu de prières qu'on fait dans le monde, et de la manière
dont on les fait ordinairement, vous pouviez vous empêcher de faire de lourdes
fautes et des péchés griefs qui ne vous paraissaient légers que par votre
aveuglement. Ouvrez donc les yeux, et pour vivre et mourir en saint sans péché,
du moins mortel, priez toujours; récitez tous les jours votre Rosaire, comme
tous les confrères faisaient autrefois dans l'établissement de la confrérie
(voir à la fin de ce livre la preuve de ce que j'avance). La sainte Vierge le
donnant à saint Dominique lui ordonna de le dire et faire dire tous les jours;
aussi le saint ne recevait-il personne dans la confrérie qui ne fût dans la
résolution de le dire tous les jours. Si, à présent, on ne demande dans la
confrérie du Rosaire ordinaire que la récitation d'un Rosaire par semaine,
c'est parce que la ferveur s'est ralentie, la charité s'est refroidie. On tire
ce qu'on peut d'un mauvais prieur. Non fuit ab initio sic. Il faut ici
remarquer trois choses.
141. La première que si vous vou
lez vous enrôler dans la confrérie du Rosaire quotidien et participer aux
prières et mérites de qui y sont, il ne suffit pas d'être enrôlé dans la
confrérie du Rosaire ordinaire, ou de prendre seulement la résolution de
réciter son Rosaire tous les jours. Il faut de plus donner son nom à ceux qui
ont le pouvoir d'enrôler. Il est bon de se confesser et communier à cette
intention; la raison de ceci est que le Rosaire ordinaire ne renferme pas le
quotidien, mais le Rosaire quotidien renferme le Rosaire ordinaire. La seconde
chose à remarquer est qu'il n'y a, absolument parlant, aucun péché, même
véniel, à manquer de réciter le Rosaire de tous les jours, ni de toutes les
semaines, ni de tous les ans. La troisième, c'est que lorsque la maladie ou une
obéissance légitime, ou la nécessité, ou l'oubli involontaire, sont cause que
vous ne pouvez pas réciter votre Rosaire, vous ne laissez pas d'en avoir le
mérite et vous ne perdez pas la participation aux Rosaires des autres
confrères; ainsi il n'est pas absolument nécessaire que le jour suivant vous
récitiez deux Rosaires, pour suplléer à un que vous avez manqué sans votre
faute, comme je suppose. Si cependant la maladie ne vous permet de réciter
qu'une partie de votre Rosaire, vous la devez réciter. Beati qui stant coram te
semper. Beati qui habitant in domo tua, Domine, in saecula saeculorum laudabunt
te. Bienheureux, Seigneur Jésus, les confrères du Rosaire quotidien qui, tous
les jours, sont autour et dans votre petite maison de Nazareth, autour de votre
croix sur le Calvaire, et autour de votre trône dans les cieux, pour méditer et
contempler vos mystères joyeux, douloureux et glorieux. Oh! qu'ils sont heureux
sur la terre par les grâces spéciales que vous leur communiquerez, et qu'ils
seront bienheureux dans le ciel où ils vous loueront d'une manière spéciale
dans les siècles des siècles.
142. Secondement, il faut réciter
le Rosaire avec foi, selon les paroles de Jésus-Christ: Credite quia accipietis
et fiet vobis. Croyez que vous recevrez de Dieu ce que vous lui demandez, et il
vous exaucera. Il vous dira: Sicut credidisti, fiat tibi: Qu'il vous soit fait
comme vous avez cru. Si quis indiget sapientiam, postulet a Deo; postulet autem
in fide nihil haesitans (Jc 1,6): Si quelqu'un a besoin de la sagesse, qu'il la
demande à Dieu, avec foi, sans hésiter, en récitant son Rosaire, et elle lui
sera donnée.
143. Troisièmement, il faut prier
avec humilité, comme le publicain; il était à deux genoux à terre, et non un
genou en l'air ou sur un banc comme les orgueilleux mondains; il était au bas
de l'église et non dans le sanctuaire comme le pharisien; il avait les yeux
baissés vers la terre, n'osant regarder le ciel, et non la tête levée regardant
çà et là comme le pharisien; il frappait sa poitrine, se confessant pécheur et
demandant pardon: Propitius este mihi peccatori (Luc 18,13) et non pas comme le
pharisien, qui méprisait les autres dans ses prières. Gardez-vous de
l'orgueilleuse prière du pharisien qui le rendit plus endurci et plus maudit;
mais imitez l'humilité du publicain dans sa prière qui lui obtient la rémission
de ses péchés. Prenez bien garde de donner dans l'extraordinaire et de demander
et de désirer même des connaissances extraordinaires, des visions, des
révélations et autres grâces miraculeuses que Dieu quelquefois a communiquées à
quelques saints dans la récitation de leur chapelet et Rosaire. "Sola fides
sufficit": la foi seule suffit présentement que l'Evangile et toutes les
dévotions et pratiques de piété sont suffisamment établis. N'omettez jamais la
moindre partie de votre Rosaire dans vos sécheresses, dégoûts et délaissement
intérieurs; ce serait une marque d'orgueil et d'infidélité; mais comme un brave
champion de Jésus et Marie, sans rien voir, sentir, ni goûter, dites tout
sèchement votre Pater et Ave, en regardant le mieux que vous pourrez les
mystères. Ne désirez point le bonbon et les confitures des enfants pour manger
votre pain quotidien; mais pour imiter Jésus- Christ plus parfaitement dans son
agonie, prolongez quelquefois votre Rosaire, lorsque vous sentirez plus de
peine à le réciter: "Factus in agonia prolixius orabat" (Lc 22,43), afin qu'on
puisse dire de vous ce qui est dit de Jésus-Christ, lorsqu'il était dans
l'agonie de la prière: Il priait encore plus longtemps.
144. Quatrièmement, priez avec
beaucoup de confiance, laquelle est fondée sur la bonté et libéralité infinies
de Dieu et sur les promesses de Jésus-Christ. Dieu est une source d'eau vive
qui coule incessamment dans le coeur de ceux qui prient. Jésus-Christ est la
mamelle du Père éternel toute pleine du lait de la grâce et de la vérité. Le
plus grand désir qu'ait le Père éternel à notre égard, c'est de nous
communiquer les eaux salutaires de sa grâce et de sa miséricorde, et il crie:
"Omnes sitientes venite ad aquas" (Is 55): Venez boire de mes eaux par la
prière, et quand on ne le prie pas il se plaint de ce qu'on l'abandonne: "Me
dereliquerunt fontem aquae vivae" (Jr 2,13). C'est faire plaisir à Jésus-Christ
de lui demander ses grâces et plus grand plaisir qu'on ne ferait à une mère
nourrice, dont les mamelles sont toutes pleines, en lui suçant son lait. La
prière est le canal de la grâce de Dieu et le tétin des mamelles de
Jésus-Christ. Si on ne les suce pas par la prière comme doivent faire tous les
enfants de Dieu, il s'en plaint amoureusement: "Usque modo non petistis
quidquam, petite et accipietis, quaerite et invenietis, pulsate et aperietur
vobis" (Mt 7,7). Jusqu'à ici vous ne m'avez rien demandé. Ah! demandez-moi et
je vous donnerai, cherchez chez moi et vous trouverez; frappez à ma porte et je
vous l'ouvrirai. De plus, pour nous donner encore plus de confiance à le prier,
il a engagé sa parole: que le Père éternel nous accorderait tout ce que nous
lui demanderions en son nom.
48 Rose 145. Mais à notre
confiance joignons, en cinquième lieu, la persévérance dans la prière. Il n'y
aura que celui qui persévérera à demander, à chercher et à frapper, qui
recevra, qui trouvera et qui entrera. Il ne suffit pas de demander quelques
grâces à Dieu pendant un mois, un an, dix ans, vingt ans; il ne faut point
s'ennuyer, et non deficere, il faut la demander jusqu'à la mort et être résolu
ou à obtenir ce qu'on lui demande pour son salut ou à mourir, et mêne il faut
joindre la mort avec la persévérance dans la prière et la confiance en Dieu et
dire: Etiam si occident me, sperabo in eum: Quand il devrait me tuer,
j'espérerais en lui et de lui ce que je lui demande.
146. La libéralité des grands et
riches du monde paraît à prévenir par leurs bienfaits ceux qui en ont besoin,
avant même qu'ils les leur demandent; mais Dieu, tout au contraire, montre sa
magnificence à faire longtemps chercher et demander les grâces qu'il veut
accorder, et plus la grâce qu'il veut faire est précieuse et plus longtemps il
diffère del'accorder: 1 Afin, par là, de l'augmenter encore davantage; 2 Afin
que la personne qui la recevra en ait une grande estime; 3 Afin qu'elle se
donne de garde de la perdre après l'avoir reçue; car on n'estime pas beaucoup
ce qu'on obtient en un moment et à peu de frais. Persévérez donc, mon cher
confrère du Rosaire, à demander à Dieu par le saint Rosaire tous vos besoins
spirituels et corporels et particulièrement la divine Sagesse qui est un trésor
infini: Thesaurus est infinitus (Sg 7,14), et vous l'obtiendrez tôt ou tard
infailliblement, pourvu que vous ne le quittiez point et que vous ne perdiez
point courage au milieu de votre course. Grandis enim tibi restat via (3 Rg
19). Car vous avez encore beaucoup de chemin à faire, beaucoup de mauvais temps
à essuyer, beaucoup de difficultés à surmonter, beaucoup d'ennemis à terrasser,
avant que vous ayez assez amassé de trésors de l'éternité, des Pater et Ave
pour acheter le paradis et gagner la belle couronne qui attend un fidèle
confrère du Rosaire. Nemo accipiat coronam tuam: Prenez garde qu'un autre, plus
fidèle que vous à dire son Rosaire tous les jours, ne vous l'enlève: Coronam
tuam: elle était vôtre, Dieu vous l'avait préparée, elle était vôtre, vous
l'aviez déjà demi gagnée par vos Rosaires bien dits, et parce que vous vous
êtes arrêté en si beau chemin où vous courriez si bien, currebatis bene (Gal
5,7). Un autre, qui vous a devancé, y est arrivé le premier; un autre plus
diligent et plus fidèle a acquis et payé, par ses Rosaires et bonnes oeuvres,
ce qui était nécessaire pour avoir cette couronne. Quid vos impedivit? (Gal
5,7): Qui est-ce qui vous a empêché d'avoir la couronne du saint Rosaire?
Hélas! les ennemis du saint Rosaire, qui sont en si grand nombre.
147. Croyez-moi, il n'y a que les
violents qui la ravissent de force: Violenti rapiunt (Mt 11,12). Ces couronnes
ne sont pas pour ces timides qui craignent les railleries et les menaces du
monde. Ces couronnes ne sont pas pour ces paresseux et fainéants, qui ne disent
leur Rosaire qu'avec négligence, ou à la hâte, ou par manière d'acquit, ou par
intervalle, selon leur fantaisie. Ces couronnes ne sont pas pour ces poltrons
qui perdent coeur et mettent les armes bas, quand ils voient tout l'enfer
déchaîné contre leur Rosaire. Si vous voulez, cher confrère du Rosaire,
entreprendre de rendre service à Jésus et Marie en récitant le Rosaire tous les
jours, préparez votre âme à la tentation: Accedens ad servitutem Dei, praepara
animam tuam ad tentationem (Si 2,1).Les hérétiques, les libertins, les honnêtes
gens du monde, les demi-dévots et faux prophètes, de concert avec votre nature
corrompue et tout l'enfer, vous livreront de terribles combats, pour vous faire
quitter cette pratique.
148. Pour vous prémunir contre
les attaques, non pas tant des hérétiques et des libertins déclarés que des
honnêtes gens selon le monde, et des personnes même dévotes à qui cette
pratique ne revient pas, je veux vous rapporter ici simplement une petite
partie de ce qu'ils pensent et disent tous les jours. Quid vult seminiverbius
ille? Venite, opprimamus eum, contrarius est enim, etc.: Que veut dire ce grand
diseur de chapelets et de Rosaires, qu'est-ce qu'il marmotte toujours? quelle
fainéantise! il ne fait rien autre chose que chapeleter, il ferait bien mieux
de travailler, sans s'amuser à tant de bigoteries. Vraiment oui!.... Il ne faut
que dire son Rosaire, et les alouettes toutes rôties tomberont du ciel; le
Rosaire nous apportera bien de quoi dîner. Le bon Dieu dit: Aide-toi, je
t'aiderai. Pourquoi aller s'embarrasser de tant de prières? Brevis oratio
penetrat coelos; un Pater et un Ave bien dits suffisent. Le bon Dieu ne nous a
point commandé le chapelet ni le Rosaire; cela est bon, c'est une bonne chose
quand on a le temps, mais on n'en sera pas moins sauvé pour cela. Combien de
saints qui ne l'ont jamais dit? Il y a des gens qui jugent tout le monde à leur
aune, il y a des indiscrets qui portent tout à l'extrémité, il y a des
scrupuleux qui mettent du péché où il n'y en a point, ils disent que tous ceux
qui ne diront pas leur Rosaire seront damnés. Dire son chapelet, cela est bon
pour les femmelettes, ignorantes, qui ne savent pas lire. Dire son Rosaire?
Vaut-il pas mieux dire l'Office de la sainte Vierge ou réciter les sept
psaumes? Y a-t-il rien de si beau que ces psaumes que le Saint-Esprit a dictés?
Vous entreprenez de dire votre Rosaire tous les jours; feu de paille que tout
cela, cela ne durera pas longtemps; ne vaut-il pas mieux en prendre moins et y
être plus fidèle? Allez, mon cher ami, croyez-moi, faites bien votre prière
soir et matin et travaillez pour Dieu pendant la journée, Dieu ne vous demande
pas davantage. Si vous n'aviez pas, comme vous avez, votre vie à gagner, encore
passe, vous pourriez vous engager à dire votre Rosaire; vous pouvez le dire les
dimanches et fêtes à votre loisir, mais non pas les jours ouvriers, il vous
faut travailler. Quoi! avoir un si grand chapelet de bonne femme! J'en ai vu
d'une dizaine, il vaut autant qu'un de quinze dizaines. Quoi! porter le
chapelet à la ceinture, quelle bigoterie; je vous conseille de le mettre à
votre cou, comme font les Espagnols; ce sont de grands diseurs de chapelets,
ils portent un grand chapelet d'une main, tandis qu'ils ont dans l'autre une
dague pour donner un coup de traître. Laissez là, laissez là ces dévotions
extérieures, la vraie dévotion est dans le coeur, etc.
149. Plusieurs habiles gens et
grands docteurs, mais esprits forts et orgueilleux, ne vous conseilleront guère
le saint Rosaire; ils vous porteront plutôt à réciter les sept psaumes
pénitentiaux ou quelques autres prières que celle-là. Si quelque bon confesseur
vous a donné en pénitence un Rosaire à dire pendant quinze jours ou un mois,
vous n'avez qu'à aller à confesse à quelqu'un de ces messieurs, pour que votre
pénitence vous soit changée en quelques autres prières, jeûnes, messes ou
aumônes. Si vous consultez même quelques personnes d'oraison, qu'il y a dans le
monde, comme elles ne connaissent point par leur expérience l'excellence du
Rosaire, non seulement elles ne le conseillerons pas à personne, mais elles en
détourneront les autres pour les appliquer à la contemplation, comme si le
Rosaire et la contemplation étaient incompatibles, comme si tant de saints qui
ont été dévots au Rosaire n'avaient pas été dans la plus sublime contemplation.
Vos ennemis domestiques vous attaqueront d'autant plus cruellement que vous
êtes plus uni avec eux. Je veux dire les puissances de votre âme et les sens de
votre corps, les distractions de l'esprit, les ennuis de la volonté, les
sécheresses du coeur, les accablements et les maladies du corps, tout cela, de
concert avec les malins esprits qui s'y mêleront, vous crieront: Quitte ton
Rosaire, c'est lui qui te fait mal à la tête; quitte ton Rosaire, il n'y a
point d'obligation sous peine de péché; n'en dis du moins qu'une partie, tes
peines sont une marque que Dieu ne veut pas que tu le dises, tu le diras demain
quand tu seras mieux disposé, etc.
150. Enfin, mon cher frère, le
Rosaire quotidien a tant d'ennemis que je regarde comme une des plus signalées
faveurs de Dieu que la grâce d'y persévérer jusqu'à la mort. Persévérez-y et
vous aurez la couronne admirable qui est préparée dans les cieux à votre
fidélité: Esto fidelis usque ad mortem et dabo tibi coronam (Ap
2,10).
49e Rose 151. Afin qu'en récitant
votre Rosaire vous gagniez les indulgences accordées aux confrères du saint
Rosaire, il est à propos de faire quelques remarques sur les indulgences.
L'indulgence en général est une rémission ou relaxation des peines temporelles,
dues pour les péchés actuels, par l'application des satisfactions surabondantes
de Jésus-Christ, de la sainte Vierge et de tous les saints, qui sont renfermées
dans les trésors de l'Eglise. L'indulgence plénière est une rémission de toutes
les peines dues au péché; la non plénière, comme de 100, 1.000 [ans], plus ou
moins, est la rémission d'autant de peines, qu'on aurait pu expier pendant cent
ou mille années, si l'on avait reçu aussi longtemps à proportion des pénitences
taxées par les anciens canons de l'Eglise. Or ces canons ordonnaient pour un
seul péché mortel sept et quelquefois dix et quinze ans de pénitence, en sorte
qu'une personne qui aurait fait vingt péchés mortels devait pour le moins faire
sept, vingt années de pénitence, et ainsi du reste.
152. Pour que les confrères du
Rosaire en gagnent les indulgences, il faut: premièrement qu'ils soient
vraiment pénitents et confessés et communiés, comme disent les bulles des
indulgences; deuxièmement qu'ils n'aient affection à aucun péché véniel, parce
que l'affection au péché restant, la coulpe reste, et la coulpe restant, la
peine n'est point remise; troisièmement il faut qu'ils fassent les prières et
autres bonnes oeuvres marquées par la bulle; et si, selon l'intention des
papes, on peut gagner une indulgence non plénière, par exemple de 100 ans, sans
gagner la plénière, il n'est pas toujours nécessaire pour les gagner d'être
confessé et communié, comme sont les indulgences attachées à la récitation du
chapelet et Rosaire, aux processions, aux rosaires bénits, etc. Ne négligez pas
ces indulgences.
153. Flammin et un grand nombre
d'auteurs rapportent qu'une demoiselle de bon lieu nommée Alexandre, ayant été
miraculeusement convertie et enrôlée dans la confrérie du Rosaire par saint
Dominique, lui apparut après sa mort et lui dit qu'elle était condamnée à être
sept cents ans en purgatoire pour plusieurs péchés qu'elle avait commis et fait
commettre à plusieurs par ses vanités mondaines, le priant de la soulager et
faire soulager par les prières des confrères du Rosaire, ce qu'il fit. Quinze
jours après, elle apparut à saint Dominique, plus brillante qu'un soleil, ayant
été délivrée si promptement par les prières que les confrères du Rosaire
avaient faites pour elle. Elle avertit aussi le saint qu'elle venait de la part
des âmes du Purgatoire, pour l'exhorter à continuer à prêcher le Rosaire et
faire en sorte que leurs parents leur fassent part de leurs Rosaires, dont
elles les recompenseraient abondamment quand elles seraient avancées dans la
gloire.
154. Afin de vous faciliter
l'exercice du saint Rosaire, voici plusieurs méthodes pour le réciter
saintement, avec la méditation des mystères joyeux, douloureux et glorieux de
Jésus et de Marie. Vous vous arrêterez à celle qui sera le plus à votre goût:
vous pourrez vous en former vous-même une autre méthode particulière, comme
plusieurs saints personnages ont fait.
Rosaire
pour se convertir et se sauver
De Saint Louis-Marie Grignion de
Montfort
ROSE BLANCHE
1. Ministres du Très-Haut,
prédicateurs de la vérité, trompettes de l'Evangile, permettez-moi de vous
présenter la rose blanche de ce petit livre pour mettre en votre coeur et en
votre bouche les vérités qui y sont exposées simplement, sans politesse. En
votre coeur, pour entreprendre vous-mêmes la sainte pratique du Rosaire et en
goûter les fruits. En votre bouche, pour prêcher aux autres l'excellence de
cette pratique et les convertir par ce moyen. Prenez bien garde, s'il vous
plaît, de regarder comme le vulgaire, et même comme plusieurs savants
orgueilleux, cette pratique comme petite et de peu de conséquence; elle est
vraiment grande, sublime et divine. C'est le ciel qui nous l'a donnée, et l'a
donnée pour convertir les pécheurs les plus endurcis et les hérétiques les plus
obstinés. Dieu y a attaché la grâce dans cette vie et la gloire dans l'autre.
Les saints l'ont pratiquée et les souverains Pontifes l'ont autorisée. Oh!
qu'un prêtre et un directeur des âmes est heureux, à qui le Saint-Esprit a
révélé ce secret inconnu de la plus grande partie des hommes ou qui ne le
connaissent que superficiellement! S'il en reçoit la connaissance pratique, il
le récitera tous les jours et le fera réciter aux autres. Dieu et sa sainte
Mère verseront abondamment la grâce en son âme pour être un instrument de sa
gloire; et il fera plus de fruit par sa parole, quoique simple, en un mois, que
les autres prédicateurs en plusieurs années.
2. Ne nous contentons donc pas,
mes chers confrères, de le conseiller aux autres; il faut que nous le
pratiquions nous- mêmes. Nous pourrons être convaincus dans l'esprit de
l'excellence du saint Rosaire, mais comme nous ne le pratiquerons point, on se
mettra fort peu en peine de ce que nous conseillerons, car personne ne donne ce
qu'il n'a pas: "Coepit Jesus facere et docere". Imitons Jésus-Christ, qui a
commencé par faire ce qu'il a enseigné. Imitons l'Apôtre, qui ne connaissait et
ne prêchait que Jésus-Christ crucifié. C'est ce que nous ferons en prêchant le
saint Rosaire qui, comme vous verrez ci-après, n'est pas seulement une
composition de Pater et d'Ave, mais un divin abrégé de la vie, de la passion,
de la mort et la gloire de Jésus et Marie. Si je croyais que l'expérience que
Dieu m'a donnée de l'efficace de la prédication du saint Rosaire pour convertir
les âmes pût vous déterminer à prêcher le saint Rosaire malgré la mode
contraire des prédicateurs, je vous dirais les conversions merveilleuses que
j'ai vues arriver en prêchant le saint Rosaire; mais je me contente de vous
rapporter en cet abrégé quelques histoires anciennes et bien approuvées. J'ai
seulement, en votre faveur, inséré plusieurs passages latins tirés de bons
auteurs qui prouvent ce que j'explique au peuple en français.
ROSE ROUGE
3. C'est à vous, pauvres pécheurs
et pécheresses, qu'un plus grand pécheur que vous offre cette rose rougie du
sang de Jésus-Christ pour vous fleurir et vous sauver. Les impies et pécheurs
impénitents crient tous les jours: "Coronemus nos rosis": couronnons-nous de
roses. Chantons aussi: Couronnons- nous des roses du saint Rosaire. Ah! que
leurs roses sont bien différentes des nôtres; leurs roses sont leurs plaisirs
charnels, leurs vains honneurs et leurs richesses périssables, qui seront
bientôt flétries et pourries; mais les nôtres, qui sont nos Pater et nos Ave
bien dits, joints avec nos bonnes oeuvres de pénitence, ne se flétriront, ni ne
passeront jamais et leur éclat sera aussi brillant en cent mille ans d'ici qu'à
présent. Leurs roses prétendues n'ont que l'apparence de roses, elles ne sont,
dans le fond, que des épines piquantes pendant la vie par les remords de la
concience, perçantes à la mort par le repentir et brûlantes à toute éternité
par la rage et le desespoir. Si nos roses ont des épines, ce sont des épines de
Jésus- Christ qui convertit nos épines en roses. Si nos roses piquent, elles ne
piquent que pour un temps, elle ne piquent que pour nous guérir du péché et
nous sauver.
4. Couronnons-nous à l'envi de
telles roses du paradis, récitant tous les jours un Rosaire, c'est-à-dire trois
chapelets de cinq dizaines chacun ou trois petits chapeaux de fleurs ou
couronnes: 1 pour honorer les trois couronnes de Jésus et de Marie, la couronne
de grâce de Jésus dans son incarnation, sa couronne d'épines dans sa passion et
sa couronne de gloire dans le ciel, et la triple couronne que Marie a reçue
dans le ciel de la très sainte Trinité; 2 pour recevoir de Jésus et de Marie
trois couronnes, la première de mérite pendant la vie, la seconde de paix à la
mort et la troisième de gloire dans le paradis. Si vous êtes fidèles à le dire,
malgré la grandeur de vos péchés, dévotement jusqu'à la mort, croyez-moi:
"Percipietis coronam immarcescibilem", vous recevrez une couronne de gloire qui
ne se flétrira jamais. Quand vous seriez sur le bord de l'abîme, quand vous
auriez déjà un pied dans l'enfer, quand vous auriez vendu votre âme au diable
comme un magicien, quand vous seriez un hérétique endurci et obstiné comme un
démon, vous vous convertirez tôt ou tard et vous sauverez, pourvu que, je le
répète et remarquez les paroles et les termes de mon conseil, vous disiez tous
les jours le saint Rosaire dévotement jusqu'à la mort pour connaître la vérité
et obtenir la contrition et le pardon de vos péchés. Vous verrez en cet ouvrage
plusieurs histoires de grands pécheurs convertis par la vertu du saint Rosaire.
Lisez-les pour les méditer. Dieu seul.
ROSIER MYSTIQUE
5. Vous ne trouverez pas mauvais,
âmes dévotes et éclairées par le Saint-Esprit, que je vous donne un petit
rosier venu du ciel pour planter dans le jardin de votre âme; il n'endommagera
pas les fleurs odoriférantes de vos contemplations. Il est très odoriférant et
tout divin, il ne gâtera rien dans l'ordre de votre parterre; il est très pur
et bien ordonné, il porte tout à l'ordre et à la pureté: il croît d'une hauteur
si prodigieuse et devient d'une si grande étendue, si on l'arrose et si on le
cultive comme il faut tous les jours, que non seulement il n'empêche pas, mais
même conserve et perfectionne toutes les autres dévotions. Vous qui êtes
spirituelles, vous m'entendez bien! Ce rosier est Jésus et Marie dans la vie,
la mort et dans l'éternité.
6. Les feuilles vertes de ce
rosier mystique expriment les mystères joyeux de Jésus et de Marie; les épines,
les douloureux; et les fleurs, les glorieux. Les roses en boutons sont
l'enfance de Jésus et de Marie; les roses ouvertes représentent Jésus et Marie
dans les souffrances, et les roses épanouies montrent Jésus et Marie dans leur
gloire et leur triomphe. La rose réjouit par sa beauté: voilà Jésus et Marie
dans les mystères joyeux; elle pique par ses épines: les voilà dans les
mystères douloureux; et elle réjouit par la suavité de son odeur: les voilà
enfin dans les mystères glorieux. Ne méprisez donc pas ma plante heureuse et
divine, plantez-la vous-mêmes en votre âme en prenant la résolution de réciter
votre Rosaire; cultivez-la et arrosez-la en le récitant fidèlement tous les
jours et en faisant de bonnes oeuvres, et vous verrez que ce grain qui paraît
présentement si petit deviendra avec le temps un grand arbre où les oiseaux du
ciel, c'est-à-dire les âmes prédestinées et élevées en contemplation, feront
leur nid et leur demeure pour être, sous l'ombre de ses feuilles, garanties des
ardeurs du soleil, pour être préservées par sa hauteur des bêtes féroces de la
terre, et enfin pour être délicatement nourries par son fruit qui n'est autre
que l'adorable Jésus, auquel soit honneur et gloire dans les siècles des
siècles. Amen. Ainsi soit-il. Dieu seul.
BOUTON DE ROSE
7. Je vous offre, mes petits
enfants, un beau bouton de rose; c'est un des petits grains de votre chapelet
qui vous paraît si peu de chose! Que ce grain est précieux! Oh! que ce bouton
de rose est admirable, oh! qu'il s'épanouira large si vous dites dévotement
vote Ave Maria! Ce serait trop vous demander que de vous conseiller un Rosaire
tous les jours. Dites au moins votre chapelet tous les jours bien dévotement,
qui est un petit chapeau de roses que vous mettrez sur la tête de Jésus et de
Marie. Croyez-moi, écoutez la belle histoire et la retenez bien.
8. Deux petites filles, toutes
deux soeurs, étant à la porte de leur logis à dire le chapelet dévotement, une
belle dame s'apparut à elles, approche de la plus jeune qui n'avait que six à
sept anas, la prit par la main et l'emmène. Sa soeur aînée, toute étonnée, la
cherche et ne l'ayant pu trouver s'en vint toute éplorée à la maison et dit
qu'on avait emporté sa soeur. Le père et la mère cherchèrent inutilement
pendant trois jours. Au bout du troisième jour, ils la trouvèrent à la porte
avec un visage gai et joyeux; ils lui demandèrent d'où elle venait; elle dit
que la dame à laquelle elle disait son chapelet l'avait emmenée dans un beau
lieu et lui avait donné à manger de bonnes choses et lui avait mis entre les
bras un joli petit enfant qu'elle avait tant baisé. Le père et la mère, qui
étaient nouvellement convertis à la foi, firent venir le révérend père jésuite
qui les avait instruits dans la foi et la dévotion du Rosaire, ils lui
racontèrent ce qui s'était passé. C'est de lui que nous l'avons su. Ceci est
arrivé dans le Paraguay. Imitez, mes petits enfants, ces petites filles, et
dites comme elle tous les jours votre chapelet, et vous mériterez par là
d'aller en paradis et de voir Jésus et Marie, sinon pendant la vie, du moins
après la mort pendant l'éternité. Ainsi soit-il. Que les savants donc et les
ignorants, que les justes et les pécheurs, que les grands et les petits louent
et saluent jour et nuit par le saint Rosaire Jésus et Marie. "Salutate Mariam,
quae multum laboravit in vobis" (Rm 16,6)
PREMIERE
DIZAINE
L'excellence du saint
Rosaire dans son origine et son nom.
1ère Rose 9. Le Rosaire renferme
deux choses, savoir: l'oraison mentale et l'oraison vocale. L'oraison mentale
du saint Rosaire n'est autre que la méditation des principaux mystères de la
vie, de la mort et de la gloire de Jésus-Christ et de sa très sainte Mère.
L'oraison vocale du Rosaire consiste à dire quinze dizaines d'Ave Maria
précédées par un Pater pendant qu'on médite et qu'on contemple les quinze
vertus principales que Jésus et Marie ont pratiquées dans les quinze mystères
du saint Rosaire. Dans le premier chapelet, qui est de cinq dizaines, on honore
et on considère les cinq mystères joyeux; au second les cinq mystères
douloureux, et au troisième les cinq mystères glorieux. Ainsi le saint Rosaire
est un sacré composé de l'oraison vocale et mentale pour honorer et imiter les
mystères et les vertus de la vie, de la mort et de la passion et de la gloire
de Jésus-Christ et de Marie.
2 Rose 10. Le saint Rosaire dans
son fond et dans sa substance étant composé de la prière de Jésus-Christ et de
la Salutation angélique, savoir le Pater et l'Ave, et de la méditation des
mystères de Jésus et de Marie, c'est sans doute la première prière et la
première dévotion des fidèles, qui depuis les apôtres et les disciples a été en
usage de siècle en siècle jusqu'à nous.
11. Cependant le saint Rosaire,
dans sa forme et la méthode dont on le récite à présent, n'a été inspiré à son
Eglise, donné de la très sainte Vierge à saint Dominique pour convertir les
hérétiques albigeois et les pécheurs, qu'en l'an 1214, de la manière que je
vais dire, comme le rapporte le bienheureux Alain de la Roche dans son fameux
livre intitulé: "De Dignitate psalterii". Saint Dominique, voyant que les
crimes des hommes mettaient obstacle à la conversion des Albigeois, entra dans
une forêt proche de Toulouse et y passa trois jours et trois nuits dans une
continuelle oraison et pénitence; il ne cessait de gémir, de pleurer et de se
macérer le corps à coups de discipline, afin d'apaiser la colère de Dieu, de
sorte qu'il tomba à demi mort. La Sainte Vierge lui apparut, accompagnée de
trois princesses du ciel et lui dit: "Sais-tu, mon cher Dominique, de quelle
arme la Sainte-Trinité s'est servie pour réformer le monde? - O Madame,
répondit-il, vous le savez mieux que moi, car après votre Fils Jésus-Christ
vous avez été le principal instrument de notre salut." Elle ajouta: "Sache que
la principale pièce de batterie a été le psautier angélique, qui est le
fondement du Nouveau Testament; c'est pourquoi, si tu veux gagner à Dieu ces
coeurs endurcis, prêche mon psautier." Le saint se leva tout consolé et,
brûlant du zèle du salut de ces peuples, il entra dans l'église cathédrale;
incontinent les cloches sonnèrent par l'entremise des anges pour assembler les
habitants, et au commencement de la prédication un orage effroyable s'éleva; la
terre trembla, le soleil s'obscurcit, les tonnerres et les éclairs redoublés
firent pâlir et trembler tous les auditeurs; et leur terreur augmenta quand ils
virent une image de la Sainte Vierge exposée sur un lieu éminent, lever les
bras par trois fois vers le ciel pour demander vengeance à Dieu contre eux,
s'ils ne se convertissaient et ne recouraient à la protection de la sacrée Mère
de Dieu. Le ciel voulait par ces prodiges augmenter la nouvelle dévotion du
saint Rosaire et la rendre plus fameuse. L'orage cessa enfin par les prières de
saint Dominique. Il poursuivit son discours et expliqua avec tant de ferveur et
de force l'excellence du saint Rosaire, que les Toulousains l'embrassèrent
presque tous et renoncèrent presque tous à leurs erreurs, et l'on vit, en peu
de temps, un grand changement de moeurs et de vie dans la ville.
3 Rose 12. Cet établissement
miraculeux du saint Rosaire, qui a quelque rapport avec la manière dont Dieu
donna sa loi au monde sur la montagne de Sinaï, montre évidemment l'excellence
de cette divine pratique; aussi saint Dominique, inspiré du Saint-Esprit,
instruit par la Sainte Vierge et par sa propre expérience, prêcha tout le reste
de sa vie le saint Rosaire par exemple et de vive voix dans les villes et les
campagnes, devant les grands et les petits, devant les savants et les
ignorants, devants les catholiques et les hérétiques. Le saint Rosaire, qu'il
récitait tous les jours, était sa préparation devant la prédication et son
rendez-vous après la prédication.
13. Lorsque le saint était, un
jour de Saint-Jean l'Evangéliste, à Notre-Dame de Paris, derrière le grand
autel, dans une chapelle, pour se préparer à prêcher, en récitant le saint
Rosaire, la Sainte Vierge lui apparut et lui dit: "Dominique, quoique ce que tu
as préparé pour prêcher soit bon, voici pourtant un sermon bien meilleur que je
t'apporte." Saint Dominique reçoit de ses mains le livre où était ce sermon, le
lit, le goûte et le comprend, en rend grâce à la Sainte Vierge. L'heure du
sermon arrivé, il monte en chaire et, après n'avoir dit à la louange de saint
Jean l'Evangéliste autre chose sinon qu'il avait mérité d'être le gardien de la
Reine du ciel, il dit à toute l'assemblée des grands et des docteurs qui
étaient venus l'entendre, qui étaient accoutumés à n'entendre que des discours
curieux et polis, mais que, pour lui, il ne parlerait point dans les paroles
savantes de la sagesse humaine, mais dans la simplicité et la force du Saint-
Esprit. Alors saint Dominique leur prêcha le saint Rosaire et leur expliqua mot
à mot, comme à des enfants, la Salutation angélique, en se servant des
comparaisons fort simples qu'il avait lues dans le papier que lui avait donné
la Sainte Vierge.
14. Voici les propres paroles du
savant Cartagène qu'il a tirées en partie du livre du bienheureux Alain de la
Roche intitulé "De Dignitate psalterii": B. Alanus Patrem sanctum Dominicum
sibi haec in revelatione dixisse testatur: "Tu praedicas, fili, sed uti caveas
ne potius laudem humanam quaerans quam animarum fructum, audi quid mihi
Parisiis contigit. Debebam in majori ecclesia beatae Mariae praedicare, et
volebam curiose non jactantiae causa, sed propter astantium facultatem et
dignitatem. Cum igitur more meo per horam fere ante sermonem in psalterio meo
(Rosarium intelligit) quadam capilla post altare majus orarem, subito factus in
raptum, cernebam amicam meam Dei Genitricem afferentem mihi libellum et
dicentem: "Dominice, et si bonum est quod praedicare disposuisti sermonem,
tamen longe meliorem attuli." Laetus librum capio, lego constanter, ut dixit,
reperio, gratias ago, adest hora sermonis, adest parisiensis Universitas tota,
dominorumque numerus magnus. Audiebant quippe et videbant signa magna quae per
me Dominus operabatur; itaque ambonem ascendo. Festum est sancti Joannis
Evangelistae. De eo aliud non dico nisi quod custos singularis esse meruit
Reginae coeli. Deinde auditores sic alloquor: Domini et Magistri
praestantissimi, aures reverentiae vestrae solitae sunt curiosos audire
sermones et auscultare. At nunc ego non in doctis humanae sapientiae verbis,
sed in ostentione spiritus et virtutis loquar." Tunc, ait Carthagena post
beatum Alanum, stans Dominicus eis explicavit Salutationem angelicam
comparationibus et similitudinibus familiaribus hoc modo.
15. Et le bienheureux Alain de la
Roche, comme dit le même Cartagène, rapporte plusieurs autres apparitions de
Notre- Seigneur et de la Sainte Vierge à saint Dominique pour le preser et
l'animer de plus en plus à prêcher le saint Rosaire, afin de détruire le péché
et de convertir les pécheurs et les hérétiques: il dit en un endroit: "Beatus
Alanus dicit sibi a beata Virgine revelatum fuisse Christum Filium suum
apparuisse post se sancto Dominico et ipsi dixesse: "Dominice, gaudeo quod non
confidas in tua sapientia, sed cum humilitate potius affectas salvare animas
quam vanis hominibus placere. Sed multi praedicatores statim volunt contra
gravissima peccata instare, ignorantes quod ante gravem medicinam debet fieri
praeparatio, ne medicina sit inanis et vacua: quapropter prius homines debent
induci ad orationis devotionem et signanter ad psalterium meum angelicum;
quoniam, si omnes coeperint hoc orare, non dubium est quin perseverantibus
aderit pietas divinae clementiae. Praedica ergo psalterium meum".
16. Il dit dans un autre endroit:
"Omnes sermocinantes et praedicantes christicolis exordium pro gratia
impetranda a Salutatione angelica faciunt. Hujus rei ratio sumpta est ex
revelatione facta beato Dominico cui beata Virgo dixit: "Dominice, fili, nil
mireris quod concionando minime proficias. Enimvero aras solum a pluvia non
irrigatum. Scitoque, cum Deus renovare decrevit mundum Salutationis angelicae
pluviam praemisit; sicque ipse in melius est reformatus. - Hortare igitur
homines in concionibus ad Rosarii mei recitationen, et magnos animarum fructus
colliges." Quod sanctus Dominicus strenue executus uberes ex suis concionibus
animarum fructus retulit."
17. J'ai pris plaisir à rapporter
mot à mot ces passages latins de ces bons auteurs en faveur des prédicateurs et
personnes savantes qui pourraient révoquer en doute la merveilleuse vertu du
saint Rosaire. Pendant qu'à l'exemple de saint Dominique les prédicateurs
prêchaient la dévotion du saint Rosaire, la piété et la ferveur florissaient
dans les ordres religieux qui pratiquaient cette dévotion, et dans le monde
chrétien; mais depuis qu'on eut négligé ce présent venu du ciel, on ne vit que
péchés et que désordres partout.
4 Rose 18. Comme toutes choses,
même les plus saintes, quand particulièrement elles dépendent de la volonté des
hommes, sont sujettes aux changements, il ne faut pas s'étonner si la confrérie
du saint Rosaire n'a subsisté en sa première ferveur qu'environ cent ans, après
son institution; ainsi, elle a été presque ensevelie dans l'oubli. Outre que la
malice et l'envie du démon a sans doute beaucoup contribué à faire négliger le
saint Rosaire pour arrêter le cours des grâces de Dieu que cette dévotion
attirait au monde. En effet, la justice divine affligea tous les royaumes de
l'Europe l'an 1349 de la plus terrible peste que l'on ait jamais vue, laquelle,
du levant, se répandit dans l'Italie, l'Allemagne, la France, la Pologne, la
Hongrie, et de là presque toutes ces terres furent dévastées, car de cent
hommes à peine en restait-il un en vie; les villes, les bourgs, les villages et
les monastères furent entièrement désertés pendant trois ans que dura cette
contagion. Et ce fléau de Dieu fut suivi de deux autres: de l'hérésie des
Flagellants et d'un malheureux schisme en 1376.
19. Après que, par la miséricorde
de Dieu, ces misères eurent cessé, la sainte Vierge ordonna au bienheureux
Alain de la Roche, célèbre docteur et fameux prédicateur de l'ordre de
Saint-Dominique du couvent de Dinan en Bretagne, de renouveler l'ancienne
confrérie du saint Rosaire, afin que, comme cette célèbre confrérie avait pris
naissance en cette province, un religieux de la même province eût l'honneur de
la rétablir. Ce bienheureux Père commença à travailler à ce grand ouvrage l'an
1460, après particulièrement que Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme il rapporte
de lui-même, lui ayant dit un jour dans la sainte Hostie, lorsqu'il célébrait
la sainte Messe afin de le déterminer à prêcher le saint Rosaire: "Quoi donc,
lui dit Jésus-Christ, tu me crucifie encore derechef! - Comment, Seigneur?
répondit le bienheureux Alain tout épouvanté.- Ce sont les péchés qui me
crucifient, lui répondit Jésus-Christ, et j'aimerais mieux être crucifié encore
une fois que de voir mon Père offensé par les péchés que tu as autrefois
commis. Et tu me crucifies encore à présent, parce que tu as la science et ce
qui est nécessaire pour prêcher le Rosaire de ma Mère et par ce moyen instruire
et retirer plusieurs âmes du péché; et tu les sauverais et tu empêcherais de
grands maux; et ne le faisant pas, tu es coupable des péchés qu'ils
commettenmt." Ces terribles reproches firent résoudre le bienheureux Alain de
prêcher incessamment le Rosaire.
20. La Sainte Vierge lui dit
aussi un jour, pour l'animer de plus en plus à prêcher le saint Rosaire: "Tu as
été un grand pécheur en ta jeunesse, mais j'ai obtenu de mon fils ta
conversion, j'ai prié pour toi et j'ai désiré, s'il eût été possible, toutes
sortes de peines pour te sauver parce que les pécheurs convertis sont ma
gloire, et pour te rendre digne de prêcher partout mon Rosaire." Saint
Dominique, lui découvrant les grands fruits qu'il avait faits parmi les peuples
par cette belle dévotion qu'il leur prêchait continuellement, lui disait:
"Vides quomodo profecerim in sermone isto; id etiam facies et tu, et omnes
Mariae amatores, ut sic trahatis omnes populos ad omnem scientiam virtutum."
"Voyez le fruit que j'ai fait par la prédication du saint Rosaire; faites-en de
même, vous et tous les autres qui aimez la sainte Vierge, afin que vous
attiriez, par ce saint exercice du Rosaire, tous les peuples à la véritable
science des vertus." Voilà en abrégé ce que l'histoire nous apprend de
l'établissement du saint Rosaire par saint Dominique et de sa rénovation par le
bienheureux Alain de la Roche.
5 Rose 21. Il n'y a à proprement
parler qu'une sorte de confrérie du Rosaire composé de 150 Ave Maria; mais par
rapport à la ferveur des différentes personnes qui le pratiquent, il y en a de
trois sortes, savoir: le Rosaire commun ou ordinaire, le Rosaire perpétuel et
le Rosaire quotidien. La confrérie du Rosaire ordinaire n'exige qu'on le récite
qu'une fois par semaine. Celle du Rosaire perpétuel qu'une fois par an, mais
celle du Rosaire quotidien demande qu'on le dise tous les jours tout entier,
c'est-à-dire 150 Ave Maria. Aucun de ces Rosaires n'engage à péché, pas même
véniel, si on vient à y manquer, parce que cet engagement est volontaire et de
surérogation; mais il ne faut pas s'enrôler dans la confrérie si on n'a pas la
volonté déterminée à le réciter selon que la confrérie le demande autant qu'on
le pourra sans manquer aux obligations de l'état. Ainsi lorsque la récitation
du saint Rosaire se trouve en concurrence avec une action à laquelle l'état
engage, on doit préférer cette action au Rosaire, quelque saint qu'il soit.
Lorsque dans la maladie on ne peut le dire ni tout entier ni en partie, sans
augmenter son mal, on n'y est pas obligé. Lorsque par une obéissance légitime,
ou par un oubli involontaire, ou par une nécessité pressante, on n'a pas pu le
dire il n'y a aucun péché, même véniel; on ne laisse pas de participer aux
grâces et aux mérites des autres frères et soeurs du saint Rosaire qui le
disent dans le monde. Chrétien, si vous manquez même de le dire par pure
négligence, sans aucun mépris formel, vous ne péchez pas aussi, absolument
parlant, mais vous perdez la participation des prières et des bonnes oeuvres et
mérites de la confrérie, et par votre infidélité en choses petites et de
surérogation, vous tomberez insensiblement dans l'infidélité aux choses grandes
et d'obligation essentielle; car: "Qui spernit modica paulatim
decidet".
6 Rose 22. Depuis le temps que
saint Dominique a établi cette dévotion jusqu'à l'an 1460, que le bienheureux
Alain de la Roche, par l'ordre du ciel, l'a renouvelée, on l'appelle le
psautier de Jésus et de la sainte Vierge, parce qu'elle contient autant de
Salutations angéliques que le psautier de David contient de psaumes, et que,
les simples et les ignorants ne pouvant pas réciter le psautier de David, on
trouve dans la récitation du saint Rosaire un fruit égal à celui qu'on tire de
la récitation des psaumes de David et même encore un plus abondant: 1 Parce que
le psautier angélique a un fruit plus noble, savoir: le Verbe incarné, au lieu
que le psautier de David ne fait que le prédire; 2 Comme la vérité surpasse la
figure et le corps l'ombre, de même le psautier de la sainte Vierge surpasse le
psautier de David qui n'en a été que l'ombre et la figure; 3 Parce que la
Sainte-Trinité a immédiatement fait le psautier de la sainte Vierge ou le
Rosaire composé du Pater et de l'Ave. Voici ce que le savant Cartagène rapporte
sur ce sujet: "Sapientissimus Aquensis, libro ejus de Rosacea Corona ad
Imperatorun Maximilianum conscripto, dicit: "Salutandae Mariae ritus novitiis
inventis haud quaquam adscribitur. Si quidem cum ipsa pene ecclesia pullulavit;
nam cum inter ipsa nascentis ecclesiae primordia, perfectiores quoque fideles
tribus illis Davidicorum psalmorum quinquagenis, divinas laudes assidue
celebrarent, ad rudiores quoque qui modo arctius divinis vacabant piis moris
aemulatio est derivata... rati id quod erat, cuncta illorum sacramenta
psalmorum in coelesti hoc elogio delitescere, si quidem eum quem psalmi
venturum concinunt, hunc jam adesse, haec formula nuntiavit; sicque trinas
salutationum quinquagenas "Mariae Psalterium" appellare coeperunt, oratione
utique dominica in singulas decades ubique preposita prout a psalmidicis
observari ante adverterunt."
23. Le psautier ou le Rosaire de
la sainte Vierge est divisé en trois chapelets de cinq dizaines chacun: 1 pour
honorer les trois personnes de la Sainte-Trinité; 2 pour honorer la vie, la
mort et la gloire de Jésus-Christ; 3 pour imiter l'Eglise triomphante, pour
aider la militante et soulager la souffrante; 4 pour imiter les trois parties
des psaumes dont la première est pour la voie purgative, la seconde pour la vie
illuminative et la troisième pour la vie unitive; 5 pour nous remplir de grâces
pendant la vie, de paix à la mort et de gloire dans l'éternité.
7 Rose 24. Depuis que le
bienheureu Alain de la Roche a renouvelé cette dévotion, la voix publique, qui
est la voix de Dieu, lui a donné le nom de Rosaire qui signifie couronne de
roses; c'est-à-dire que toutes les fois que l'on dit comme il faut son Rosaire,
on met sur la tête de Jésus et de Marie une couronne composée de
cent-cinquante-trois roses blanches et de 16 roses rouges du paradis,
lesquelles ne perdront jamais ni leur beauté ni leur éclat. La Sainte Vierge a
approuvé et condfirmé ce nom de rosaire, révélant à plusieurs qu'ils lui
présentaient autant d'agréables roses qu'ils réciteront d'Ave Maria en son
honneur et autant de couronnes de roses qu'ils diront de Rosaires.
25. Le frère Alphonse Rodriguez,
de la Compagnie de Jésus, récitait son Rosaire avec tant d'ardeur qu'il voyait
souvent, à chaque Pater, sortir de sa bouche une rose vermeille, et à chaque
Ave Marie une blanche égale en beauté et en bonne odeur et seulement différente
de couleur. Les chroniques de saint François racontent qu'un jeune religieux
avait cette louable coutume de dire tous les jours avant son repas la couronne
de la sainte Vierge. Un jour, par je ne sais quel accident, il y manqua; le
dîner étant sonné, il pria le supérieur de lui permettre de la réciter avant
que d'aller à table. Avec cette permission, il se retira dans sa chambre; mais
comme il tardait trop, le supérieur envoya un religieux pour l'appeler. Ce
religieux le trouva dans sa chambre, tout éclatant d'une céleste lumière, et la
sainte Vierge avec deux anges auprès de lui; à mesure qu'il disait un Ave
Maria, une belle rose sortait de sa bouche, les anges prenaient les roses l'une
après l'autre et les mettaient sur la tête de la sainte Vierge qui en
témoignait de l'agrément. Deux autres religieux envoyés pour voir la cause du
retardement des autres virent tout ce mystère, et la sainte Vierge ne disparut
point que la couronne ne fût récitée. Le Rosaire est donc une grande couronne
et le chapelet un petit chapeau de fleurs ou petite couronne de roses célestes
qu'on met sur la tête de Jésus et de Marie. La rose est la reine des fleurs, de
même le Rosaire est la rose et la première des dévotions.
8 Rose 26. Il n'est pas possible
d'exprimer combien la sainte Vierge estime le Rosaire sur toutes les dévotions
et combien elle est magnifique à récompenser ceux qui travaillent à le prêcher,
l'établir et le cultiver; et au contraire combien elle est terrible contre ceux
qui veulent s'y opposer. Saint Dominique n'a eu rien tant à coeur pendant sa
vie que de louer la sainte Vierge, de prêcher ses grandeurs et d'animer tout le
monde à l'honorer par son Rosaire. Cette puissante Reine du ciel n'a cessé
aussi de répandre sur ce saint des bénédictions à pleines mains; et elle a
couronné ses travaux de mille prodiges et miracles, il n'a jamais rien demandé
à Dieu qu'il ne l'ait obtenu par l'intercession de la sainte Vierge; et, pour
comble de faveur, elle l'a rendu victorieux de l'hérésie del Albigeois et fait
père et patriarche d'un grand ordre.
27. Que dirai-je du bienheureux
Alain de la Roche, réparateur de cette dévotion? La sainte Vierge l'a honoré
plusieurs fois de sa visite pour l'instruire des moyens de faire son salut, de
se rendre bon prêtre, parfait religieux et imitateur de Jésus-Christ. Pendant
les tentations et les persécutions horribles des démons qui le réduisaient à
une extrême tristesse et presque au désespoir, elle le consolait et dissipait
par sa douce présence tous ces nuages et ces ténèbres. Elle lui a enseigné la
méthode de dire le Rosaire, ses excellences et ses fruits; elle l'a favorisé de
la glorieuse qualité de son nouvel époux, et pour gage de ses chastes
affections, elle lui a mis une bague au doigt, un collier fait de ses cheveux
au col, et lui a donné un Rosaire. L'abbé Tritème, le docte Cartagène, le
savant Martin Navarre et les autres en parlent avec éloges. Après avoir attiré
à la confrérie du Rosaire plus de cent mille âmes, il mourut à Zwolle, en
Flandre, le 8 septembre 1475.
28. Le démon, jaloux des grands
fruits que le bienheureux Thomas de Saint-Jean, célèbre prédicateur du saint
Rosaire, faisait par cette pratique, le réduisait, par ses mauvais traitements,
à une longue et fâcheuse maladie dans laquelle il fut désespéré des médecins.
Une nuit qu'il croyait infailiblement mourir, le démon lui apparut sous une
figure épouvantable; mais élevant directement les yeux et le coeur vers une
image de la sainte Vierge qui était près de son lit, il cria de toutes ses
forces: "Aidez-moi, secourez-moi, ô ma très douce Mère!". A peine eut-il achevé
ces paroles, que la sainte Vierge lui tendit la main de la sainte image, lui
serra le bras en lui disant: "Ne crains point, mon fils Thomas, me voici à ton
secours; lève-toi et continue de prêcher la dévotion de mon Rosaire comme tu as
commencé. Je te défendrai contre tous tes ennemis." A ces paroles de la sainte
Vierge, le démon prit la fuite. Le malade se leva en parfaite santé, et il
rendit grâces à sa bonne Mère avec un torrent de larmes, et continua de prêcher
le Rosaire avec un succès merveilleux.
29. La sainte Vierge ne favorise
pas seulement les prédicateurs du Rosaire, elle récompense aussi glorieusement
ceux qui, par leur exemple, attirent les autres à cette dévotion. Alphonse, roi
de Léon et de Galice, désirant que tous ses domestiques honorassent la sainte
Vierge par le Rosaire, s'avisa, pour les y animer par son exemple, de porter un
gros Rosaire à son côté, mais sans le réciter pourtant: ce qui obligea tous les
gens de sa cour à le dire dévotement. Le roi tomba malade à l'extrémité et
lorsqu'on le croyait mort, il fut ravi en esprit au tribunal de Jésus-Christ.
Il vit les diables qui l'accusaient de tous les crimes qu'il avait commis et le
juge étant sur le point de le condamner aux peines éternelles, la sainte Vierge
se présenta en sa faveur devant son Fils; on apporta une balance, on mit tous
les péchés du roi dedans un bassin, et la sainte Vierge mit le gros Rosaire
qu'il avait porté en son honneur et avec ceux qu'il avait fait dire par son
exemple, qui pesa plus que tous ses péchés, et puis, le regardant d'un oeil
favorable, elle lui dit: "J'ai obtenu de mon Fils, pour récompense du petit
service que tu m'as rendu en portant le Rosaire, le prolongement de ta vie pour
quelques années. Emploie-les bien, et fais pénitence." Le roi, revenu de ce
ravissement, s'écria: "O bienheureux Rosaire de la sainte Vierge, par lequel
j'ai été délivré de la damnation éternelle." Après qu'il eut recouvré la santé,
il passa le reste de sa vie dans la dévotion du saint Rosaire et le récitait
tous les jours. Que les dévots de la sainte Vierge tâchent de gagner le plus
qu'ils pourront de fidèles à la confrérie du saint Rosaire, à l'exemple de ces
saints et de ce roi; ils auront ici-bas ses bonnes grâces et la vie éternelle.
Qui elucidant me vitam aeternam habebunt.
9 Rose 30. Mais, voyons
maintenant quelle injustice c'est d'empêcher le progrès de la confrérie du
saint Rosaire et quels sont les châtiments dont Dieu a puni plusieurs
malheureux qui ont méprisé et voulu détruire la confrérie du saint Rosaire.
Quoique la dévotion du saint Rosaire ait été autorisée du ciel par plusieurs
prodiges et qu'elle soit approuvée de l'Eglise par plusieurs bulles des papes,
il ne se trouve que trop de libertins, d'impies et d'esprits forts du temps,
qui tâchent ou de décrier la confrérie du saint Rosaire, ou d'en éloigner du
moins les fidèles. Il est aisé de connaître que leurs langues sont infectées du
venin de l'enfer et qu'ils sont poussés par l'esprit malin; car nul ne peut
désapprouver la dévotion du saint Rosaire, qu'il ne condamne ce qu'il y a de
plus pieux dans la religion chrétienne, savoir: l'Oraison dominicale, la
Salutation angélique, les mystères de la vie, de la mort et de la gloire de
Jésus-Christ et de sa sainte Mère. Ces esprits forts, qui ne peuvent souffrir
qu'on dise le Rosaire, souvent tombent, sans y penser, dans le sens réprouvé
des hérétiques qui ont en horreur le chapelet et le Rosaire. C'est s'éloigner
de Dieu et de la vraie piété que d'abhorrer les confréries, puisque
Jésus-Christ nous assure qu'il se trouve au milieu de ceux qui sont assemblés
en son nom. Ce n'est pas être bon catholique que de négliger tant et de si
grandes indulgences que l'Eglise accorde aux confréries. Enfin c'est être
ennemi du salut des âmes, de dissuader les fidèles d'être du saint Rosaire,
puisque, par ce moyen, ils quittent le parti du péché pour embrasser la piété.
Si saint Bonaventure a eu raison de dire que celui-là mourra en son péché et
sera damné qui aura négligé la sainte Vierge: "Qui negligerit illam morietur in
peccatis suis" (in psalterio suo), quels châtiments doivent attendre ceux qui
détournent les autres de sa dévotion!...
10 Rose 31. Lorsque saint
Dominique prêchait cette dévotion dans Carcassone, un hérétique tournait en
ridicule ses miracles et les 15 mystères du saint Rosaire, ce qui empêchait la
conversion des hérétiques. Dieu, pour punir cet impie, permit à quinze mille
démons d'entrer en son corps; ses parents l'amenèrent au bienheureux Père pour
le délivrer de ces malins esprits. Il se mit en oraison et exhorta toute la
compagnie de réciter avec lui le Rosaire tout haut, et voilà qu'à chaque Ave
Maria, la sainte Vierge faisait sortir cent démons du corps de cet hérétique en
forme de charbons ardents. Après qu'il fut délivré, il abjura ses erreurs, se
convertit et se fit enrôler en la confrérie du Rosaire avec plusieurs de son
parti qui furent touchés de ce châtiment et de la vertu du Rosaire.
32. Le docte Cartagène, de
l'ordre de Saint-François, avec plusieurs auteurs, rapporte que l'an 1482,
lorsque le vénérable Père Jacques Sprenger et ses religieux travaillaient avec
grand zèle à rétablir la dévotion et la confrérie du saint Rosaire dans la
ville de Cologne, deux fameux prédicateurs, jaloux des grands fruits qu'ils
faisaient par cette pratique, tâchaient de la décrier par leurs sermons, et
comme ils avaient du talent, et un grand crédit, ils dissuadaient beaucoup de
personnes de s'y enrôler; l'un de ces prédicateurs, pour mieux venir à bout de
son pernicieux dessein, prépara un sermon exprès et l'assigna à un jour de
dimanche. L'heure du sermon étant venue le prédicateur ne paraissait point; on
l'attendit, on le chercha, et enfin on le trouva mort sans avoir été secouru de
personne. L'autre prédicateur, se persuadant que cet accident était naturel,
résolut de suppléer à son défaut pour abolir la confrérie du Rosaire. Le jour
et l'heure du sermon étant arrivés, Dieu châtia ce prédicateur d'une paralysie
qui lui ôta le mouvement et la parole. Il reconnut sa faute et celle de son
compagnon, il eut recours à la sainte Vierge dans son coeur, lui promettant de
prêcher partout le Rosaire avec autant de force qu'il l'avait combattu. Il la
pria de lui rendre pour cela la santé et la parole, ce que la sainte Vierge lui
accorda, et se trouvant subitement guéri il se leva comme un autre Saul, de
persécuteur devenu défenseur du saint Rosaire. Il fit réparation publique de sa
faute, et prêcha avec beaucoup de zèle et d'éloquence l'excellence du saint
Rosaire.
33. Je ne doute point que les
esprits forts et critiques de ce temps, qui liront les histoires de ce petit
traité, ne les révoqueront en doute, comme ils ont toujours fait, quoique je
n'aie fait autre chose que les transcrire de très bons auteurs contemporains et
en partie dans un livre nouvellement composé par le Révérend Père Antonin
Thomas, de l'ordre des frères prêcheurs, intitulé: "Le Rosier mystique". Tout
le monde sait qu'il y a trois sorte de foi aux histoires différentes. Nous
devons aux histoires de l'Ecriture sainte une foi divinie; aux histoires
profanes qui ne répugnent point à la raison et écrites par de bons auteurs, une
foi humaine; et aux histoires pieuses rapportées par de bons auteurs et
nullement contraires à la raison, à la foi ni aux bonnes moeurs, quoiqu'elles
soient quelquefois extraordinaires, une foi pieuse; j'avoue qu'il ne faut être
ni trop crédule ni trop critique, et qu'il faut tenir le milieu en tout pour
trouver le point de la vérité et de la vertu; mais aussi je sais que, comme la
charité croit facilement tout ce qui n'est point contraire à la foi ni aux
bonnes moeurs: Charitas omnia credit, de même l'orgueil porte à nier presque
toutes les histoires bien avérées, sous prétexte qu'elles ne sont point dans
l'Ecriture sainte. C'est le piège de Satan, où les hérétiques qui nient la
tradition sont tombés, et où les critiques du temps tombent insensiblement, ne
croyant pas ce qu'ils ne comprennent pas, ou ce qui ne leur revient pas, sans
aucune autre raison que l'orgueil et la suffisance de leur propre
esprit.
DEUXIEME
DIZAINE
L'excellence du saint
Rosaire dans les prières dont il est composé.
11 Rose 34. Le Credo ou le
Symbole des Apôtres qu'on récite sur la croix du Rosarie ou du chapelet, étant
un sacré raccourci et abrégé des vérités chrétiennes, est une prière d'un grand
mérite, parce que la foi est la base, le fondement et le commencement de toutes
les vertus chrétiennes, de toutes les vertus éternelles et de toutes les
prières que Dieu a pour agréables. "Accedentem ad Deum credere oportet". Il
faut que celui qui s'approche de Dieu par la prière commence par croire, et
plus il aura de foi, et plus sa prière aura de force et de mérite en elle-même
et rendra de gloire à Dieu. Je ne m'arrêterai pas à expliquer les paroles du
Symbole des Apôtres; mais je ne puis m'empêcher de déclarer que ces trois
premières paroles: "Credo in Deum: Je crois en Dieu", renfermant les actes des
trois vertus théologales: la foi, l'espérance et la charité, ont une efficace
merveilleuse pour sanctifier l'âme et terrasser le démon. C'est avec ces
paroles que plusieurs saints ont vaincu les tentations, particulièrement celles
qui sont contre la foi, l'espérance ou la charité, soit pendant la vie, soit à
l'heure de la mort. Ce furent les dernières paroles que saint Pierre le martyr
écrivit le mieux qu'il put avec le doigt sur le sable, lorsque ayant la tête
fendue en deux par un coup de sabre qu'un hérétique lui donna, il était près
d'expirer.
35. Comme la foi est la seule
clef qui nous fait entrer dans tous les mystères de Jésus et de Marie renfermés
au saint Rosaire, il faut le commencer en récitant le Credo avec une grande
attention et dévotion, et plus notre foi sera vive et forte, et plus le Rosaire
sera méritoire. Il faut que cette foi soit vive et animée par la charité,
c'est-à-dire que pour bien réciter le saint Rosaire, il faut être en grâce de
Dieu ou dans la recherche de cette grâce; il faut que la foi soit forte et
constante, c'est-à-dire qu'il ne faut pas chercher dans la pratique du saint
Rosaire seulement son goût sensible et sa consolation spirituelle, c'est-à-dire
qu'il ne faut pas l'abandonner parce qu'on a une foule de distractions
involontaires dans l'esprit, un dégoût étrange dans l'âme, un ennui accablant
et un assoupissement presque continuel dans le corps; il n'est pas besoin de
goût ni de consolation, ni de soupirs, ni d'élans, ni de larmes, ni
d'application continuelle de l'imagination, pour bien réciter son Rosaire. La
foi pure et la bonne intention suffisent. "Sola fides sufficit".
12 Rose 36. Le Pater, ou
l'Oraison dominicale, tire sa première excellence de son auteur, qui n'est pas
un homme ou un ange, mais le Roi des anges et des hommes, Jésus-Christ. "Il
était nécessaire, dit saint Cyprien, que Celui qui venait nous donner la vie de
la grâce comme Sauveur, nous enseignât la manière de prier comme Maître
céleste". La sagesse de ce divin Maître paraît bien dans l'ordre, la douceur,
la force et la clarté de cette divine prière; elle est courte, mais elle est
riche en instruction, intelligible pour les simples et remplie de mystères pour
les savants. Le Pater renferme tous les devoirs que nous devons rendre à Dieu,
les actes de toutes les vertus et les demandes de tous nos besoins spirituels
et corporels. Elle contient, dit Tertullien, l'abrégé de l'Evangile. Elle
surpasse, dit Thomas à Kempis, tous les désirs des saints, elle contient en
abrégé toutes les douces sentences des psaumes et des cantiques; elle demande
tout ce qui nous est nécessaire; elle loue Dieu d'une excellente manière; elle
élève l'âme de la terre au ciel et l'unit étroitement avec Dieu.
37. Saint Chrysostome dit que
celui qui ne prie pas comme le divin Maître a prié et enseigné à prier, n'est
pas son disciple, et Dieu le Père n'écoute pas agréablement les prières que
l'esprit humain a formées, mais bien celles de son Fils, qu'il nous a
enseignées. Nous devons réciter l'Oraison dominicale avec certitude que le Père
éternel l'exaucera, puisqu'elle est la prière de son Fils, qu'il exauce
toujours, et que nous sommes ses membres; car que peut refuser un si bon Père à
une requête si bien conçue et appuyée sur les mérites et la recommandation d'un
si digne Fils? Saint Augustin assure que le Pater bien récité efface les péchés
véniels. Le juste tombe sept fois. L'Oraison dominicale contient sept demandes
par lesquelles il peut remédier à ses chutes et se fortifier contre ses
ennemis. Elle est courte et facile, afin que, comme nous sommes fragiles et
sujets à plusieurs misères, nous recevions un plus prompt secours en la
récitant plus souvent et plus dévotement.
38. Désabusez-vous donc, âmes
dévotes qui négligez l'Oraison que le propre Fils de Dieu a composée et qu'il a
ordonné à tous les fidèles; vous qui n'avez d'estime que pour les prières que
les hommes ont composées, comme si l'homme, même le plus éclairé, savait mieux
que Jésus-Christ comment nous devons prier. Vous cherchez dans les livres des
hommes la façon de louer et de prier Dieu, comme si vous aviez honte de vous
servir de celle que son Fils nous a prescrite. Vous vous persuadez que les
oraisons qui sont dans les livres sont pour les savants et pour les riches, et
que le Rosaire n'est que pour les femmes, pour les enfants et pour le peuple,
comme si les louanges et les prières que vous lisez étaient plus belles et plus
agréables à Dieu que celles qui sont contenues dans l'oraison dominicale. C'est
une dangeureuse tentation que de se dégoûter de l'Oraison que Jésus-Christ nous
a recommandée pour prendre les oraisons que les hommes ont composées. Ce n'est
pas que nous désapprouvions celles que les saints ont composées pour exciter
les fidèles à louer Dieu, mais nous ne pouvons souffrir qu'ils les préfèrent à
l'Oraison qui est sortie de la bouche de la Sagesse incarnée, et qu'ils
laissent la source pour courir après les ruisseaux, et qu'ils dédaignent l'eau
claire pour boire l'eau trouble. Car enfin le Rosaire, composé de l'Oraison
dominicale et de la Salutation angélique, est cette eau claire et perpétuelle
qui coule de la source de la grâce, tandis que les autres oraisons qu'ils
cherchent dans les livres ne sont que de bien petits ruisseaux qui en
dérivent.
39. Nous pouvons appeler heureux
celui qui, en récitant l'Oraison du Seigneur, en pèse attentivement chaque
parole; là il trouve tout ce dont il a besoin, tout ce qu'il peut désirer.
Quand nous récitons cette admirable prière, tout d'abord nous captivons le
coeur de Dieu en l'invoquant par le doux nom de Père. "Notre Père", le plus
tendre de tous les pères, tout- puissant dans la création, tout admirable dans
sa conservation, tout aimable dans sa Providence, tout bon et infiniment bon
dans la Rédemption. Dieu est notre Père, nous sommes tous frères, le ciel est
notre patrie et notre héritage. N'y a-t-il pas là de quoi nous inspirer à la
fois l'amour de Dieu, l'amour du prochain et le détachement de toutes les
choses de la terre? Aimons donc un tel Père et disons-lui mille et mille fois:
"Notre Père qui êtes aux cieux". Vous qui remplissez le ciel et la terre par
l'immensité de votre essence, qui êtes présent partout; vous qui êtes dans les
saints par votre gloire, dans les damnés par votre justice, dans les justes par
votre grâce, dans les pécheurs par votre patience qui les souffre, faites que
nous nous souvenions toujours de notre céleste origine, que nous vivions comme
vos véritables enfants; que nous tendions toujours vers vous seul par toute
l'ardeur de nos désirs. "Que votre nom soit sanctifié". Le nom du Seigneur est
saint et redoutable, dit le prophète-roi, et le ciel, suivant Isaïe, retentit
des louanges que les séraphins ne cessent de donner à la sainteté du Seigneur,
Dieu des armées. Nous demandons ici que toute la terre connaisse et adore les
attributs de ce Dieu si grand et si saint; qu'il soit connu, aimé et adoré des
païens, des Turcs, des Juifs, des Barbares et de tous les infidèles; que tous
les hommes le servent et le glorifient par une foi vive, une espérance ferme,
par une charité ardente, et par le renoncement à toutes les erreurs: en un mot,
que tous les hommes soient saints parce qu'il est saint lui-même. "Que votre
règne arrive". C'est-à-dire que vous régniez dans nos âmes par votre grâce,
durant la vie, afin que nous méritions, après notre mort, de régner avec vous
dans votre royaume, qui est la souveraine et éternelle félicité, que nous
croyons, que nous espérons et que nous attendons, cette félicité qui nous est
promise par la bonté du Père, qui nous est acquise par les mérites du Fils et
qui nous est révélée par les lumières du Saint-Esprit. "Que votre volonté soit
faite sur la terre comme au ciel". Sans doute, rien ne peut se dérober aux
dispositions de la Providence divine qui a tout prévu, tout arrangé avant
l'évènement; nul obstacle ne l'écarte de la fin qu'elle s'est proposée, et
quand nous demandons à Dieu que sa volonté soit faite, ce n'est pas que nous
craignions, dit Tertullien, que quelqu'un s'oppose efficacement à l'exécution
de ses desseins, mais que nous acquiescions humblement à tout ce qu'il lui a
plû d'ordonner à notre égard; que nous accomplissions toujours et en toutes
choses sa très sainte volonté, qui nous est connue par ses commandements, avec
autant de promptitude, d'amour et de constance, que les anges et les
bienheureux lui obéissent dans le ciel.
40. "Donnez-nous aujourd'hui
notre pain de chaque jour". Jésus-Christ nous enseigne à demander à Dieu tout
ce qui est nécessaire à la vie du corps et à la vie de l'âme. Par ces paroles
de l'Oraison dominicale, nous faisons l'humble aveu de notre misère et nous
rendons hommage à la Providence, en déclarant que nous croyons, que nous
voulons tenir de sa bonté tous les biens temporels. Sous le nom de pain nous
demandons ce qui est simplement nécessaire à la vie, le superflu n'est point
compris. Ce pain nous le demandons aujourd'hui, c'est-à- dire que nous bornons
au jour présent toutes nos sollicitudes, nous reposant sur la Providence pour
le lendemain. Nous demandons le pain de chaque jour, avouant ainsi nos besoins
toujours renaissants et montrant la continuelle dépendance où nous sommes de la
protection et du secours de Dieu. "Pardonnez-nous nos offenses comme nous
pardonnons à ceux qui nous ont offensés". Nos péchés, disent saint Augustin et
Tertullien, sont autant de dettes que nous contractons envers Dieu, et sa
justice en exige le paiement jusqu'à la dernière obole. Or nous avons tous ces
tristes dettes. Malgré le nombre de nos iniquités, approchons-nous donc de lui
avec confiance et disons-lui avec un vrai repentir: Notre Père qui êtes aux
cieux, pardonnez-nous les péchés de notre coeur et de notre bouche, les péchés
d'action et d'omission qui nous rendent infiniment coupables aux yeux de votre
justice, parce qu'en qualité d'enfants d'un père si clément et miséricordieux,
nous pardonnons par obéissance et par charité à ceux qui nous ont offensés. Et
"ne permettez pas" à cause de notre infidélité à vos grâces, "que nous
succombions aux tentations" du monde, du démon et de la chair. Mais
"délivrez-nous du mal", qui est le péché, du mal de la peine temporelle et de
la peine éternelle, que nous avons méritées. "Ainsi soit-il". Parole d'une
grande consolation, qui est, dit saint Jérôme, comme le sceau que Dieu met à la
fin de nos requêtes pour nous assurer qu'il nous a exaucés, comme si lui-même
nous répondait: Amen!!! Qu'il soit fait comme vous le demandez, vous l'avez
obtenu en vérité, car c'est ce que signifie ce mot: Amen.
13 Rose 41. Nous honorons les
perfections de Dieu en récitant chaque parole de l'Oraison dominicale. Nous
honorons sa fécondité par le nom de Père, qui engendre de toute éternité un
Fils qui est Dieu comme vous, éternel, consubstantiel, qui est une même
essence, une même puissance, une même bonté, une même sagesse avec vous, Père
et Fils, qui, vous aimant, produisez le Saint- Esprit, qui est Dieu comme vous,
trois personnes adorables, qui êtes un seul Dieu. Notre Père! C'est-à-dire,
Père des hommes par la création, par la conservation et par la rédemption, Père
miséricordieux des pécheurs, Père ami des justes, Père magnifique des
bienheureux. Qui êtes. Par ces paroles nous admirons l'infinité, la grandeur et
la plénitude de l'essence de Dieu, qui s'appelle véritablement Celui qui est,
c'est-à-dire, qui existe essentiellement, nécessairement et éternellement, qui
est l'Etre des êtres, la cause de tous les êtres; qui renferme éminemment en
lui-même les perfections de tous les êtres; qui est dans tous par son essence,
par sa présence et par sa puissance, sans y être renfermé. Nous honorons sa
sublimité, sa gloire et sa majesté par ces mots: Qui êtes aux cieux,
c'est-à-dire assis comme dans votre trône, exerçant votre justice sur tous les
hommes. Nous adorons sa sainteté en désirant que son nom soit sanctifié. Nous
reconnaissons sa souveraineté et la justice de ses lois, en souhaitant que son
règne arrive, et que les hommes lui obéissent sur la terre comme les anges lui
obéissent dans le ciel. Nous croyons à sa Providence, en le priant de nous
donner notre pain de chaque jour. Nous invoquons sa clémence, en lui demandant
la rémission de nos péchés. Nous recourons à sa puissance, en le priant de ne
pas nous laisser succomber à la tentation. Nous nous confions à sa bonté, en
espérant qu'il nous délivrera du mal. Le Fils de Dieu a toujours glorifié son
Père par ses oeuvres; il est venu au monde pour le faire glorifier des hommes;
il leur a enseigné la manière de l'honorer, par cette oraison qu'il a daigné
nous dicter lui-même. Nous devons donc la réciter souvent avec attention et
dans le même esprit qu'il l'a composée.
14 Rose 42. Lorsque nous récitons
attentivement cette divine Oraison, nous faisons autant d'actes des plus nobles
vertus chrétiennes que nous prononçons de paroles. En disant: Notre Père qui
êtes aux cieux, nous formons des actes de foi, d'adoration et d'humilité. En
désirant que son nom soit sanctifié et glorifié, nous faisons paraître un zèle
ardent pour sa gloire. En lui demandant la possession de son royaume, nous
faisons un acte d'espérance. En souhaitant que sa volonté soit accomplie sur la
terre comme dans le ciel, nous montrons un esprit de parfaite obéissance. En
lui demandant notre pain de chaque jour, nous pratiquons la pauvreté d'esprit
et le détachement des biens de la terre. En le priant de nous remettre nos
péchés, nous faisons un acte de repentir. Et en pardonnant à ceux qui nous ont
offensés, nous exerçons la miséricorde dans la plus haute perfection. En lui
demandant son secours dans les tentations, nous faisons des actes d'humilité,
de prudence et de force. En attendant qu'il nous délivre du mal, nous
pratiquons la patience. Enfin, en demandant toutes ces choses, non seulement
pour nous, mais encore pour notre prochain et pour tous les membres de
l'Eglise, nous faisons le devoir des vrais enfants de Dieu, nous l'imitons dans
sa charité qui embrasse tous les hommes et nous accomplissons le commandement
de l'amour du prochain.
Nous détestons tous les péchés et
nous observons tous les commandements de Dieu, lorsqu'en recitant cette Oraison
notre coeur s'accorde avec notre langue, et que nous n'avons point d'intentions
contraires au sens de ces divines paroles. Car lorsque nous faisons réflexion
que Dieu est au ciel, c'est-à- dire infiniment élevé au-dessus de nous par la
grandeur de sa majesté, nous entrons dans les sentiments du plus profond
respect en sa présence; tout saisis de crainte, nous fuyons l'orgueil et nous
nous abaissons jusqu'au néant. Lorsqu'en pronoçant le nom du Père, nous nous
souvenons que nous tenons notre existence de Dieu, par le moyen de nos parents,
et notre instruction même par le moyen de nos maîtres, qui nous tiennent ici la
place de Dieu, dont ils sont les images vivantes, nous nous sentons obligés de
les honorer ou, pour mieux dire, d'honorer Dieu en leurs personnes, et nous
nous gardons bien de les mépriser et de les affliger. Lorsque nous désirons que
le saint Nom de Dieu soit glorifié, nous sommes bien éloignés de le profaner.
Lorsque nous regardons le royaume de Dieu comme notre héritage, nous renonçons
à toute attache aux biens de ce monde; lorsque nous demandons sincèrement pour
notre prochain les mêmes biens que nous désirons pour nous-mêmes, nous
renonçons à la haine, à la dissension et à l'envie. En demandant à Dieu notre
pain de chaque jour, nous détestons la gourmandise et la volupté qui se
nourrissent de l'abondance. En priant Dieu véritablement de nous pardonner,
comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, nous réprimons notre colère
et notre vengeance, nous rendons le bien pour le mal et nous aimons nos
ennemis. En demandant à Dieu de ne pas nous laisser tomber dan le péché au
moment de la tentation, nous montrons que nous fuyons la paresse, que nous
cherchons les moyens de combattre les vices et de faire notre salut. En priant
Dieu de nous délivrer du mal, nous craignons sa justice, et nous sommes
heureux, car la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse, c'est par la
crainte de Dieu que tout homme évite le péché.
15 Rose 44. La Salutation
angélique est si sublime, si relevée, que le bienheureux Alain de la Roche a
cru qu'aucune créature ne peut la comprendre et qu'il n'y a que Jésus-Christ,
né de la Vierge Marie, qui puisse l'expliquer. Elle tire principalement son
excellence de la très sainte Vierge à qui elle fut adressée, de la fin de
l'Incarnation du Verbe pour laquelle elle fut apportée du ciel, et de
l'archange Gabriel qui la prononça le premier. La Salutation angélique résume
dans l'abrégé le plus concis toute la théologie chrétienne sur la sainte
Vierge. On y trouve une louange et une invocation. La louange renferme tout ce
qui fait la véritable grandeur de Marie; l'invocation renferme tout ce que nous
devons lui demander, et ce que nous pouvons attendre de sa bonté pour nous. La
très sainte Trinité en a révélé la première partie; sainte Elisabeth, éclairée
du Saint-Esprit, y a ajouté la seconde; et l'Eglise, dans le premier concile
d'Ephèse, tenu l'an 430, y a mis la conclusion, après avoir condamné l'erreur
de Nestorius et défini que la sainte Vierge est véritablement Mère de Dieu. Le
concile ordonna qu'on invoquerait la sainte Vierge sous cette glorieuse qualité
par ces paroles: Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l'heure de notre mort.
45. La sainte Vierge Marie a été
celle à qui cette divine Salutation a été présentée pour terminer l'affaire la
plus grande et la plus importante du monde, l'Incarnation du Verbe éternel, la
paix entre Dieu et les hommes et la rédemption du genre humain. L'ambassadeur
de cette heureuse nouvelle fut l'archange Gabriel, un des premiers princes de
la cour céleste. La Salutation angélique contient la foi et l'espérance des
patriarches, des prophètes et des apôtres. Elle est la constance et la force
des martyrs, la science des docteurs, la persévérance des confesseurs et la vie
des religieux. (Bienheureux Alain). Elle est le cantique nouveau de la loi de
grâce, la joie des anges et des hommes, la terreur et la confusion des démons.
Par la Salutation angélique, Dieu s'est fait homme, une Vierge est devenue Mère
de Dieu, les âmes des justes ont été délivrées des limbes, les ruines du ciel
ont été réparées et les trônes vides ont été remplis, le péché a été pardonné,
la grâce nous a été donnée, les malades ont été guéris, les morts ressuscités,
les exilés rappelés, la trés sainte Trinité a été apaisée, et les hommes ont
obtenu la vie éternelle. Enfin, la Salutation angélique est l'arc-en-ciel, le
signe de la clémence et de la grâce que Dieu a faites au monde (Bienheureux
Alain).
16 Rose 46. Quoiqu'il n'y ait
rien d'aussi grand que la majesté divine ni rien d'aussi abject que l'homme
considéré comme pécheur, cette suprême Majesté ne dédaigne pas néanmoins nos
hommages, elle est honorée quand nous chantons ses louanges. Et le salut de
l'ange est un des plus beaux cantiques que nous puissions adresser à la gloire
du Très-Haut. "Canticum novum cantabo tibi: Je vous chanterai un cantique
nouveau". Ce cantique nouveau que David a prédit qu'on chanterait à la venue du
Messie, c'est la Salutation de l'archange. Il y a un cantique ancien et un
cantique nouveau. L'ancien est celui que les Israélites ont chanté en
reconnaissance de la création, de la conservation, de la délivrance de leur
captivité, du passage de la mer Rouge, de la manne et de toutes les autres
faveurs du ciel. Le cantique nouveau est celui que les chrétiens chantent en
actions de grâces de l'Incarnation et de la Rédemption. Comme ces prodiges ont
été accomplis par le salut angélique, nous répétons ce même salut pour
remercier la très sainte Trinité de ses bienfaits inestimables. Nous louons
Dieu le Père de ce qu'il a tant aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils
unique pour sauveur. Nous bénissons le Fils de ce qu'il est descendu du ciel
sur la terre, de ce qu'il s'est fait homme et de ce qu'il nous a rachetés. Nous
glorifions le Saint-Esprit de ce qu'il a formé dans le sein de la sainte Vierge
ce corps très pur qui a été la victime de nos péchés. C'est dans cet esprit de
reconnaissance que nous devons réciter le salut angélique, produisant des actes
de foi, d'espérance, d'amour et d'actions de grâces pour ce bienfait de notre
salut.
47. Quoique ce cantique nouveau
s'adresse directement à la Mère de Dieu et qu'il contienne ses éloges, il est
néanmoins très glorieux à la Sainte-Trinité, parce que tout l'honneur que nous
rendons à la sainte Vierge retourne à Dieu comme à la cause de toutes ses
perfections et de tous ses vertus. Dieu le Père est glorifié de ce que nous
honorons la plus parfaite de ses créatures. Le Fils est glorifié de ce que nous
louons sa très pure Mère. Le Saint-Esprit est glorifié de ce que nous admirons
les grâces dont il a rempli son épouse. De même que la sainte Vierge, par son
beau cantique Magnificat, renvoya à Dieu les louanges et les bénédictions que
lui donna sainte Elisabeth sur son éminente dignité de Mère du Seigneur, de
même elle renvoie promptement à Dieu les éloges et les bénédictions que nous
lui donnons par le salut angélique.
48. Si la Salutation angélique
rend gloire à la Sainte- Trinité, elle est aussi la louange la plus parfaite
que nous puissions adresser à Marie. Sainte Melchtilde, désirant savoir par
quel moyen elle pourrait mieux témoigner la tendresse de sa dévotion à la Mère
de Dieu, fut ravie en esprit; et sur cette pensée, la sainte Vierge lui apparut
portant sur son sein la Salutation angélique écrite en lettres d'or et lui dit:
"Sachez, ma fille, que personne ne peut m'honorer par un salut plus agréable
que celui que m'a fait présenter la très adorable Trinité et par lequel elle
m'a élevée à la dignité de Mère de Dieu. Par le mot "Ave", qui est le nom
d'Eve, Eva, j'appris que Dieu, par sa toute-puissance, m'avait préservée de
tout péché et des misères auxquelles la première femme fut sujette. Le nom de
"Marie", qui signifie dame de lumières, marque que Dieu m'a remplie de sagesse
et de lumière, comme un astre brillant, pour éclairer le ciel et la terre. Ces
mots: "pleine de grâces", me représentent que le Saint-Esprit m'a comblée de
tant de grâces que je puis en faire part abondamment à ceux qui en demandent
par ma médiation. En disant: "Le Seigneur est avec vous", on me renouvelle la
joie ineffable que je ressentis lorsque le Verbe éternel s'incarna dans mon
sein. Quand on me dit: "vous êtes bénie entre toutes les femmes", je loue la
divine miséricorde qui m'a élevée à ce haut degré de bonheur. A ces paroles:
"Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni", tout le ciel se réjouit avec moi
de voir Jésus mon Fils adoré et glorifié pour avoir sauvé les
hommes".
17 Rose 49. Entre les choses
admirables que la sainte Vierge a révélées au bienheureux Alain de la Roche (et
nous savons que ce grand dévot à Marie a confirmé par serment ses révélations),
il y en a trois des plus remarquables: la première, que c'est un signe probable
et prochain de réprobation éternelle, que d'avoir de la négligence, de la
tiédeur et de l'aversion pour la Salutation angélique qui a réparé le monde -
la seconde, que ceux qui ont de la dévotion pour cette admirable salutation
portent un très grand signe de prédestination - la troisième, que ceux qui ont
reçu du ciel la faveur d'aimer la sainte Vierge et de la servir par affection,
doivent être extrêmement soigneux de continuer à l'aimer et à la servir jusqu'à
ce qu'elle les ait fait placer dans le ciel par son Fils au degré de gloire
convenable à leurs mérites (Alanus).
50. Tous les hérétiques, qui sont
tous des enfants du diable et qui portent les marques évidentes de la
réprobation, ont horreur de l'Ave Maria; ils apprennent encore le Pater, mais
non pas l'Ave Maria; ils aimeraient mieux porter sur eux un serpent qu'un
chapelet ou un rosaire. Entre les catholiques, ceux qui portent la marque de
réprobation ne se soucient guère du chapelet ni du Rosaire, négligent de le
dire ou ne le disent qu'avec tiédeur et à la hâte. Quand je n'ajouterais aucune
foi pieuse à ce qui a été révélé au bienheureux Alain de la Roche, mon
expérience me suffit pour être persuadé de cette terrible et douce vérité. Je
ne sais pas, et je ne vois pas même évidemment comment il se peut faire qu'une
dévotion si petite en apparence soit la marque infaillible du salut éternel, et
son défaut la marque de la réprobation. Cependant, rien n'est si véritable.
Nous voyons même que les gens de nouvelles doctrines de nos jours condamnées
par l'Eglise, avec toute leur piété apparente, négligent beaucoup la dévotion
au chapelet et au Rosaire et souvent l'ôtent de l'esprit et du coeur de ceux ou
celles qui les approchent, sous les plus beaux prétextes du monde; ils se
gardent de condamner ouvertement, comme font les calvinistes, le chapelet,
Rosaire, scapulaire; mais la manière dont ils s'y prennent est d'autant plus
pernicieuse qu'elle est plus fine. Nous en parlerons dans la suite.
51. Mon Ave Marie, mon Rosaire ou
mon chapelet, est ma prière, et ma très sûre pierre de touche, pour distinguer
ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu d'avec ceux qui sont dans
l'illusion du malin esprit. J'ai connu des âmes qui volaient, ce semble, comme
des aigles, jusqu'aux nues par leur sublime contemplation, et qui cependant
étaient malheureusement trompées par le démon, et je n'ai découvert leurs
illusions que par l'Ave Maria et le chapelet, qu'elles rejetaient comme
au-dessous d'elles. L'Ave Maria est une rosée céleste et divine qui, tombant
dans l'âme d'un prédestiné, lui communique une fécondité admirable pour
produire toutes sortes de vertus, et plus l'âme est arrosée par cette prière,
plus elle devient éclairée dans l'esprit, embrasée dans le coeur et fortifiée
contre tous ses ennemis. L'Ave Maria est un trait perçant et enflammé qui,
étant uni par un prédicateur à la parole de Dieu qu'il annonce, lui donne la
force de percer, de toucher et de convertir les coeurs les plus endurcis,
quoique d'ailleurs il n'ait pas beaucoup de talent naturel pour la prédication.
Ce fut ce trait secret que la sainte Vierge, comme j'ai déjà dit, enseigna à
saint Dominique et au bienheureux Alain, pour convertir les hérétiques et les
pécheurs. C'est de là qu'est venue la pratique des prédicateurs de dire un Ave
Maria en commençant leur prédication, comme assure saint Antonin.
18 Rose 52. Cette divine
Salutation attire sur nous la bénédiction de Jésus et de Marie, car c'est un
principe infaillible que Jésus et Marie récompensent magnifiquement ceux qui
les glorifient: ils rendent au centuple les bénédictions qu'on leur donne. Ego
diligentes me diligo, Pr 8,17, ut ditem diligentes me et thesauros eorum
repleam. C'est ce que Jésus et Marie criaient hautement: "Nous aimons ceux qui
nous aiement, nous les enrichissons et nous remplissons leurs trésors". - Qui
seminat in benedictionibus, de benedictionibus et metet: Ceux qui sèment des
bénédictions recueilleront des bénédictions" (2 Cor 9,6). Or n'est-ce pas
aimer, bénir et glorifier Jésus et Marie que de réciter comme il faut la
Salutation angélique? En chaque Ave Maria, on donnera deux bénédictions à Jésus
et à Marie. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et béni le fruit de votre
ventre, Jésus. Par chaque Ave Maria, vous rendez à Marie le même honneur que
Dieu lui rendit en la saluant avec l'archange Gabriel. Qui pourrait croire que
Jésus et Marie, qui font du bien souvent à ceux qui les maudissent, donnassent
leurs malédictions à ceux et celles qui les bénissent et les honorent par l'Ave
Maria? La Reine des cieux, disent saint Bernard et saint Bonaventure, n'est pas
moins reconnaissante et honnête que les personnes de qualité bien élevées en ce
monde: elle les surpasse même en cette vertu comme en toutes les autres
perfections; elle ne souffrira donc jamais que nous l'honorions avec respect,
qu'elle ne nous le rende au centuple. Marie, dit saint Bonaventure, nous salue
avec la grâce, si nous la saluons avec l'Ave Marie: "Ipsa salutabit nos cum
gratia si salutaverim eam cum Ave Maria". Qui pourrait comprendre les grâces et
les bénédictions qu'opèrent en nous le salut et les regards bénins de la sainte
Vierge? Dans le moment que sainte Elisabeth entendit le salut que lui donna la
Mère de Dieu, elle fut remplie du Saint-Esprit, et l'enfant qu'elle portait
dans son sein tressaillit de joie. Si nous nous rendons dignes du salut et de
la bénédiction réciproques de la sainte Vierge, sans doute nous serons remplis
de la grâce et un torrent de consolations spirituelles découlera dans nos
âmes.
19 Rose 53. Il est écrit: "Donnez
et on vous donnera". Prenons la comparaison du bienheureux Alain: "Si je vous
donnais chaque jour cent cinquante diamants, quand vous seriez mon ennemi, ne
me pardonneriez-vous pas? Ne me feriez-vous pas comme un ami, toutes les grâces
que vous pourriez? Voulez-vous vous enrichir des biens de la grâce et de la
gloire? Saluez la très sainte Vierge, honorez votre bonne Mère". "Sicut qui
thesaurizat, ita et qui honorificat matrem. Celui qui honore sa Mère, la sainte
Vierge, est semblable à un homme qui amasse des trésors" (Si 3,5).
Présentez-lui chaque jour au moins cinquante Ave Maria dont chacun contient
quinze pierres précieuses, qui lui sont plus agréables que toutes les richesses
de la terre. Que ne devez-vous pas attendre de sa libéralité? Elles est notre
Mère et notre amie. Elle est l'impératrice de l'univers qui nous aime plus que
toutes les mères et les reines ensemble n'ont aimé un homme mortel, car, dit
saint Augustin, la charité de la Vierge Marie excède tout l'amour naturel de
tous les hommes et de tous les anges.
54. Un jour, Notre-Seigneur
apparut à sainte Gertrude comptant des pièces d'or; elle eut la hardiesse de
lui demander ce qu'il comptait. "Je compte, lui répondit Jésus- Christ, tes Ave
Marie, c'est la monnaie dont on achète mon paradis". Le dévot et le docte
Suarez, de la Compagnie de Jésus, estimait tant le mérite de la Salutation
angélique, qu'il disait qu'il aurait volontiers donné toute sa science pour le
prix d'un Ave Maria bien dit.
55. "Que celui qui vous aime, ô
divine Marie, lui dit le bienheureux Alain de la Roche, écoute et goûte: Le
ciel est dans la joie, la terre est dans l'admiration, toutes les fois que je
dis: Ave Maria; j'ai le monde en horreur, j'ai l'amour de Dieu dans mon coeur,
lorsque je dis :Ave Maria; mes craintes s'évanouissent, mes passions se
mortifient, quand je dis: Ave Maria; je crois dans la dévotion, je trouve la
componction, quand je dis: Ave Maria; mon espérance s'affermit, ma consolation
s'augmente, lorsque je dis: Ave Maria; mon esprit se réjouit, mon chagrin se
dissipe, quand je dis: Ave Maria; car la douceur de cette bénigne salutation
est si grande qu'on n'a point de terme pour l'expliquer comme il faut, et après
qu'on en aura dit des merveilles, elle demeure encore si cachée et si profonde
qu'on ne la peut découvrir. Elle est courte en paroles, mais grande en
mystères; elles est plus douce que le miel et plus précieuse que l'or; il faut
très fréquemment l'avoir dans le coeur pour la méditer, et dans la bouche pour
la lire et la répéter dévotement". "Auscultet tui nominis, o Maria, coelum
gaudet, omnis terra stupet cum dico Ave Maria; Satan fugit, infernus
contremiscit, cum dico Ave Maria; mundus vilescit, cor in amore liquescit, cum
dico Ave Maria; terror evanescit, caro marcescit, cum dico Ave Maria; crescit
devotio, oritur compuctio, cum dico Ave Maria; spes proficit, augetur
consolatio, cum dico Ave Maria; recreatur animus, et in bono confortatur aeger
afectus, cum dico Ave Maria. Siquidem tanta suavitas hujus benignae
salutationes, ut humanis non possit explicare verbis, sed semper manet altior
et profundior quam omnis creatura indagare sufficiat. Haec oratio parva est
verbis, alta mysteriis, brevis sermone, alta virtute, super mel dulcis, super
aurum pretiosa; ore cordis est jugiter ruminanda labiisque puris frequentissime
legenda ac devote repetenda". Le même bienheureux Alain rapporte, au chapitre
69 de son psautier, qu'une religieuse très dévote au Rosaire apparaut après sa
mort à une de ses soeurs et lui dit: "Si je pouvais retourner dans mon corps
pour dire seulement un Ave Maria, quoique sans beaucoup de ferveur, pour avoir
le mérite de cette prière, je souffrirais volontiers tout de nouveau toutes les
douleurs que j'ai souffertes avant de mourir". Il faut remarquer qu'elle avait
souffert plusieurs années sur son lit des douleurs violentes.
56. Michel de Lisle, évêque de
Salubre, disciple et collègue du bienheureux Alain de la Roche dans le
rétablissement du saint Rosaire, dit que la Salutation angélique est le remède
à tous les maux qui nous affligent, pourvu que nous la récitions dévotement en
l'honneur de la sainte Vierge.
20 Rose BREVE
EXPLICATION DE L'AVE MARIA.
57. Etes-vous dans la misère
du péché? Invoquez la divine Marie, dites-lui: Ave, qui veut dire: je vous
salue dans un très profond respect, ô vous qui êtes sans péché et sans malheur.
Elle vous délivrera du mal de vos péchés. Etes-vous dans les ténèbres de
l'ignorance ou de l'erreur? Venez à Marie, dites-lui: Ave Maria, c'est-à-dire
Illuminée des rayons du soleil de justice; et elle vous fera part de ses
lumières. Etes-vous égaré du chemin du ciel? Invoquez Marie, qui veut dire:
Etoile de la mer et l'étoile polaire qui guide notre navigation en ce monde, et
elle vous conduira au port du salut éternel. Etes-vous dans l'affliction? Ayez
recours à Marie qui veut dire: mer amère qui a été remplie d'amertume en ce
monde et qui est présentement changée dans une mer de pures douceurs au ciel;
elle convertira vos tristesses en joie et vos afflictions en consolations.
Avez-vous perdu la grâce? Honorez l'abondance des grâces dont Dieu a rempli la
sainte Vierge, dites-lui: "Pleine de grâces" et de tous les dons du
Saint-Esprit, et elle vous fera part de ses grâces. Etes-vous seul, privé de la
protection de Dieu, adressez- vous à Marie, dites-lui: "Le Seigneur est avec
vous" plus noblement et intimement que dans les justes et les saints, car vous
êtes une même chose avec Lui; étant votre Fils, sa chair est votre chair, vous
êtes avec le Seigneur par une très parfaite ressemblance et par une mutuelle
charité; car vous êtes sa Mère. Dites-lui enfin: Toute la très sainte Trinité
est avec vous dont vous êtes le Temple précieux; et elle vous remettra sous la
protection et sauvegarde de Dieu. Etes-vous devenu l'objet de la malédiction de
Dieu? Dites: "Vous êtes benie par-dessus toutes les femmes" et de toutes les
nations, pour votre pureté et fécondité; vous avez changé la malédiction divine
en bénédiction; et elle vous bénira. Avez-vous faim du pain de la grâce et du
pain de vie? Approchez de celle qui a porté le pain vivant qui est descendu du
Ciel, dites-lui: "Le fruit de votre ventre soit béni", lequel vous avez conçu
sans nul déchet de votre virginité, que vous avez porté sans peine et enfanté
sans douleur. "Jésus" soit béni qui a racheté le monde captif, guéri le monde
malade, ressuscité l'homme mort, ramené l'homme banni, justifié l'homme
criminel, sauvé l'homme damné. Sans doute votre âme sera rassasiée du pain de
la grâce en cette vie et de la gloire éternelle en l'autre. Amen.
58. Concluez votre prière avec
l'Eglise et dites: "Sainte Marie ", sainte au corps et en l'âme, sainte par un
dévouement singulier et éternel au service de Dieu, sainte en qualité de Mère
de Dieu qui vous a douée d'une éminente sainteté, convenable à cette dignité
infinie. "Mère de Dieu", qui êtes aussi notre Mère, notre Avocate et
Médiatrice, la Trésorière et Dispensatrice des grâces de Dieu, procurez-nous
promptement le pardon de nos péchés et notre réconciliation avec la divine
Majesté. "Priez pour nous pécheurs", vous qui avez tant de compassion des
misérables, qui ne méprisez et ne rebutez point les pécheurs, sans lesquels
vous ne seriez pas la Mère du Sauveur. "Priez pour nous maintenant", pendant le
temps de cette vie courte, fragile et misérable, "maintenant", car nous n'avons
d'assuré que ce moment présent, maintenant que nous sommes attaqués et
environnés nuit et jour d'ennemis puissants et cruels. "Et à l'heure de notre
mort", si terrible et si périlleux, où nos forces sont épuisées, où nos esprits
et nos corps sont abattus par la douleur et la crainte; à l'heure de notre mort
que Satan redouble ses efforts afin de nous perdre pour jamais; à cette heure
que ce sera la décision de notre sort pour toute l'éternité bienheureuse ou
malheureuse. Venez au secours de vos pauvres enfants, ô Mère pitoyable, ô
l'avocate et le refuge des pécheurs, chassez loin de nous, à l'heure de la
mort, les démons nos accusateurs et vos ennemis, dont l'aspect effroyable nous
épouvante. Venez nous éclairer dans les ténèbres de la mort. Conduisez-nous,
accompagnez-nous au tribunal de notre juge, votre Fils; intercédez pour nous,
afin qu'il nous pardonne et nous reçoive au nombre de vos élus dans le séjour
de la gloire éternelle. "Amen". Ainsi soit-il.
59. Qui n'admirera l'excellence
du saint Rosaire, composé de ces deux divines parties: l'Oraison dominicale et
la Salutation angélique? Y a-t-il de prière plus agréable à Dieu et à la sainte
Vierge, plus facile, plus douce et plus salutaire aux hommes? Ayons-les
toujours au coeur et dans la bouche pour honorer la très sainte Trinité,
Jésus-Christ notre Sauveur et sa très sainte Mère. De plus, à la fin de chaque
dizaine, il est bon d'ajouter le Gloria Patri, etc., c'est-à- dire: Gloire au
Père, au Fils et au Saint-Esprit. Comme il était au commencement, comme il est
maintemant et il sera dans tous les siècles des siècles. Ainsi
soit-il.
TROISIEME
DIZAINE
Excellence du saint Rosaire
dans la méditation de la vie et de la Passion de Notre-Seigneur
Jésus-Christ.
21 Rose LES QUINZE MYSTERES DU
ROSAIRE
60. Un mystère est une chose sacrée et difficile à
comprendre. Les oeuvres de Jésus-Christ sont toutes sacrées et divines, parce
qu'il est Dieu et homme tout ensemble. Celles de la sainte Vierge sont très
saintes, parce qu'elle est la plus parfaite de toutes les pures créatures. On
appelle avec raison les oeuvres de Jésus-Christ et de sa sainte Mère des
mystères, parce qu'elles sont remplies de quantité de merveilles, de
perfections et d'instructions profondes et sublimes, que le Saint-Esprit
découvre aux humbles et aux âmes simples qui les honorent. On peut encore
appeler les oeuvres de Jésus et de Marie des fleurs admirables, dont l'odeur et
la beauté ne sont connues que de ceux qui les approchent, qui les flairent et
qui les ouvrent par une attentive et sérieuse méditation.
61. Saint Dominique a partagé la
vie de Jésus-Christ et de la sainte Vierge en quinze mystères, qui nous
représentent leurs vertus et leurs principales actions comme quinze tableaux
dont les traits doivent nous servir de règle et d'exemple pour la conduite de
notre vie. Ce sont quinze flambeaux pour guider nos pas dans ce monde; quinze
miroirs ardents pour connaître Jésus et Marie, pour nous connaître nous-mêmes
et pour allumer le feu de leur amour dans nos coeurs; quinze fournaises pour
nous consumer entièrement de leurs célestes flammes. La sainte Vierge a
enseigné à saint Dominique cette excellente méthode de prier et lui a ordonné
de la prêcher, afin de réveiller la piété des chrétiens et de faire revivre
l'amour de Jésus-Christ dans leurs coeurs. Elle l'enseigna aussi au bienheureux
Alain de la Roche. "C'est une prière très utile, lui dit-elle, c'est un service
qui m'est fort agréable, que de réciter cent cinquante Salutations angéliques.
Il me l'est encore davantage, et ceux-là feront encore beaucoup mieux qui
réciteront les salutations avec la méditation de la vie, de la passion et de la
gloire de Jésus-Christ, car cette méditation est l'âme de ces oraisons". En
effet, le Rosaire, sans la méditation des mystères sacrés de notre salut, ne
serait presque qu'un corps sans âme, une excellente matière sans sa forme qui
est la méditation, qui le distingue des autres dévotions.
62. La première partie du Rosaire
contient cinq mystères, dont le premier est l'Annonciation de l'archange
Gabriel à la sainte Vierge; le second, la Visitation de la sainte Vierge à
sainte Elisabeth; le troisième, la Nativité de Jésus-Christ; le quatriène, la
Présentation de l'Enfant Jésus au temple et la purification de la sainte
Vierge; le cinquième, le Recouvrement de Jésus dans le temple parmi les
docteurs. On appelle ces Mystères joyeux à cause de la joie qu'ils ont donné à
tout l'univers. La sainte Vierge et les anges furent comblés de joie au moment
heureux où le Fils de Dieu s'incarna. Sainte Elisabeth et saint Jean-Baptiste
furent remplis de joie par la visite de Jésus et de Marie. Le ciel et la terre
se sont réjouis à la naissance du Sauveur. Siméon fut consolé et comblé de
joie, quand il reçut Jésus dans ses bras. Les docteurs étaient ravis
d'admiration en entendant les réponses de Jésus; et qui exprimera la joie de
Marie et de Joseph en retrouvant Jésus après trois jours
d'absence?...
63. La seconde partie du Rosaire
se compose aussi de cinq mystères que l'on appelle Mystères douloureux, parce
qu'ils nous représentent Jésus-Christ accablé de tristesse, couvert de plaies,
chargé d'opprobres, de douleurs et de tourments. Le premier de ces mystères est
la prière de Jésus et son Agonie au jardin des Olives; le second, sa
Flagellation; le troisième, son Couronnement d'épines; le quatrième, le
Portement de Croix; le cinquième, son Crucifiement et sa mort sur le
Calvaire.
64. La troisième partie du
Rosaire contient cinq autres mystères qu'on appelle glorieux, parce que nous y
contemplons Jésus et Marie dans le triomphe et dans la gloire. Le premier est
la Résurrection de Jésus-Christ; le second, son Ascension au ciel; le
troisième, la Descente du Saint-Esprit sur les apôtres; le quatrième,
l'Assomption de la glorieuse Vierge; le cinquième, son Couronnement. Voilà les
quinze fleurs odoriférantes du Rosier mystique sur lesquelles les âmes pieuses
s'arrêtent comme de sages abeilles, pour en cueillir le suc admirable et en
composer le miel d'une dévotion solide.
22 Rose LA MEDITATION DES
MYSTERES NOUS CONFORME A JESUS.
65. Le soin principal de l'âme
chrétienne est de tendre à la perfection. Soyez les fidèles imitateurs de Dieu,
comme ses enfants bien-aimés, nous dit le grand Apôtre. Cette obligation est
comprise dans le décret éternel de notre prédestination, comme l'unique moyen
ordonné pour parvenir à la gloire éternelle. Saint Grégoire de Nysse dit
gracieusement que nous sommes des peintres. Notre âme est la toile d'attente
sur laquelle nous devons appliquer le pinceau, les vertus sont les couleurs qui
doivent relever son éclat, et l'original que nous devons copier, c'est
Jésus-Christ, l'image vivante qui représente parfaitement le Père éternel.
Comme donc un peintre pour tirer un portrait au naturel se met devant les yeux
l'original, et qu'à chaque coup de pinceau qu'il donne il regarde, de même le
chrétien doit toujours avoir devant les yeux la vie et les vertus de
Jésus-Christ, pour ne rien dire, ne rien penser, ne rien faire qui n'y soit
conforme.
66. C'est pour nous aider dans
l'important ouvrage de notre prédestination, que la sainte Vierge a ordonné à
saint Dominique d'exposer aux fidèles qui récitent le Rosaire les mystères
sacrés de la vie de Jésus-Christ, non seulement afin qu'ils l'adorent et le
glorifient, mais principalement afin qu'ils règlent leur vie et leurs actions
sur ses vertus. Or, comme les enfants imitent leurs parents en les voyant et en
conversant avec eux; qu'ils apprennent leur langage en les entendant parler;
qu'un apprenti, en voyant travailler son maître, apprend son art; de même les
fidèles confrères du Rosaire, en considérant sérieusement et dévotement les
vertus de Jésus-Christ, dans les quinze mystères de sa vie, deviennent
semblables à ce divin Maître, avec le secours de sa grâce et par l'intercession
de la sainte Vierge.
67. Si Moïse ordonna au peuple
hébreu, de la part de Dieu même, de ne jamais oublier les bienfaits dont il
avait été comblé, à plus forte raison le Fils de Dieu peut-il nous commander de
graver dans notre coeur et d'avoir sans cesse devant les yeux les mystères de
sa vie, de sa passion et de sa gloire, puisque ce sont autant de bienfaits dont
Il nous a favorisés et par lesquels Il nous a montré l'excès de son amour pour
notre salut. "O vous tous qui passez, dit-il, arrêtez-vous et considérez s'il y
eut jamais douleurs semblables aux douleurs que j'endure pour votre amour.
Souvenez-vous de ma pauvreté et de mes abaissements, pensez à l'absinthe et au
fiel que j'ai pris pour vous dans ma passion". Ces paroles et beaucoup d'autres
qu'on pourrait alléguer nous convainquent assez de l'obligation que nous avons
de ne pas nous contenter de réciter le Rosaire vocalement en l'honneur de
Jésus-Christ et de la sainte Vierge, mais de le réciter avec la méditation des
mystères sacrés.
23 Rose LE ROSAIRE MEMORIAL DE
LA VIE ET DE LA MORT DE JESUS.
68. Jésus-Christ, le divin Epoux de
nos âmes, notre très doux ami, Jésus désire que nous nous souvenions de ses
bienfaits et que nous les estimions sur toutes choses; il a une joie
accidentelle, aussi bien que la sainte Vierge avec tous les saints du paradis,
lorsque nous méditons dévotement et avec affection sur les mystères sacrés du
Rosaire, qui sont les effets les plus signalés de son amour pour nous et les
plus riches présents qu'il puisse nous faire, puisque c'est par de tels
présents que la sainte Vierge même et tous les saints jouissent de la gloire.
La bienheureuse Angèle de Foligno pria un jour Notre- Seigneur de lui enseigner
à quel exercice elle l'honorerait le plus. Il lui apparut attaché à la croix et
lui dit: "Ma fille, regarde mes plaies". Elle apprit de ce très aimable Sauveur
que rien ne lui est plus agréable que la méditation de ses souffrances. Ensuite
il lui découvrit les blessures de sa tête et plusieurs circonstances de ses
tourments et lui dit: "J'ai souffert tout cela pour ton salut, que peux-tu
faire qui égale mon amour pour toi?"
69. Le saint sacrifice de la
messe honore infiniment la très sainte Trinité, parce qu'il représente la
passion de Jésus- Christ et que nous y offrons les mérites de son obéissance,
de ses souffrances et de son sang. Toute la cour céleste en reçoit aussi une
gloire accidentelle, et plusieurs docteurs, avec saint Thomas, nous disent pour
la même raison, qu'elle se réjouit de la communion des fidèles, parce que le
Saint- Sacrement est un mémorial de la passion et de la mort de Jésus-Christ, et
que, par ce moyen, les hommes participent à ses fruits et avancent l'affaire de
leur salut. Or, le saint Rosaire, récité avec la méditation des mystères
sacrés, est un sacrifice de louanges à Dieu pour le bienfait de notre
Rédemption et un dévot souvenir des souffrances, de la mort et de la gloire de
Jésus-Christ. Il est donc vrai que le Rosaire cause une gloire, une joie
accidentelle à Jésus-Christ, à la sainte Vierge et à tous les bienheureux, car
ils ne désirent rien de plus grand, pour notre bonheur éternel, que de nous
voir occupés à un exercice aussi glorieux à notre Sauveur et aussi salutaire
pour nous.
70. L'Evangile nous assure qu'un
pécheur qui se convertit et fait pénitence cause de la joie à tous les anges.
Si c'est assez pour réjouir les anges qu'un pécheur quitte ses péchés et en
fasse pénitence, quelle joie, quelle jubilation sera-ce pour toute la cour
céleste, quelle gloire pour Jésus-Christ même, de nous voir sur la terre,
méditer dévotement et avec amour sur ses abaissements, sur ses tourments, sur
sa mort cruelle et ignominieuse? Y a-t-il rien de plus efficace, pour nous
toucher et nous porter à une sincère pénitence? Le chrétien qui ne médite pas
sur les mystères du Rosaire montre une grande ingratitude pour Jésus-Christ et
le peu d'estime qu'il fait de tout ce que le divin Sauveur a souffert pour le
salut du monde. Sa conduite semble dire qu'il ignore la vie de Jésus-Christ,
qu'il se met fort peu en peine d'apprendre ce qu'il a fait, ce qu'il a souffert
pour nous sauver. Ce chrétien doit fort craindre que, n'ayant pas connu
Jésus-Christ, ou que l'ayant mis en oubli, Il ne le rejette au jour du jugement
avec ce reproche: "Je vous dis en vérité que je ne vous connais point".
Méditons donc sur la vie et les souffrances du Sauveur par le saint Rosaire,
apprenons à le bien connaître et à reconnaître ses bienfaits, afin qu'il nous
reconnaisse pour ses enfants et pour ses amis au jour du jugement.
24 Rose LA MEDITATION DES
MYSTERES DU ROSAIRE EST UN GRAND MOYEN DE PERFECTION.
71. Les saints
faisaient leur principale étude de la vie de Jésus-Christ, ils ont médité sur
ses vertus et sur ses souffrances, et, par ce moyen, ils sont arrivés à la
perfection chrétienne. Saint Bernanrd a commencé par cet exercice, qu'il a
toujours continué. "Dès le commencement de ma conversion, dit-il, je fis un
bouquet de myrrhe composé des douleurs de mon Sauveur; je mis ce bouquet sur
mon coeur, pensant aux fouets, aux épines et aux clous de la passion.
J'appliquai tout mon esprit à méditer tous les jours sur ces mystères". C'était
aussi l'exercice des saints martyrs: nous admirons comment ils ont triomphé des
plus cruels tourments. D'où pouvait venir cette admirable constance des
martyrs, dit saint Bernard, sinon des plaies de Jésus-Christ, sur lesquelles
ils faisaient leur plus fréquente méditation? Où était l'âme de ces généreux
athlètes, lorsque leur sang coulait et que leur corps était broyé par les
supplices? Leur âme était dans les plaies de Jésus-Christ et ces plaies les
rendaient invincibles.
72. La très sainte Mère du
Sauveur ne s'est occupée toute sa vie qu'à méditer sur les vertus et les
souffrances de son Fils. Lorsqu'elle entendit les anges chanter à sa naissance
leur cantique d'allégresse, lorsqu'elle vit les pasteurs l'adorer dans
l'étable, son esprit fut rempli d'admiration et elle méditait toutes ces
merveilles. Elle comparait les grandeurs du Verbe incarné à ses profonds
abaissements; la paille et la crèche, à son trône et au sein de son Père; la
puissance d'un Dieu, à la faiblesse d'un enfant; sa sagesse, à sa simplicité.
La sainte Vierge dit un jour à sainte Brigitte: "Lorsque je contemplais la
beauté, la modestie, la sagesse de mon Fils, mon âme était transportée de joie,
et lorsque je considérais ses mains et ses pieds qu'on percerait avec des
clous, je versais un torrent de larmes, le coeur me fendait de tristesse et de
douleur".
73. Après l'Ascension de
Jésus-Christ, la sainte Vierge passa le reste de sa vie à visiter les lieux que
ce divin Sauveur avait sanctifiés par sa présence et par ses tourments. Là,
elle méditait sur l'excès de sa charité et sur les rigueurs de sa passion.
C'était encore l'exercicie continuel de Marie- Madeleine pendant les trente
années qu'elle vécut dans la Sainte-Baume. Enfin saint Jerôme dit que c'était
la dévotion des premiers fidèles. De tous les pays du monde ils venaient en
Terre Sainte pour graver plus profondément dans leurs coeurs l'amour et le
souvenir du Sauveur des hommes, par la vue des objets et des lieux qu'il avait
consacrés par sa naissance, par ses travaux, par ses souffrances et par sa
mort.
74. Tous les chrétiens n'ont
qu'une foi, n'adorent qu'un Dieu, n'espèrent qu'une même félicité dans le ciel;
ils ne connaissent qu'un médiateur qui est Jésus-Christ; tous doivent imiter ce
divin modèle, et pour cela considérer les mystères de sa vie, de ses vertus et
de sa gloire. C'est une erreur de s'imaginer que la méditation des vérités de
la foi et des mystères de la vie de Jésus-Christ ne regarde que les prêtres,
les religieux et ceux qui se sont retirés des embarras du monde. Si les
religieux et les ecclésiastiques sont obligés de méditer sur les grandes
vérités de notre sainte religion pour répondre dignement à leur vocation, les
gens du monde y sont au moins autant obligés, à cause des dangers où ils sont
tous les jours de se perdre. Ils doivent donc s'armer du fréquent souvenir de
la vie, des vertus et des souffrances du Sauveur, que nous représentent les
quinze mystères du saint Rosaire.
25 Rose RICHESSE DE
SANCTIFICATION RENFERMEES DANS LES PRIERES
ET LES MEDITATIONS DU
ROSAIRE.
75. Jamais personne ne pourra comprendre les richesses
admirables de sanctification qui sont renfermées dans les prières et dans les
mystères du saint Rosaire. Cette méditation des mystères de la vie et de la
mort de Notre- Seigneur Jésus-Christ est, pour tous ceux qui en font usage, la
source des fruits les plus merveilleux. Aujourd'hui, on veut des choses qui
frappent, qui émeuvent, qui produisent dans l'âme des impressions profondes.
Qu'y a-t-il au monde de plus émouvant que cette histoire merveilleuse de notre
Rédempteur se déroulant à nos yeux en quinze tableaux nous rappelant les
grandes scènes de la vie, de la mort et de la gloire du Sauveur du monde?
Quelles prières sont plus excellentes et plus sublimes que l'Oraison dominicale
et l'Ave de l'ange? Là sont renfermés tous nos désirs, tous nos
besoins.
76. La méditation des mystères et
des prières du Rosaire est la plus facile de toutes les oraisons, parce que la
diversité des vertus, des états de Jésus-Christ que l'on étudie, récrée et
fortifie merveilleusement l'esprit et empêche les distractions. Les savants
trouvent dans ces formules la doctrine la plus profonde, et les petits, les
instructions les plus familières. Il faut passer par cette méditation facile,
avant de s'élever au degré le plus sublime de la contemplation. Telle est la
pensée de saint Thomas d'Aquin, et le conseil qu'il nous donne, quand il dit
qu'il faut s'exercer d'abord comme dans un champ de combat par l'acquisistion
de toutes les vertus dont nous avons le parfait modèle dans les mystères du
Rosaire; car c'est là, dit le savant Cajetan, que nous acquerrons l'union
intime avec Dieu, sans laquelle la contemplation n'est qu'une illusion capable
de séduire les âmes.
77. Si les faux illuminés de nos
jours ou les quiétistes avaient suivi ce conseil, ils n'auraient pas fait de si
terribles chutes, ni causé tant de scandales dans la dévotion. C'est une
étrange illusion du démon de croire qu'on puisse faire des oraisons plus
sublimes que celles du Pater et de l'Ave, en abandonnant ces divines oraisons
qui sont le soutien, la force et la garde de l'âme. J'avoue qu'il n'est pas
toujours nécessaire de les réciter vocalement et que la prière intérieure, en
un sens, est plus parfaite que la vocale; mais je vous assure qu'il est très
dangereux, pour ne pas dire pernicieux, de quitter de son propre mouvement la
récitation du chapelet ou du Rosaire sous prétexte d'une plus parfaite union à
Dieu. L'âme finement orgueilleuse, trompée par le démon du midi, fait tout ce
qu'elle peut intérieurement pour s'élever au degré sublime des oraisons des
saints, méprise et quitte pour cela ses anciennes manières de prier, bonnes
pour les âmes du commun. Elle ferme d'elle-même l'oreille aux prières et au
salut d'un ange et même à l'oraison qu'un Dieu a faite, pratiquée et commandée:
"Sic orabitis: Pater noster" et Vous prierez ainsi, et, par là, elle tombe
d'illusion en illusion, et de précipice en précipice.
78. Croyez-moi, mon cher confrère
du Rosaire, voulez-vous arriver à un haut degré d'oraison sans pourtant
l'affecter et sans tomber dans les illusions du démon si ordinaires aux
personnes d'oraison, dites tous les jours, si vous pouvez, votre Rosaire entier
ou du moins le chapelet. Y êtes-vous déjà arrivé par la grâce de Dieu, si vous
voulez vous y conserver et y croître dans l'humilité, conservez la pratique du
saint Rosaire, car jamais une âme qui dit son Rosaire tous les jours ne sera
formellement hérétique ni trompée par le démon; c'est une proposition que je
signerais de mon sang. Si cependant Dieu, par sa très grande miséricorde, vous
attire au milieu de votre chapelet aussi puissammment que quelques saints,
laissez-vous aller à son attrait, laissez Dieu opérer et prier en vous et y
réciter le Rosaire à sa manière, et que celui-là vous suffise dans la journée.
Mais si vous n'êtes que dans la contemplation active ou oraison ordinaire, de
quiétude, de présence de Dieu et d'affection, vous avez encore moins de raison
de quitter le Rosaire, et bien loin de reculer dans l'oraison et la vertu en le
récitant, qu'au contraire, il vous sera un aide merveilleux et la véritable
échelle de Jacob, où il y avait 15 échelons, par lesquels vous irez de vertu en
vertu, de lumières en lumières, et arriverez facilement sans tromperie jusqu'à
la plénitude de l'âge de Jésus-Christ.
26 Rose 79. Gardez-vous bien
d'imiter l'opiniâtreté de cette dévote de Rome dont les merveilles du Rosaire
parlent tant. C'était une personne si dévote et si fervente qu'elle faisait
confusion par sa sainte vie aux religieux les plus austères de l'Eglise de
Dieu. Voulant consulter saint Dominique et s'étant confessée à lui, il lui
imposa pour pénitence de dire un seul Rosaire et par conseil de le dire tous
les jours. Elle s'excusa sur ce sujet et dit qu'elle a ses exercices réglés,
qu'elle gagne tous les jours les stations de Rome, qu'elle porte la haire, le
cilice, qu'elle prend la discipline plusieurs fois par semaine, qu'elle fait
tant de jeûnes et autres pénitences. Saint Dominique la presse et represse à
suivre son conseil, elle n'en veut rien faire; elle sort comme scandalisée du
confessionnal de voir le procédé de ce nouveau directeur pour elle, qui lui
voulait persuader une dévotion qu'elle ne pouvait goûter. Voilà qu'étant en
oraison et ravie en extase, elle voit son âme obligée de paraître devant le
Souverain Juge. Saint Michel met toutes ses pénitences et autres prières dans
un bassin de la balance et de l'autre tous ses péchés et imperfections. Saint
Michel hausse la balance, le bassin de ses bonnes oeuvres s'en va en l'air et
ne peut contrepeser le bassin de ses péchés et imperfections. Tout alarmée,
elle crie miséricorde, elle s'adresse à la sainte Vierge, son avocate, laquelle
laissa tomber dans le bassin de ses bonnes oeuvres le seul Rosaire qu'elle
avait dit pour pénitence, lequel fut si pesant qu'il contrepesa tous ses péchés
aussi bien que toutes ses bonnes oeuvres. Elle fut reprise en même temps de la
sainte Vierge de ce qu'elle avait refusé de suivre le conseil de son serviteur
Dominique, de dire le saint Rosaire tous les jours. Etant revenue à elle-même,
elle alla se jeter aux pieds de saint Dominique, lui raconta ce qui lui était
arrivé, lui demanda pardon de son incrédulité, promit de dire le Rosaire tous
les jours et arriva par ce moyen à la perfection chrétienne, et à la gloire
éternelle. Apprenez de là, personnes d'oraison, la force, le prix et
l'importance de cette dévotion du saint Rosaire avec la méditation des
mystères.
80. Quoi de plus élevé en oraison
que sainte Madeleine, qui était portée sept fois le jour par les anges
au-dessus du Saint Pillon, laquelle avait été à l'école de Jésus-Christ et de
sa sainte Mère, et, cependant, lorsqu'elle demandait un jour à Dieu un bon
moyen pour s'avancer en son amour et arriver à la plus haute perfection,
l'archange saint Michel vient de la part de Dieu lui dire qu'il n'en savait
point d'autre que de considérer au milieu d'une croix, qu'il lui planta au
devant de sa caverne, les mystères douloureux qu'elle avait vu opérer de ses
propres yeux. Que l'exemple de saint François de Sales, ce grand directeur des
âmes spirituelles de son siècle, vous oblige à vous rendre d'une si sainte
confrérie, puis que, tout saint qu'il était, il s'obligea par voeu de le dire
tout entier tous les jours autant de temps qu'il vivrait. Saint Charles
Borromée le récitait aussi tous les jours et recommandait fort cette dévotion à
ses prêtres et ecclésiastiques dans les séminaires et à tout son peuple. Le
bienheureux Pie V, l'un des grands papes qui ait gouverné l'Eglise, récitait
tous les jours le Rosaire. Saint Thomas de Villeneuve, archevêque de Valence,
saint Ignace, saint François Xavier, saint François de Borgia, sainte Thérèse,
saint Philippe de Néri, pllusieurs autres grands hommes que je passe sous
silence, ont excellé en cette dévotion. Suivez leurs exemples, vos directeurs
en seraient bien aise, et s'ils sont informés des fruits que vous en pouvez
retirer, ils vous y exciteront les premiers.
27 Rose 81. Pour vous animer
encore davantage à cette dévotion des grandes âmes, j'ajoute que le Rosaire
récité avec la méditation des mystères: 1 nous élève insensiblement à la
connaissance parfaite de Jésus-Christ; 2 purifie nos âmes du péché; 3 nous rend
victorieux de tous nos ennemis; 4 nous rend la pratique des vertus facile; 5
nous embrase de l'amour de Jésus-Christ; 6 nous enrichit de grâces et de
mérites; 7 nous fournit de quoi payer toutes nos dettes à Dieu et aux hommes,
et enfin, nous fait obtenir de Dieu toutes sortes de grâces.
82. La connaissance de
Jésus-Christ est la science des chrétiens et la science du salut; elle
surpasse, dit saint Paul, toutes les sciences humaines en prix et en
excellence: 1 pour la dignité de son objet, qui est un Dieu homme, en présence
duquel tout l'univers n'est qu'une goutte de rosée ou un grain de sable; 2 pour
son utilité; les sciences humaines ne nous remplissent que de vent et de fumée
de l'orgueil; 3 pour sa nécessité; car on ne peut être sauvé, si on n'a la
connaissance de Jésus-Christ, et celui qui ignore toutes les autres sciences
sera sauvé, pourvu qu'il soit éclairé de la science de Jésus-Christ. Heureux
Rosaire qui nous donne cette science et connaissance de Jésus-Christ, en nous
faisant méditer sa vie, sa mort et passion et sa gloire. La reine de Saba,
admirant la sagesse de Salomon, s'écria: "Heureux vos domestiques et vos
serviteurs qui sont toujours en votre présence et entendent les oracles de
votre sagesse"; plus heureux les fidèles qui méditent attentivement la vie, les
vertus, les souffrances et la gloire du Sauveur, parce qu'ils acquièrent par ce
moyen, sa parfaite connaissance dans laquelle consiste la vie éternelle. Haec
est vita aeterna.
83. La sainte Vierge a révélé au
bienheureux Alain qu'aussitôt que saint Dominique prêcha le Rosaire, les
pécheurs endurcis furent touchés et pleurèrent amèrement leurs crimes; les
jeunes enfants même firent des pénitences incroyables, la ferveur fut si
grande, partout où il prêchait le Rosaire, que les pécheurs changèrent de vie
et édifièrent tout le monde par leurs pénitences et l'amendement de leur vie.
Si vous sentez votre conscience chargée de quelques péchés, prenez votre
Rosaire, en récitant une partie en l'honneur de quelques mystères de la vie, de
la passion ou de la gloire de Jésus-Christ, et soyez persuadé que, pendant que
vous méditerez et honorerez ces mystères, Il montrera ses plaies sacrées à son
Père au ciel. Il plaidera pour vous et vous obtiendra la contrition et le
pardon de vos péchés. Il dit un jour au bienheureux Alain: "Si ces misérables
pécheurs récitaient souvent mon Rosaire, ils participeraient aux mérites de ma
passion, et, comme leur Avocat, j'apaiserais la divine Justice".
84. Cette vie est une guerre et
une tentation continuelles; nous n'avons pas à combattre des ennemis de chair
et de sang, mais les puissances mêmes de l'enfer. Quelles armes prendrons-
nous, pour les combattre, que l'oraison que notre grand Capitaine nous a
enseignée, que la Salutation angélique, qui a chassé les démons, détruit le
péché et renouvelé le monde, que la méditation de la vie, de la passion de
Jésus-Christ, de la pensée de laquelle nous devons nous armer, comme nous
ordonne saint Pierre, pour nous défendre des mêmes ennemis qu'il a vaincus et
qui nous attaquent tous les jours. "Depuis que le démon, dit le cardinal
Hugues, a été vaincu par l'humilité et la passion de Jésus-Christ, il ne se
peut quasi attaquer à une âme armée de la méditation de ses mystères ou, s'il
l'attaque, il en est vaincu honteusement". "Induite vos armaturam Dei (Eph
6,11).
85. Armez-vous donc de ces armes
de Dieu, du saint Rosaire, et vous briserez la tête du démon, et demeurerez
stables contre toutes ses tentations. C'est d'où vient que le Rosaire même
matériel est si terrible au diable, et que les saints s'en sont servis pour
l'enchaîner et le chasser des corps des possédés, comme plusieurs histoires
rendent témoignage.
86. Un homme, dit le bienheureux
Alain, ayant en vain tenté toutes sortes de pratiques de dévotion pour être
délivré du malin esprit qui le possédait, s'avisa de mettre à son col son
Rosaire, ce qui le soulagea, et ayant éprouvé que lorsqu'il l'ôtait de son cou,
le démon le tourmentait cruellement, résolut de le porter au cou jour et nuit,
ce qui chassa le diable pour toujours, ne pouvant supporter une si terrible
chaîne. Le bienheureux Alain témoigne qu'il a délivré un grand nombre de
possédés, en leur mettant ainsi le Rosaire au cou.
87. Le Révérend Père Jean Amât,
de l'ordre de Saint- Dominique, prêchant le Carême dans un lieu de ce royaume
d'Aragon, on lui amena une jeune fille possédée du démon; après l'avoir
plusieurs fois exorcisée, mais en vain, il lui mit son Rosaire au cou, et
aussitôt elle se mit à faire de cris et des hurlements épouvantables, disant:
"Otez-moi, ôtez- moi ces grains qui me tourmentent". Enfin le père, par
compassion pour la pauvre fille, lui ôta son Rosaire du cou. La nuit suivante,
lorsque le Révérend Père était dans son lit à se reposer, les mêmes démons qui
possédaient cette fille vinrent à lui, tout écumants de rage, pour se saisir de
sa personne; mais avec son Rosaire qu'il tenait fortement à la main, malgré les
efforts qu'ils firent pour le lui ôter, il les fouetta admirablement bien et
les chassa en disant: "Sainte Marie, Notre-Dame du saint Rosaire, à mon aide!"
Lorsque, le lendemain, il allait à l'église, il rencontra cette pauvre fille
encore possédée; un des démons qui étaient en elle se mit à dire en se moquant
de lui: "Ah! frère, si tu n'avais point eu ton Rosaire, nous t'aurions bien
accommodé ". Alors le Révérend Père jette derechef son Rosaire au cou de la
fille, disant: "Par les très sacrés noms de Jésus et de Marie, sa sainte Mère,
et par la vertu du très saint Rosaire, je vous commande, esprits malins, de
sortir de ce corps tout à l'heure"; aussitôt ils furent contraints d'obéir, et
elle fut délivrée. Ces histoires nous marquent quelle est la force du saint
Rosaire pour vaincre toutes sortes de tentations des démons et toutes sortes de
péchés, parce que les grains bénits du Rosaire les mettent en fuite.
28 Rose 88. Saint Augustin assure
qu'il n'y a point d'exercice si fructueux et si utile au salut que de penser
souvent aux souffrances de Notre-Seigneur. Le bienheureux Albert le Grand,
maître de saint Thomas, a su par révélation que le simple souvenir ou la
méditation de la passion de Jésus-Christ est plus méritoire au chrétien que de
jeûner pendant un an tous les vendredis au pain et à l'eau, ou de prendre la
discipline jusqu'au sang toutes les semaines, ou de réciter tous les jours le
psautier. Ah! Quel est, par conséquent, le mérite du Rosaire, qui fait mémoire
de toute la vie et la passion de Notre-Seigneur? La sainte Vierge révéla un
jour, au bienheureux Alain de la Roche, qu'après le saint sacrifice de la
messe, qui est la première et la plus vive mémoire de la passion de Jésus-
Christ, il n'y avait point de dévotion plus excellente et plus méritoire que le
Rosaire, qui est comme une seconde mémoire et représentation de la vie et de la
passion de Jésus-Christ.
89. Le Révérend Père Dorland
rapporte que la sainte Vierge dit un jour au vénérable Dominique, chartreux,
dévot du saint Rosaire, qui résidait à Trèves l'an 1481: "Toutes les fois qu'un
fidèle récite le Rosaire avec les méditations des mystères de la vie et de la
passion de Jésus- Christ, en état de grâce, il obtient pleine et entière
rémission de tous ses péchés". Elle dit aussi au bienheureux Alain: "Sachez
qu'encore qu'il y ait quantité d'indulgences données à mon Rosaire, j'y en
ajouterai beaucoup davantage pour chaque cinquantaine à ceux qui le réciteront
sans péché mortel, à genoux, dévotement, et quiconque persévèrera dans la
dévotion du saint Rosaire avec ces articles et méditations, je lui obtiendrai,
pour récompense de ce bon service, pleine rémission de la peine et de la coulpe
de tous ses péchés à la fin de la vie. Et que cela ne te semble pas incroyable;
il m'est facile, puisque je suis la Mère du Roi des cieux, qui m'appelle pleine
de grâce, et, si j'en suis remplie, j'en ferai une ample effusion à mes chers
enfants".
90. Saint Dominique était si bien
persuadé de l'efficace et mérite du saint Rosaire qu'il ne donnait quasi point
d'autre pénitence à ceux qu'il confessait, comme nous avons vu dans l'histoire
que j'ai rapportée d'une dame romaine à qui il ne donna pour pénitence qu'un
seul Rosaire. Les confesseurs devraient aussi, pour marcher sûrement sur les
traces de ce grand saint, enjoindre aux pénitents le Rosaire, avec la réflexion
sur les sacrés mystères, plutôt que d'autres pénitences qui ne sont pas d'un si
grand mérite, ni si agréables à Dieu, ni si salutaires aux âmes pour les faire
avancer dans la vertu, ni si efficaces pour les empêcher de tomber dans le
péché, et de plus, en disant le Rosaire, on gagne quantité d'indulgences qui ne
sont pas attachées à plusieurs autres dévotions.
91. "Certes, dit l'abbé Blosius,
ce Rosaire, avec les méditations de la vie et de la passion, est très agréable
à Jésus-Christ et à la sainte Vierge et très efficace pour obtenir toutes
choses; nous le pouvons dire tant pour nous que pour ceux qui nous sont
recommandés et pour toute l'Eglise. Recourons donc à la dévotion du saint
Rosaire dans toutes nos nécessités, et nous obtiendrons infailliblement ce que
nous demanderons à Dieu pour notre salut".
29 Rose 92. Il n'est rien de plus
divin, selon la pensée de saint Denis, rien de plus noble ni de plus agréable à
Dieu, que de coopérer au salut des âmes et de renverser les machines du démon
qui tâche de les perdre. C'est le motif qui a fait descendre le Fils de Dieu en
terre. Il avait ruiné l'empire de Satan par la fondation de l'Eglise, mais ce
tyran avait repris ses forces et exercé une cruelle violence sur les âmes des
Albigeois, par les haines, les dissensions et par les vices abominables qu'il
faisait régner dans le monde dans le onzième siècle. Quel remède à ces grands
désordres, comment abattre les forces de Satan? La sainte Vierge, protectrice
de l'Eglise, n'a point donné de moyen plus efficace pour apaiser la colère de
son Fils, pour extirper l'hérésie et réformer les moeurs des chrétiens que la
confrérie du saint Rosaire, comme l'effet l'a vérifié. Il a renouvelé la
charité, la fréquentation des sacrements des premiers siècles d'or de l'Eglise,
réformé les moeurs des chrétiens.
93. Le pape Léon X dit en sa
bulle que cette confrérie a été fondée en l'honneur de Dieu et de la sainte
Vierge comme un mur pour arrêter les malheurs qui allaient fondre sur l'Eglise.
Gregoire XIII dit que le Rosaire a été donne du ciel comme un moyen pour
apaiser la colère de Dieu et implorer l'intercession de la sainte Vierge. Jules
3 dit que le Rosaire a été inspiré pour nous ouvrir plus facilement le ciel,
par les faveurs de la sainte Vierge. Paul III et le bienheureux Pie V déclarent
que le Rosaire a été établi et donné aux fidèles pour se procurer plus
efficacement le repos et la consolation spirituelle. Qui négligera d'entrer en
une confrérie instituée pour des fins aussi nobles?
94. Le Père Dominique, chartreux,
fort dévot au Rosaire, vit un jour le ciel ouvert et toute la cour céleste
rangée en un ordre admirable et entendit chanter le Rosaire, d'une mélodie
ravissante, honorant à chaque dizaine un mystère de la vie, de la passion et de
la gloire de Jésus-Christ et de la sainte Vierge. Et il remarqua que quand ils
prononçaient le sacré nom de Marie, ils faisaient tous une inclination de la
tête, et à celui de Jésus, ils faisaient tous une génuflexion et rendaient
grâces à Dieu des grands biens qu'il a faits au ciel et en la terre par le
saint Rosaire. Il vit aussi la sainte Vierge et les saints présenter à Dieu les
Rosaires que les confrères récitent en terre, et prient pour ceux qui
pratiquent cette dévotion; il vit encore d'innombrables couronnes, de très
belles et odoriférantes fleurs, préparées pour ceux qui récitent dévotement le
saint Rosaire, et qu'autant de fois qu'ils le récitent ils se font une couronne
dont ils seront parés au ciel. La vision de ce dévot chartreux est conforme à
la vision qu'eut le disciple bien-aimé, dans laquelle il vit une multitude
innombrable d'anges et des saints, qui louaient et bénissaient Jésus-Christ
pour tout ce qu'il a fait et souffert dans ce monde pour notre salut; n'est-ce
pas ce que font les dévots confrères du Rosaire?
95. Il ne faut pas s'imaginer que
le Rosaire soit seulement pour les femmes, et les petits et les ignorants; il
est aussi pour les hommes, et les plus grands hommes. D'abord que saint
Dominique eut rendu compte au pape Innocent III de l'ordre qu'il avait reçu du
ciel, d'établir cette sainte confrérie, le Saint-Père l'approuva, exhorta saint
Dominique à le prêcher et il voulut y être associé. Les cardinaux mêmes
l'embrassèrent avec une grande ferveur, en sorte que Lopez avance ces paroles:
"Nullum sexum, nullam aetatem, nullam conditionem ab oratione rosarii subtraxit
se". Ainsi on remarque, dans cette confrérie, toutes sortes de personnes: des
ducs, des princes, des rois, aussi bien que des prélats, des cardinaux,
souverains pontifes, dont le dénombrement serait trop long pour cet abrégé; et
vous mettant, cher lecteur, en cette confrérie, vous aurez part à leur dévotion
et leurs grâces sur la terre et à leur gloire dans le ciel. "Cum quibus
consortium vobis erit devotionis, erit et communio dignitatis".
30 Rose 96. Si les privilèges,
les grâces et les indulgences rendent une confrérie recommandable, on peut dire
que celle du Rosaire est la plus recommandable de l'Eglise, puisqu'elle est la
plus favorisée et enrichie d'indulgences, et il n'y a presque point de papes
depuis son institution qui n'aient ouvert les trésors de l'Eglise pour la
gratifier; et comme l'exemple persuade mieux que les paroles et les bienfaits,
les Saints Pères n'ont pu mieux marquer l'estime qu'ils faisaient de cette
sainte confrérie qu'en s'y associant eux-mêmes. Voici un petit abrégé des
indulgences que les Souverains Pontifes ont entièrement accordées à la
confrérie du Saint Rosaire, confirmées de nouveau par notre Saint-Père le pape
Innocent 11e le 31 juillet 1679, reçues et permises d'être publiées par
monseigneur l'archevêque de Paris le 25 septembre de la même année: 1 Pour le
jour de l'entrée dans la confrérie: indulgence plénière; 2 Pour l'article de la
mort: indulgence plénière; 3 Pour chacun des trois chapelets du Rosaire
récités: dix ans et dix quarantaines d'indulgences; 4 Pour chaque fois qu'ils
prononceront dévotement les saints noms de Jésus et de Marie; sept jours
d'indulgences; 5 Pour ceux qui assisteront dévotement à la procession du saint
Rosaire: sept ans et sept quarantaines d'indulgences; 6 A ceux qui, vraiment
pénitents et confessés, visiteront la chapelle du Rosaire dans l'église où elle
est établie, les premiers dimanches de chaque mois et les fêtes de
Notre-Seigneur et de la sainte Vierge: indulgence plénière; 7 A ceux qui
assistent au Salve Regina: cent jours d'indulgence; 8 A ceux qui dévotement et
pour montrer exemple portent ouvertement le saint Rosaire; cent jours
d'indulgences; 9 Aux confrères malades, qui ne pourront venir à l'église, étant
confessés et communiés, réciteront le jour le saint Rosaire ou du moins le
chapelet: indulgence plénière au jour marqué pour la gagner; 10 Les
Saints-Pères, par une grande libéralité envers les confrères du saint Rosaire,
leur ont donné la faculté de gagner les indulgences des stations de Rome,
visitant cinq autels, en recitant devant chacun cinq fois le Pater et l'Ave,
pour l'heureux état de l'Eglise. S'il n'y a qu'un autel ou deux dans cette
église, où est le Rosaire établi, ils réciteront 25 fois le Pater et l'Ave
devant cet autel.
97. Grande faveur pour les
confrères du saint Rosaire, parce que dans les églises des stations de Rome, il
y a des indulgences plénières, des délivrances d'âmes du purgatoire et
plusieurs autres grandes rémissions que les confrères peuvent gagner sans
peine, sans frais, sans sortir de leurs pays; et même, si la confrérie n'est
pas établie dans le lieu où demeurent les confrères, ils gagneront lesdites
indulgences, visitant cinq autels de quelque église que ce soit, par la
concession de Léon dixième. Voici les jours auxquels ils les peuvent gagner,
déterminés et fixés, pour ceux qui sont hors la ville de Rome, par un décret de
la Sacrée Congrégation établié pour les indulgences, approuvé par notre
Saint-Père le 7 mars 1678, qui a ordonné qu'il sera inviolablement observé:
Tous les dimanches de l'Avent; les trois jours des Quatre-Temps; la vigile de
Noël, aux messes de minuit, de l'aurore et du jour; les fêtes de saint Etienne,
de saint Jean l'Evangéliste, et des Innocents, de la Circoncision et des Rois;
les dimanches de la Septuagésime, Sexagésime, Quinquagésime et, depuis le jour
des Cendres, tous les jours, jusqu'au dimanche de la Quasimodo inclusivement;
les trois jours des Rogations; le jour de l'Ascension; la vigile de la
Pentecôte, et tous les jours de l'octave et les trois jours de Quatre-Temps de
septembre. Cher confrère du Rosaire, il y a un grand nombre d'autres
indulgences. Si vous les voulez voir, lisez le sommaire des indulgences
accordées aux confrères du Rosaire. Vous y verrez les noms des papes, l'année
et plusieurs autres particularités que cet abrégé ne souffre pas.
QUATRIEME
DIZAINE
L'excellence du saint Rosaire
dans les merveilles que Dieu a opérées en sa
faveur.
31 Rose 98. Saint Dominique étant
allé visiter sainte Blanche, reine de France, qui, depuis 12 ans qu'elle était
mariée, n'avait point eu d'enfants, et donc elle était fort affligée, lui
conseilla de dire son Rosaire tous les jours, pour obtenir cette grâce du diel,
ce qu'elle fit, et elle accoucha, l'an 1213, de son aîné qui fut appelé
Philippe. Mais la mort l'ayant ravi en son berceau, la dévote reine eut plus
que jamais recours à la sainte Vierge et elle fit distribuer quantité de
Rosaires à toute la cour et dans plusieurs villes du royaume, afin que Dieu la
comblât d'une entière bénédiction. Ce qui arriva ainsi, car l'an 1215 saint
Louis vint au monde, la gloire de la France et le modèle des rois
chrétiens.
99. Alphonse huitième, roi
d'Aragon et de Castille, fut, à cause de ses péchés, châtié de Dieu en
plusieurs manières et il fut contraint de se retirer dans une ville de l'un de
ses alliés. Saint Domnique, se rencontrant en cette même ville le jour de Noël,
y prêcha à son ordinaire le Rosaire et les grâces que l'on obtient de Dieu par
cette dévotion et dit, entre autres choses, que ceux qui le réciteraient
dévotement obtiendraient la victoire de leurs ennemis et recouvreraient tout ce
qu'ils avaient perdu. Le roi remarque bien ces paroles, envoie quérir saint
Dominique et lui demande si ce qu'il avait prêché du saint Rosaire était
véritable. Le saint répondit qu'il n'en fallait point douter et lui promit que
s'il voulait pratiquer cette dévotion et s'enrôler en la confrérie, il en
verrait les effets. Le roi se résolut à réciter tous les jours le Rosaire, et
il continua pendant un an, et le même jour de Noël, ayant récité son Rosaire,
la sainte Vierge lui apparut et lui dit: "Alphonse, il y a un an que tu me sers
dévotement par mon Rosaire, je viens te récompenser. Sache que j'ai obtenu de
mon Fils le pardon de tous tes péchés; voilà un rosaire que je te donne;
porte-le sur toi, et jamais aucun de tes ennemis ne te pourra nuire". Elle
disparut et laissa le roi fort consolé; il s'en retourna, tenant ce rosaire à
la main et, abordant la reine, il lui raconta tout joyeux la faveur qu'il
venait de recevoir de la sainte Vierge; il lui toucha les yeux de ce rosaire,
elle recouvra la vue qu'elle avait perdue. Quelque temps après, le roi, ayant
ramassé quelques troupes, avec l'aide de ses alliés, attaqua hardiment ses
ennemis, les obligea de rendre ses terres, de réparer ses dommages, les chassa
entièrement et devint si heureux en guerre que de tous côtés il lui venait des
soldats pour combattre sous ses enseignes, parce que les victoires semblaient
suivre partout ses batailles. Il ne s'en faut pas étonner, car il ne livrait
jamais de combats qu'après avoir récité son Rosaire à genoux; il faisait
recevoir dans la confrérie du saint Rosaire toute sa cour et il obligeait ses
officiers et domestiques d'y être dévots. La reine s'y engagea aussi, et tous
deux persévérèrent au service de la sainte Vierge et vécurent en grande
piété.
32 Rose (B. Alain, c.53) 100.
Saint Dominique avait un cousin nommé dom Perez ou Pedro, qui menait une vie
fort dissolue. Ayant entendu que le saint prêchait les merveilles du saint
Rosaire et que plusieurs se convertissaient et changeaient de vie par ce moyen,
il dit: "J'avais perdu l'espérance de mon salut, mais je commence à prendre
courage, il faut que j'entende cet homme de Dieu". Il vint donc un jour au
sermon de saint Dominque. Quand le saint le vit, il redoubla sa ferveur à
tonner contre les vices, et il pria Dieu dans son coeur d'ouvrir les yeux de
son cousin pour connaître l'état misérable de son âme. Dom Perez fut d'abord un
peu effrayé; mais il ne résolut pas de se convertir; il retourna une autre fois
au sermon et le saint, voyant que ce coeur endurci ne se convertissait pas sans
quelque coup extraordinaire, il cria tout haut: "Seigneur Jésus, faites voir à
toute cette audience l'état où est celui qui vient d'entrer en votre maison".
Alors tout le peuple vit dom Pérez environné d'une troupe de diables en forme
de bêtes horribles qui le tenaient lié avec des chaînes de fer. Chacun s'enfuit
tout effrayé qui de- çà, qui de-là, et lui fut encore plus épouvanté de se voir
l'objet de l'horreur de tout le monde. Saint Dominique les fit tous arrêter et
dit à ce seigneur: "Connaissez, malheureux, l'état déplorable où vous êtes;
jetez-vous aux pieds de la sainte Vierge". Il lui envoya un rosaire. "Prenez ce
rosaire, récitez-le avec dévotion et repentance de vos péchés et faites
résolution de changer de vie". Il se mit à genoux, récita le Rosaire; il se
sentit inspiré de se confesser, ce qu'il fit avec une grande contrition. Le
saint lui ordonna de dire tous les jours le saint Rosaire; il promit de le
faire; il écrivit lui-même son nom dans la confrérie. Son visage, qui
auparavant avait effrayé tout le monde, parut, sortant de l'église, brillant
comme celui d'un ange. Il persévéra dans la dévotion du Rosaire, mena une vie
fort réglée et mourut heureusement.
33 Rose 101. Saint Dominique,
prêchant près de Carcassone le saint Rosaire, on lui amena un hérétique
albigeois possédé par le démon. Le saint l'exorcisa en présence d'une grande
multitude de peuple; on tient qu'il y avait plus de douze mille hommes à
l'entendre. Les démons, qui possédaient ce pauvre misérable, étant obligés de
répondre malgré eux aux interrogations que le saint leur faisait, dirent: [1.]
Qu'ils étaient quinze mille dans le corps de ce misérable, parce qu'il avait
attaqué les quinze mystères du Rosaire; 2. Que, par le Rosaire qu'il prêchait,
il mettait la terreur et l'épouvante dans tout l'enfer, et qu'il était l'homme
du monde qu'ils haïssaient davantage à cause des âmes qu'il leur enlevait par
la dévotion du Rosaire; 3. Ils révélèrent plusieurs autres particularités.
Saint Dominique, ayant jeté son rosaire au cou du possédé, leur demanda qui, de
tous les saints du ciel, ils craignaient davantage et devait être plus aimé et
honoré des hommes. A cette interrogation, ils firent des cris si épouvantables
que la plupart des auditeurs, saisis d'effroi, tombèrent par terre. Ensuite,
ces malins esprits, pour ne pas répondre, pleurèrent et se lamentèrent d'une
manière si pitoyable, si touchante, que plusieurs des assistants en pleurèrent
eux-mêmes, par une pitié naturelle. Ils disaient par la bouche du possédé d'un
ton de voix lamantable: "Dominique, Dominique, aie pitié de nous, nous te
promettons que nous ne te nuirons jamais. Toi qui as tant pitié des pécheurs et
misérables, aie pitié de nous, misérables. Hélas, nous souffrons, pourquoi
prends-tu plaisir à augmenter nos peines? Contente-toi des peines que nous
endurons. Miséricorde! miséricorde! miséricorde!"
102. Le saint, sans être touché
des paroles tendres de ces esprits malheureux, leur répondit qu'il ne cesserait
de les tourmenter jusqu'à ce qu'ils eussent répondu à la question. Les démons
lui dirent qu'ils y répondraient, mais en secret et à l'oreille, et non pas
devant tout le monde. Le saint incite et leur commande de parler et répondre
tout haut. Les diables ne voulurent plus dire mot, quelque commandement qu'il
leur fit. Il se mit à genoux et fit cette prière à la sainte Vierge: "O
excellentissima Virgo Maria, per virtutem psalterii et rosarii tui, compelle
hos humani generis hostes questioni meae satisfacere. - O très sainte Vierge
Marie, par la vertu du saint Rosaire, ordonnez à ces ennemis du genre humain de
répondre à ma question". Cette prière étant faite, voilà qu'une flamme ardente
sortit des oreilles, des narines et de la bouche du possédé, qui fit trembler
tout le monde, mais cependant qui ne fit de mal à personne. Alors les diables
s'écrièrent: "Dominique, nous te prions, par la passion de Jésus-Christ et par
les mérites de sa sainte Mère et de tous les saints, que tu nous permettes de
sortir de ce corps sans rien dire; car les anges, quand tu le voudras, te le
révèleront. Ne sommes-nous pas des menteurs? Pourquoi veux-tu nous croire? Ne
nous tourmente pas davantage, aie pitié de nous". "Malheureux que vous êtes,
indignes d'être exaucés", dit saint Dominique, qui, se mettant encore à genoux,
fit sa prière à la sainte Vierge: "O Mater sapientiae dignissima et de cujus
salutatione quomodo illa fieri debeat jam edoctus est populus; pro salute
populi circunstantis rogo: Coge hosce tuos adversarios, ut plenam et sinceram
veritatem palam hic profiteantur". Il n'eut pas plus tôt fini sa prière, qu'il
vit la sainte Vierge auprès de lui, entourée d'une grande multitude d'anges,
qui, avec une verge d'or qu'elle tenait à la main, frappait le démoniaque en
lui disant: "Réponds à mon serviteur Dominique, selon sa demande". Il faut
remarquer que le peuple n'entendait ni ne voyait point la sainte Vierge; il n'y
avait que saint Dominique.
103. Alors les démons
commencèrent à s'écrier en disant: "O inimica nostra, ô nostra damnatrix, ô
nostra inimica, ô nostra domnatrix, ô confusio nostra, quare de coelo
descendisti, ut nos hic ita torqueres? Per te quae infernum evacuas et pro
peccatoribus tanquam potens advocata exoras; ô Via coeli certissima et
securissima, cogimur sine mora et intermissione ulla, nobis quamvis invitis, et
contra nitentibus, totam rei proferre veritatem. Nunc declarandum nobis est
simulque publicandum ipsum medium et modus quo ipsimet confundamur, unde vae et
maledictio in aeternum nostris tenebrarum principibus. Audite igitur vos,
christiani. Haec christi Mater potentissima est in preservandis suis servis
quominus precipites ruant in baratrum nostrum inferni. Illa est quae dissipat
et enervat, ut sol, tenebras omnium machinarum et astutiarum nostrarum, detegit
omnes fallacias nostras et ad nihilum redegit omnes nostras tentationes.
Coactique fatemur neminem nobiscum damnari qui ejus sancto cultui et pio
obsequio devotus perseverat. Unicum ipsius suspirum, ab ispa et per ipsam
sanctissimae Trinitati oblatum, superat et excedit omnium sanctorum preces,
atque pium et sanctum eorum votum et desiderium, magisque eum formidamus quam
omnes paradisi sanctos; nec contra fideles ejus famulos quidquam praevalere
possumus. Notum sit etiam vobis plurimos christianos in hora mortis ipsam
invocantes contra nostra jura salvari, et nisi Marietta illa obstitisset
nostrosque conatus repressisset, a longo jam tempore totam Ecclesiam
exterminassemus, nam saepissime universos Ecclesiae status et ordines a fide
deficere fecissemus. Imo planius et plenius vi et necessita compulsi, adhuc
vobis dicimus, nullum in exercitio Rosarii sive psalterii ejus perseverantem
aeternos suis veram impetrat contritionem qua fit ut peccata sua confiteantur,
et eorum indulgentiam a Deo consequantur."
104. C'est-à-dire en français: "O
notre ennemie, ô notre ruine, ô notre confusion, pourquoi êtes-vous venue
exprès du ciel pour nous tourmenter si fort? Faut-il que, malgré nous, ô
avocate des pécheurs qui les retirez des enfers, ô chemin très assuré du
paradis, nous soyons obligés de dire toute la vérité? Faut-il que nous
confessions devant tout le monde ce qui sera la cause de notre confusion et de
notre ruine? Malheur à nous, malheur à nos princes des ténèbres. Ecoutez donc,
chrétiens. Cette Mère de Jésus-Christ est toute puissante pour empêcher que ses
serviteurs ne tombent en enfer; c'est elle qui, comme un soleil, dissipe les
ténèbres de nos mines, qui rompt nos pièges et rend toutes nos tentations
inutiles et sans effet. Nous sommes contraints d'avouer qu'aucun de ceux qui
persévèrent dans son service n'est damné avec nous. Un seul de ses soupirs,
qu'elle offre à la Sainte-Trinité, surpasse toutes les prières, les voeux et
les désirs de tous les saints. Nous la craignons plus que tous les bienheureux
ensemble et nous ne pouvons rien contre ses fidèles serviteurs. Plusieurs
chrétiens mêmes qui l'invoquent à la mort, et qui devraient selon nos lois
ordinaires être damnés, sont sauvés par son intercession. Ah! si cette Mariette
(c'est ainsi que leur rage la faisait appeler) ne s'était opposée à nos
desseins et à nos efforts, nous aurions depuis longtemps renversé et détruit
l'Eglise et fait tomber tous ses ordres dans l'erreur et l'infidélité. Nous
protestons de plus, par la violence qu'on nous fait, qu'aucun de ceux qui
persévèrent à dire le Rosaire n'est damné; car elle obtient à ses dévots
serviteurs une vraie contrition de leurs péchés par laquelle ils en obtiennent
le pardon et l'indulgence". Alors saint Dominique fit réciter le Rosaire à tout
le peuple, fort lentement et dévotement, et, à chaque Ave Maria que le saint et
le peuple récitaient (chose étonnante), il sortait du corps de ce malheureux
une grande multitude de démons, en forme de charbons ardents. Les démons étant
tous sortis et l'hérétique fut tout à fait délivré, la sainte Vierge donna,
quoique invisiblement, sa bénédiction à tout le peuple, qui en ressentit une
joie très sensible. Ce miracle fut cause qu'un grand nombre d'hérétiques se
convertirent et se mirent de la confrérie du saint Rosaire.
34 Rose (B. Alain, 2e p., c.17)
105. Qui pourrait raconter les victoire que Simon, comte de Montfort, a
remportées sur les Albigeois sous la protection de Notre-Dame du Rosaire? Elles
sont si fameuses que le monde n'en a jamais vu de pareilles. Il défit une fois
dix mille hérétiques avec cinq cents hommes; une autre fois, avec trente, il
demeura vainqueur de trois mille; ensuite avec huits cents cavaliers et mille
hommes d'infanterie, il tailla en pièces l'armée du roi d'Aragon, composée de
cent mille hommes, sans perdre qu'un seul cavalier et huit soldats des
siens.
106. De quels dangers la sainte
Vierge a-t-elle délivré Alain de l'Anvallay, chevalier breton, qui combattait
pour la foi contre les Albigeois! Un jour, étant environné de ses ennemis de
tous côtés, la sainte Vierge lança contre eux cent cinquante pierres et le
délivra de leurs mains. Un autre jour, son vaisseau ayant fait naufrage et
étant près d'abîmer, cette bonne Mère lui fit paraître cent cinquante petites
collines par sur lesquelles il aborda en Bretagne. Et en mémoire des miracles
que la sainte Vierge avait faits en sa faveur à cause d'un Rosaire qu'il
récitait tous les jours, il prépara un couvent à Dinan pour loger les religieux
du nouvel ordre de saint Dominique et, s'étant fait religieux, il mourut
saintement à Orléans.
107. Othère, de même soldat
breton de Vaucouleurs, a souvent mis en fuite des compagnies entières
d'hérétiques et de voleurs, portant son rosaire au bras et à la garde de son
épée. Ses ennemis, après avoir été vaincus, lui ont avoué qu'ils avaient vu son
épée toute éclatante et une fois un bouclier à son bras, dans lequel
Jésus-Christ, la sainte Vierge et les saints étaient dépeints, le rendaient
invincible et lui donnaient la force de bien charger. Une fois, avec dix
compagnies, il défit vingt mille hérétiques sans perdre un seul des siens, ce
qui toucha tellement le général de l'armée hérétique, qu'il vint trouver
Othère, abjura son hérésie et déclara qu'il l'avait vu couvert d'armes de feu
dans le combat.
35 Rose (B. Alain, 4e p. c 40)
108. Le bienheureux Alain rapporte qu'un cardinal nommé Pierre, du titre de
Sainte-Marie delà le Tibre, instruit par saint Dominique, son ami intime, de la
dévotion au saint Rosaire, s'y affectionna tellement qu'il en devint le
panégyriste et le persuadait à tous. Le cardinal fut envoyé légat dans la Terre
Sainte vers les chrétiens qui étaient croisés contre les Sarrasins. Il persuada
si bien l'efficace du Rosaire à l'armée chrétienne que tous l'ayant embrassé
pour implorer le secours du ciel dans un combat, où ils n'étaient que trois
mille, ils triomphèrent de cent mille. Les démons, comme nous avons vu,
craignaient infiniment le Rosaire. Saint Bernard dit que la Salutation
angélique leur donne la chasse et fait frémir l'enfer. Le bienheureux Alain
assure qu'il a vu plusieurs personnes, qui s'étaient livrées au diable corps et
âme, en renonçant au baptême et à Jésus- Christ, et puis, après avoir pris la
dévotion du saint Rosaire, ont été délivrés de sa tyrannie.
36 Rose 109. L'an 1578, une femme
d'Anvers s'était donnée au démon par une cédule signée de son sang. Quelque
temps après, elle en eut un sensible regret et un grand désir de réparer le mal
qu'elle avait fait. Elle chercha un confesseur prudent et charitable, pour
savoir par quel moyen elle pourrait être affranchie de la puissance du diable.
Elle trouva un prêtre sage et dévot, qui lui conseilla d'aller trouver le père
Henri, directeur de la confrérie du saint Rosaire, du couvent de
Saint-Dominique, pour s'y faire enrôler et se confesser. Elle le demanda et, au
lieu du Père, elle trouva le diable, sous la figure d'un religieux, qui la
reprit sévèrement et lui dit qu'elle n'avait plus de grâces à espérer de Dieu,
ni de moyen de révoquer ce qu'elle avait signé, ce qui l'affligea fort. Mais
elle ne perdit pas toute espérance en la miséricorde de Dieu, elle retourna
encore chercher le Père et elle trouva encore le diable, qui la rebuta comme
auparavant. Elle retourna pour la troisième fois et elle trouva par la
permission divine le père Henri qu'elle cherchait, qui la reçut charitablement,
l'exhorta à se confier en la bonté de Dieu et à faire une bonne confession; il
la reçut dans la confrérie et lui ordonna de réciter souvent le Rosaire. Un
jour, pendant la Messe que le Père célébrait pour elle, la sainte Vierge força
le diable de lui rendre la cédule qu'elle avait signée; et ainsi elle fut
délivrée par l'autorité de Marie et la dévotion du saint Rosaire.
37 Rose 110. Un seigneur qui
avait plusieurs enfants mit une de ses filles dans un monastère entièrement
déréglé, où les religieuses ne respiraient que la vanité et les plaisirs. Le
confesseur, homme fervent et dévot au saint Rosaire, désirant d'abord conduire
cette jeune religieuse dans les pratiques d'une meilleure vie, lui ordonna de
réciter tous les jours le Rosaire en l'honneur de la sainte Vierge, méditant la
vie, la passion et la gloire de Jésus-Christ Elle agréa fort cette dévotion;
peu à peu elle eut du dégoût du dérèglement de ses soeurs; elle commença à
aimer le silence et l'oraison, malgré les mépris et les railleries des autres,
qui la traitaient de bigote. En ce temps-là, un saint abbé, étant allé faire la
visite dans ce monastère, eut une étrange vision, en son oraison; il lui sembla
voir une religieuse dans sa chambre en oraison, devant une grande dame d'une
beauté admirable, accompagnée d'une troupe d'anges, lesquels à coup de dards
enflammés chassaient une multitude de démons qui voulaient entrer. Et ces
esprits malins s'enfuyaient aux chambres des autres religieuses, sous la figure
de sales animaux, pour les exciter au péché auquel plusieurs donnaient entrée.
L'abbé connut, par cette vision, l'état malheureux de ce monastère et pensa
mourir de tristesse; il fit venir la jeune religieuse et l'exhorta à la
persévérance. En faisant réflexion sur l'excellence du Rosaire, il prit dessein
de réformer ces religieuses par cette dévotion. Il acheta de beaux rosaires
qu'il donna à toutes les religieuses, les persuadant de le réciter tous les
jours et leur promit, si elles voulaient bien le faire, de ne les contraindre
jamais de se réformer. Elles reçurent agréablement ces rosaires et promirent de
les réciter à cette condition. (Chose admirable!) Peu à peu elles quittèrent
leurs vanités, se portèrent au silence et à la récollection, et en moins d'un
an, elles demandèrent toutes la réforme. Le Rosaire opéra plus sur leurs coeurs
que l'abbé n'aurait pu gagner par ses exhortations et son autorité.
38 Rose 111. Une comtesse
d'Espagne, ayant été instruite dans la dévotion du saint Rosaire par saint
Dominique, le disait tous les jours avec des avancements merveilleux dans la
vertu. Comme elle ne respirait que la perfection, elle demanda un jour à un
prélat et fameux prédicateur quelques pratiques de perfection. Ce prélat lui
dit qu'il fallait, auparavant, lui déclarer l'état de son âme et ses exercices
de piété; elle lui dit que le principal était le Rosaire, qu'elle récitait tous
les jours, méditant les mystères joyeux, douloureux et glorieux avec un grand
profit spirituel de son âme. L'évêque, ravi d'entendre expliquer les rares
instructions qui sont renfermées dans les mystères, lui dit: "Il y a vingt ans
que je suis docteur en théologie, j'ai lu quantité d'excellentes pratiques de
dévotion; mais je n'en ai pas connu de plus fructueuse ni de plus conforme au
christianisme. Je veux vous imiter, je prêcherai le Rosaire". Il le fit avec un
si heureux succès, qu'à peut de temps il vit un très grand changement de moeurs
en son diocèse, plusieurs conversions, restitutions et réconciliations; les
débauches, le jeu, le luxe cessèrent; la paix dans les familles, la dévotion et
la charité commencèrent à fleurir. Changement d'autant plus admirable que cet
évêque avait beaucoup travaillé à réformer son diocèse avec très peu de fruit.
Pour mieux persuader la dévotion du Rosaire, il en portait un beau à son côté
et le montrait à ses auditeurs. Il disait: "Sachez, mes frères, que le Rosaire
de la sainte Vierge est si excellent, que moi, qui suis votre évêque, docteur
en théologie, en l'un et l'autre droit, je fais gloire de le porter toujours
comme la plus illustre marque de mon épiscopat et doctorat".
39 Rose 112. Un recteur d'une
paroisse de Danemark racontait souvent, à la plus grande gloire de Dieu et avec
une grande joie de son âme, qu'il avait vu un pareil fruit de la dévotion du
Rosaire dans sa paroisse, que cet évêque dans son diocèse. "J'avais, disait-il,
prêché toutes les matières les plus pressantes et les plus fructueuses, sans
aucun profit; je ne voyais aucun amendement dans ma paroisse; enfin je fis
résolution de prêcher le saint Rosaire, j'en expliquai l'excellence et sa
pratique, et je proteste qu'après avoir fait goûter cette dévotion à mon
peuple, je vis un changement évident dans six mois. Tant il est véritable que
cette divine prière a une onction toute divine pour toucher les coeurs et leur
inspirer l'horreur du péché et l'amour de la vertu". La sainte Vierge dit un
jour au bienheureux Alain: "Comme Dieu a choisi le salut angélique pour
l'Incarnation de son Verbe et la Rédemption des hommes, ainsi, ceux qui
désirent réformer les moeurs des peuples et les régénérer en Jésus- Christ me
doivent honorer et saluer par le même salut. Je suis, ajoute-t-elle, la voie
par laquelle Dieu est venu aux hommes et il faut qu'après Jésus-Christ ils
obtiennent la grâce et les vertus par mon moyen".
113. Pour moi, qui écris, j'ai
appris, par ma propre expérience, la force de cette prière pour convertir les
coeurs les plus endurcis. J'en ai trouvé sur lesquels toutes les plus terribles
vérités prêchées dans une mission n'avaient fait aucune impression et qui, pour
avoir, par mon conseil, pris la pratique de réciter tous les jours le Rosaire,
se sont convertis et donnés tout à Dieu. J'ai vu une infinie différence entre
les moeurs des peuples des paroisses où j'avais fait des missions, parce que
les uns, ayant quitté la pratique du chapelet et du Rosaire, étaient retombés
dans leurs péchés; et les autres, pour l'avoir conservée, s'étaient conservés
dans la grâce de Dieu et augmentaient tous les jours dans la vertu.
40 Rose 114. Le bienheureux Alain
de la Roche, le Père Jean Dumont, le Père Thomas, les chroniques de saint
Dominique et d'autres auteurs qui ont été souvent témoins oculaires, rapportent
d'une grande quantité de conversions miraculeuses de pécheurs et pécheresses,
qui, depuis 20, 30 et 40 ans étaient dans les derniers désordres, que rien
n'avait pu les convertir et qui l'ont été par cette dévotion merveilleuse. Je
ne les rapporterai point, de peur d'une trop grande longueur. Je ne veux pas
même rapporter celles que j'ai vues moi- même, de mes propres yeux; je les
passe sous silence pour plusieurs raisons. Cher lecteur, par votre expérience,
si vous pratiquez et prêchez cette dévotion, vous en apprendrez plus qu'en
aucun livre et vous expérimenterez heureusement l'effet des promesses qu'a
faites la sainte Vierge à saint Dominique, au bienheureux Alain de la Roche et
à ceux qui font fleurir cette dévotion qui lui est si agréable, qui instruit
les peuples des vertus de son Fils et des siennes, porte à l'oraison mentale, à
l'imitation de Jésus-Christ, à la fréquentation des sacrements, à la pratique
solide des vertus, et de toutes sortes de bonnes oeuvres, à gagner tant de
belles indulgences que les peuples ignorent parce que les prédicateurs de cette
dévotion n'en parlent quasi jamais et se contentent de faire un sermon du
Rosaire, à la mode, bien souvent qui ne cause que de l'admiration, point
d'instruction.
115. Enfin, je me contente de
vous dire, avec le bienheureux Alain de la Roche, que le Rosaire est une source
et un magasin de toutes sortes de biens: 1 P Peccatoribus praestat
poenitentiam; 2 S Sitientibus stillat satietatem; 3 A Alligatis adducit
absolutionem; 4 L Lugentibus largitur laetitiam; 5 T Tentatis tradit
tranquillitatem; 6 E Egenis expellit egestatem; 7 R Religiosis reddit
reformationem; 8 I Ignorantibus inducit intelligentiam; 9 V Vivis vincit
vastitatem; 10 M Mortuis mittit misericordian per modum suffragii. "Volo", dit
un jour la sainte Vierge au bienheureux Alain, "ut psaltae mei in vita et in
morte, et post mortem habeant benedictionem, gratiae plenitudinem ac
libertatem, inmunesque sint a caecitate, obduratione, inopia ac servitute": Je
veux que les dévots de mon Rosaire aient la grâce et la bénédiction de mon Fils
pendant leur vie, à leur mort, et après leur mort, et qu'ils soient affranchis
de toutes sortes d'esclavages et qu'ils soient des rois, qu'ils aient la
couronne sur la tête, le sceptre à la main et la gloire éternelle. Ainsi
soit-il.
CINQUIEME
DIZAINE
41 Rose LA MANIERE SAINTE DE
RÉCITER LE ROSAIRE.
116. Ce n'est pas proprement la
longueur, mais la ferveur de la prière, qui plaît à Dieu et qui lui gagne le
coeur. Un seul Ave Maria bien dit est d'un plus grand mérite que cent cinquante
mal dits. Presque tous les chrétiens catholiques récitent le Rosaire, le
chapelet ou du moins quelques dizaines d'Ave. Pourquoi donc y en a-t-il si peu
qui se corrigent de leurs péchés et s'avancent dans la vertu, sinon parce
qu'ils ne font pas ces prières comme il faut.
117. Voyons donc la manière qu'il
faut les réciter pour plaire à Dieu et devenir plus saints. Premièrement il
faut que la personne qui récite le saint Rosaire soit en état de grâce ou du
moins dans la résolution de sortir de son péché, parce que toute la théologie
nous enseigne que les bonnes oeuvres et les prières faites en péché mortel,
sont des oeuvres mortes, qui ne peuvent être agréables à Dieu ni mériter la vie
éternelle; c'est en ce sens qu'il est écrit: "Non est speciosa laus in ore
peccatoris: La louange ne sied pas à la bouche du pécheur" (Si 15,9). La
louange et le salut de l'ange et l'Oraison même de Jésus-Christ n'est pas
agréable à Dieu lorsqu'elle sort de la bouche d'un pécheur impénitent: "Populus
hic labiis me honorat, cor autem eorum longe est a me" (Mc 7,6) Ces personnes
qui se mettent de mes confréries, (dit Jésus-Christ), qui récitent tous les
jours le chapelet ou le Rosaire, sans aucune contrition de leurs péchés,
m'honorent de leurs lèvres, mais leur coeur est bien éloigné de moi. [2] J'ai
dit: "ou du moins dans la résolution de sortir du péché", 1 parce que s'il
fallait absolument être en grâce de Dieu pour faire des prières qui lui fussent
agréables, il s'ensuivrait que ceux qui sont en péché mortel ne devraient point
du tout prier, quoiqu'ils en aient plus de besoin que les justes, ce qui est
une erreur condamnée par l'Eglise, et, ainsi, il ne faudrait jamais conseiller
à un pécheur de dire son chapelet ou son Rosaire parce qu'il lui serait
inutile; 2 parce que, si avec la volonté de demeurer dans le péché, et sans
aucune intention d'en sortir, on s'enrôlait dans une confrérie de la sainte
Vierge, ou on récitait le chaplet, le Rosaire ou quelque autre prière, on se
rendrait du nombre des faux dévots de la sainte Vierge, et dévots présomptueux
et impénitents, qui, sous le manteau de la sainte Vierge, avec le scapulaire
sur leur corps ou le Rosaire à la main, crient: Sainte Vierge, bonne Vierge, je
vous salue, Marie, et cependant crucifient et déchirent cruellement
Jésus-Christ par leurs péchés et tombent malheureusement, du milieu des plus
saintes confréries de la sainte Vierge, dans le milieu des flammes de
l'enfer.
118. Nous conseillons le saint
Rosaire à tout le monde: aux justes pour persévérer et croître dans la grâce de
Dieu, et aux pécheurs pour sortir de leurs péchés. Mais à Dieu ne plaise que
nous exhortions un pécheur à faire du manteau de la protection de la sainte
Vierge, un manteau de damnation pour voiler ses crimes, et à changer le
Rosaire, qui est un remède à tous maux, en un poison mortel et funeste.
Corruptio optimi pessima. Il faut être un ange en pureté, dit le savant Hugues,
cardinal, pour approcher de la sainte Vierge et réciter la Salutation
angélique. Elle fit un jour voir à un impudique, qui récitait le saint Rosaire
régulièrement tous les jours, de beaux fruits dans un vaisseau souillé
d'ordures; il en eut horreur, et elle lui dit: "Voilà comme tu me sers, tu me
présentes de belles roses dans un vaisseau sale et corrompu. Juge si je puis
les avoir agréables".
42 Rose 119. Il ne suffit pas,
pour bien prier, d'exprimer nos demandes par la plus excellente de toutes les
manières d'oraison qui est le Rosaire, mais il faut encore y apporter une
grande attention, car Dieu écoute plutôt la voix du coeur que celle de la
bouche. Prier Dieu avec des distractions volontaires serait une grande
irrévérence, qui rendrait nos Rosaires infructueux et nous remplirait de
péchés. Comment ose-t-on demander à Dieu qu'il nous écoute, si nous ne nous
écoutons pas nous-mêmes, et si, pendant que nous prions cette redoutable
majesté qui fait tout trembler, nous nous arrêtions volontairement à courir
après un papillon? C'est éloigner de soi la bénédiction de ce grand Seigneur et
la changer dans la malédiction portée contre ceux qui font l'oeuvre de Dieu
négligemment: Maledictus qui facit opus Dei negligenter (Jr 48,10).
120. Vous ne pouvez pas, à la
vérité, réciter votre Rosaire sans avoir quelques distractions involontaires;
il est même bien difficile de dire un Ave Maria sans que votre imagination
toujours remuante ne vous ôte quelque chose de votre attention; mais vous
pouvez le réciter sans distractions volontaires, et vous devez prendre toutes
sortes de moyens pour diminuer les involontaires et fixer votre imagination. A
cet effet, mettez-vous en la présence de Dieu, croyez que Dieu et sa sainte
Mère vous regardent, que votre bon Ange à votre main droite prend vos Ave Maria
comme autant de roses, s'ils sont bien dits, pour en faire une couronne à Jésus
et à Marie, et qu'au contraire, le démon est à votre gauche et rôde autour de
vous, pour dévorer vos Ave Maria et les marquer sur son livre de mort, s'ils ne
sont pas dits avec attention, dévotion et modestie; surtout ne manquez pas de
faire les offrandes des dizaines en l'honneur des mystères, et de vous
représenter, dans l'imagination, Notre-Seigneur et sa sainte Mère dans le
mystère que vous honorez.
121. On lit dans la vie du
bienheureux Herman, de l'ordre des Prémontrés, que, lorsqu'il disait le Rosaire
avec attention et dévotion, en méditant les mystères, la sainte Vierge lui
apparaissait toute brillante de lumière, avec une beauté et majesté
ravissantes. Mais ensuite, sa dévotion s'étant refroidie et ne récitant plus
son Rosaire qu'à la hâte, et sans attention, elle lui apparut le visage tout
ridé, triste et désagréable. Herman, étonné d'un tel changement, la sainte
Vierge lui dit: "Je parais telle devant tes yeux, que je suis à présent dans
ton âme, car tu ne me traites plus que comme une personne vile et méprisable.
Où est le temps que tu me saluais avec respect et attention, en méditant mes
mystères et admirant mes grandeurs?"
45 Rose 122. Comme il n'y a point
de prière plus méritoire à l'âme et plus glorieuse à Jésus et à Marie que le
Rosaire bien dit, il n'y en a point aussi qui soit plus difficile à bien dire
et dans laquelle il soit plus difficile de persévérer, à cause particulièrement
des distractions qui viennent comme naturellement dans la répétition si
fréquente de la même prière. Lorsqu'on dit l'office de la sainte Vierge, ou les
sept psaumes, ou quelques autres prières que le chapelet ou le Rosaire, le
changement ou la diversité des termes dont ces prières sont conçues arrêtent
l'imagination et recréent l'esprit, et par conséquent donnent facilité à l'âme
pour les bien réciter. Mais dans le Rosaire, comme on y a toujours le même
Pater et Ave à dire, et la même forme à garder, il est bien difficile qu'on ne
s'y ennuie, qu'on ne s'y endorme et qu'on ne l'abandonne, pour prendre d'autres
prières plus récréatives et moins ennuyeuses. C'est ce qui fait qu'il faut
infiniment plus de dévotion pour persévérer dans la récitation du saint Rosaire
que d'aucune autre prière, quand ce serait le psautier de David.
123. Ce qui augmente cette
difficulté, c'est notre imagination, qui est si volage qu'elle n'est pas quasi
un moment en repos, et la malice du démon si infatigable à nous distraire et à
nous empêcher de prier. Que ne fait point ce malin esprit contre nous, tandis
que nous sommes à dire notre Rosaire contre lui? Il augmente notre langueur et
notre négligence naturelles. Avant de commencer notre prière, il augmente notre
ennui, nos distractions et nos accablements; pendant que nous le prions, il
nous accable de tous côtés, et il nous sifflera après que nous l'aurons dit
avec beaucoup de peines et de distractions: "Tu n'a rien dit qui vaille; ton
chapelet, ton Rosaire, ne vaut rien, tu ferais bien mieux de travailler et de
faire tes affaires; tu perds ton temps à réciter tant de prières vocales sans
attention; une demi-heure de méditation ou de bonne lecture vaudrait bien
mieux. Demain, que tu seras moins endormi, tu prieras avec plus d'attention,
remets le reste de ton Rosaire à demain". Ainsi le diable, par ses artifices,
fait souvent quitter le Rosaire tout à fait ou en partie, ou fait prendre le
change ou le fait différer.
124. Ne le croyez pas, cher
confrère du Rosaire, et prenez courage, quoique pendant tout votre Rosaire
votre imagination n'ait été remplie que d'imaginations et pensées extravagantes
que vous avez tâché de chasser le mieux que vous avez pu, quand vous vous en
êtes aperçu. Votre Rosaire est d'autant meilleur qu'il est difficile; il est
d'autant plus difficile qu'il est naturellement moins agréable à l'âme et qu'il
est plus rempli de misérables petites mouches et fourmis, qui, ne faisant que
courir çà et là dans l'imagination malgré la volonté, ne [lui] donnent pas à
l'âme le temps de goûter ce qu'elle dit et de se reposer dans la
paix.
125. S'il faut que vous
combattiez pendant tout votre Rosaire, contre les distractions qui vous
viennent, combattez vaillamment les armes au poing, c'est-à-dire en continuant
votre Rosaire, quoique sans aucun goût ni consolation sensible: c'est un
terrible combat, mais salutaire à l'âme fidèle. Si vous mettez les armes bas,
c'est-à-dire si vous quittez votre Rosaire, vous êtes vaincu, et pour lors, le
diable, comme vainqueur de votre fermeté, vous laissera en paix et vous
reprochera au jour du jugement votre pusillanimité et infidélité. "Qui fidelis
est in minimo et in majori fidelis est : Celui qui est fidèle dans les petites
choses le sera aussi dans les plus grandes" (Lc 16,10) Celui qui est fidèle à
rejeter les plus petites distractions à la moindre partie de ses prières, sera
aussi fidèle dans les plus grandes. Rien n'est si sûr, puisque le Saint-Esprit
l'a dit. Courage donc, bon serviteur et servante fidèle à Jésus-Christ et à la
sainte Vierge, qui avez pris la résolution de dire votre Rosaire tous les
jours. Que la multitude des mouches (j'appelle ainsi les distractions qui vous
font la guerre pendant que vous priez), ne soient pas capables de vous faire
lâchement quitter la compagnie de Jésus et de Marie, dans laquelle vous êtes en
disant votre Rosaire. Je mettrai ci-après des moyens de diminuer les
distractions.
44 Rose 126. Après avoir invoqué
le Saint-Esprit, pour bien réciter votre Rosaire, mettez-vous un moment en la
présence de Dieu et faites les offrandes des dizaines, comme vous verrez
ci-après. Avant de commencer la dizaine, arrêtez-vous un moment, plus ou moins,
selon votre loisir, pour considérer le mystère que vous célébrez par la dizaine
et demandez toujours, par ce mystère et l'intercession de la sainte Vierge, une
des vertus qui éclatent le plus dans ce mystère ou dont vous aurez le plus de
besoin. Prenez surtout garde aux deux fautes ordinaires que font presque tous
ceux qui disent le chapelet ou le Rosaire: La première, c'est de ne prendre
aucune intention en disant leur chapelet, en sorte que, si vous leur demandez
pourquoi ils disent leur chapelet, ils ne sauraient vous répondre. C'est
pourquoi ayez toujours en vue, en récitant votre Rosaire, quelque grâce à
demander, quelque vertu à imiter, ou quelque péché à détruire. La seconde faute
qu'on commet ordinairement en récitant le saint Rosaire, c'est de n'avoir point
d'autre intention, en le commençant, que de l'avoir bientôt fini. Cela vient de
ce qu'on regarde le Rosaire comme une chose onéreuse, qui pèse bien fort sur
les épaules lorsqu'on ne l'a pas dit; surtout quand on s'en est fait un
principe de conscience, ou quand on l'a reçu par pénitence et comme malgré
soi.
127. C'est une pitié de voir
comment la plupart disent leur chapelet ou leur Rosaire. Ils le disent avec une
précipitation étonnante et ils mangent même une partie des paroles. On ne
voudrait pas faire un compliment de cette manière ridicule au dernier des
hommes, et on croit que Jésus et Marie en seront honorés!... Après cela,
faut-il s'étonner si les plus saintes prières de la religion chrétienne restent
quasi sans aucun fruit, et si, après mille et dix mille Rosaires récités, on
n'en est pas plus saint? Arrêtez, cher confrère du Rosaire, votre précipitation
naturelle, en récitant votre Rosaire, et faites quelques pauses au milieu du
Pater et de l'Ave, et une plus petite après les paroles du Pater et de lAve que
j'ai marquées par une croix ci-après. Notre Père qui êtes aux cieux + votre nom
soit sanctifié + votre règne arrive + votre volonté soit faite + en la terre
comme au ciel +. Donnez-nous aujourd'hui + notre pain quotidien + et nous
pardonnez nos offenses + comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés +
et ne nous laissez point tomber dans la tentation + mais délivrez-nous du mal.
Ainsi soit-il +. Je vous salue, Marie, pleine de grâce + le Seigneur est avec
vous + vous êtes bénie entre toutes les femmes + et béni est le fruit de votre
ventre, Jésus +. Sainte Marie, Mère de Dieu + priez pour nous pauvres pécheurs,
maintenant + et à l'heure de notre mort. Ainsi soit- il +. Vous aurez d'abord
de la peine à faire ces médiantes, par la mauvaise habitude que vous avez de
prier à la hâte; mais aussi une dizaine dite ainsi posément vous sera plus
méritoire que des milliers de Rosaires récités à la hâte, sans réfléchir ni
s'arrêter.
128. Le bienheureux Alain de la
Roche et d'autres auteurs, entre autres Bellarmin, racontent qu'un bon prêtre
conseilla à trois pénitentes qu'il avait, et qui étaient toutes trois soeurs,
de réciter tous les jours dévotement le Rosaire, pendant un an, sans y manquer,
pour former un bel habillement de gloire à la sainte Vierge, et que c'était un
secret qu'il avait reçu du ciel. Toutes les trois le dirent pendant un an. Le
jour de la Purification, sur le soir, lorsqu'elles étaient couchées, la sainte
Vierge, accompagnée de sainte Catherine et de sainte Agnès, entra dans leur
chambre, revêtue d'un habit tout brillant de lumière, sur lequel il y avait de
tous côtés écrit en lettres d'or: Ave Mariea gratia plena. La Reine des cieux
approcha du lit de l'aînée des soeurs et lui dit: "Je vous salue, ma fille, qui
m'avez si souvent et si bien saluée. Je viens vous remercier des beaux habits
que vous m'avez faits". Les deux saintes vierges qui l'accompagnaient la
remercièrent aussi et toutes trois disparurent. Une heure après, la sainte
Vierge, avec ses deux compagnes, vint encore dans la chambre, habillée d'un
habit vert, mais sans or et sans lumière, approcha du lit de la seconde soeur,
la remercia de cet habit qu'elle lui avait fait, en disant son Rosaire. Mais
comme cette seconde soeur avait vu la sainte Vierge apparaître à sa soeur aînée
avec beaucoup plus de brillant, elle lui en demanda la raison. "C'est, lui
répondit Marie, qu'elle m'a fait de plus beaux habits, en disant mieux son
Rosaire que toi". Environ une heure après, la sainte Vierge apparut une
troisième fois à la plus jeune des soeurs, habillée d'un haillon sale et
déchiré et lui dit: "O fille, vous m'avez ainsi habillée, je vous en remercie".
La jeune fille, couverte de confusion, s'écria: "Et quoi! ma maîtresse, je vous
ai si mal habillée, je vous en demande pardon. Je vous demande du temps pour
faire un plus bel habit, en récitant mieux mon Rosaire". La vision ayant
disparu et la plus jeune soeur fort affligée ayant dit à leur confesseur tout
ce qui s'était passé, il les anima à dire pendant un an leur Rosaire avec plus
de perfection que jamais, ce qu'elles firent. Au bout de l'année, le jour même
de la Purification, la sainte Vierge, accompagnée encore de sainte Catherine et
de sainte Agnès qui portaient des couronnes, et habillée d'un habit
merveilleux, leur apparut sur le soir et leur dit: "Soyez assurées, mes filles,
du royaume des cieux, vous y entrerez demain avec grande allégresse". A quoi
toutes trois répondirent: "Notre coeur est préparé, notre chère Maîtresse,
notre coeur est préparé". La vision disparut. Cette même nuit il leur prit mal,
elles envoyèrent chercher leur confesseur, reçurent les derniers sacrements et
après avoir remercié leur confesseur de la sainte pratique qu'il leur avait
enseignée. Après complies, la sainte Vierge leur apparut encore, accompagnée
d'un grand nombre de vierges, fit revêtir les trois soeurs de robes blanches,
après quoi, elles marchèrent toutes trois pendant que les anges chantaient:
"Venez, épouses de Jésus-Christ, recevez les couronnes qui vous sont preparées
dans l'éternité". Apprenez plusieurs vérités de cette histoire: 1 combien il
est important d'avoir de bons directeurs qui inspirent de saintes pratiques de
piété et particulièrement le saint Rosaire; 2 combien il est important de
réciter le Rosaire avec attention et dévotion; 3 combien la sainte Vierge est
bénigne et miséricordieuse envers ceux qui se repentent du passé et proposent
de mieux faire; 4 combien elle est libérale à récompenser pendant la vie, à la
mort et dans l'éternité, les petits services qu'on lui rend avec
fidélité.
45 Rose 129. J'ajoute qu'il faut
réciter le saint Rosaire avec modestie, c'est-à-dire, autant qu'on peut, à
genoux, les mains jointes, le rosaire en mains. Si cependant on est malade, on
peut le dire en son lit; si on est en voyage, on peut le dire en marchant; si
pour quelques infirmités on ne peut être à genoux, on peut le dire debout ou
assis. On peut même le réciter en travaillant, lorsqu'on ne peut pas quitter
son travail, pour satisfaire aux devoirs de sa profession, car le travail
manuel n'est pas toujours contraire à la prière vocale. J'avoue que notre âme
étant limitée dans son opération, quand elle est attentive au travail des
mains, elle en est moins attentive aux opérations de l'esprit, telle qu'est la
prière; mais cependant, dans la nécessité, cette prière a son prix devant la
sainte Vierge, qui récompense plus la bonne volonté que l'action
extérieure.
130. Je vous conseille de
partager votre Rosaire en trois chapelets ou trois différents temps de la
journée; il vaut mieux le partager ainsi que de le dire tout à la fois. Si vous
ne pouvez pas trouver assez de temps pour en dire le tiers de suite, dites-en
une dizaine ici et une dizaine là; vous pourrez faire en sorte, malgré toutes
vos occupations et affaires, que vous ayez dit votre Rosaire tout entier avant
de vous mettre au lit. Imitez en cela la fidélité de saint François de Sales.
Etant un soir fort fatigué des visites qu'il avait faites pendant la journée,
et étant près de minuit, il se ressouvint qu'il lui restait quelques dizaines
de son Rosaire à dire, il se mit à genoux et les récita avant de se coucher,
malgré tout ce que son aumônier, qui le voyait fatigué, lui pût dire pour
l'engager à remettre à dire au lendemain ce qui lui restait de prières. Imitez
encore la fidélité, modestie et dévotion de ce saint religieux, dont parlent
les chroniques de saint François, qui avait coutume, avant le dîner, de réciter
un chapelet avec beaucoup d'attention et de modestie... J'en ai parlé
ci-devant.
46 Rose 131. De toutes les
manières de réciter le saint Rosaire, la plus glorieuse à Dieu, la plus
salutaire à l'âme et la plus terrible au diable, c'est de le psalmodier ou
réciter publiquement à deux choeurs. Dieu aime les assemblées. Tous les anges
et les bienheureux assemblés dans le ciel y chantent incessamment ses louanges.
Les justes assemblés en plusieurs communautés sur la terre y prient en commun
jour et nuit. Notre-Seigneur a expressément conseillé cette pratique à ses
apôtres et disciples, et leur promit que toutes les fois qu'ils seraient au
moins deux ou trois assemblés en son nom, il se trouverait au milieu de ceux
qui sont assemblés pour prier en son mon et réciter sa même prière. Quel
bonheur d'avoir Jésus-Christ en sa compagnie! Pour le posséder il ne faut que
s'assembler pour dire le chapelet. C'est la raison pourquoi les premiers
chrétiens s'assemblaient si souvent pour prier ensemble, malgré les
persécutions des empereurs, qui leur défendaient les assemblées. Ils aimaient
mieux s'exposer à la mort que de manquer à s'assembler pour avoir la compagnie
de Jésus-Christ.
132. Cette manière de prier est
plus salutaire à l'âme: 1 parce que l'esprit est ordinairement plus attentif
dans une prière publique que dans une particulière; 2 quand on prie en commun,
les prières de chaque partriculier deviennent communes à toute l'assemblée et
ne font toutes ensemble qu'une même prière, en sorte que, si quelque
particulier ne prie pas si bien, un autre dans l'assemblée qui prie mieux
supplée à son défaut. Le fort supporte le faible, le fervent embrase le tiède,
le riche enrichit le pauvre, le mauvais passe parmi le bon. Comment vendre une
mesure d'ivraie? Il ne faut pour cet effet que la mêler avec quatre ou cinq
boisseaux de bon blé; le tout est vendu. 3 Un personne qui récite son chapelet
toute seule n'a que le mérite d'un chapelet; mais si elle le dit avec trente
personnes, elle a le mérite de trente chapelets. Ce sont les lois de la prière
publique. Quel gain! quel avantage! 4 Urbain huitième, étant fort satisfait de
la dévotion du saint Rosaire qu'on récitait à deux choeurs, en plusieurs lieux
de Rome, particulièrement au couvent de la Minerve, donna cent jours
d'indulgences toutes les fois qu'on le réciterait à deux choeurs: Toties
quoties. Ce sont les termes de son bref qui commence: Ad perpetuum rei
memoriam, an 1626. Ainsi, toutes les fois qu'on dit le chapelet en commun, on
gagne cent jours d'indulgences. 5 C'est que cette prière publique est plus
puissante, pour apaiser la colère de Dieu et attirer sa miséricorde, que la
prière particulière, et l'Eglise, conduite par le Saint- Esprit, s'en est
servie dans tous les temps de calamités et de misères publiques. Le pape
Grégoire 13 déclare, par sa bulle, qu'il faut pieusement croire que les prières
publiques et processions des confrères du saint Rosaire avaient beaucoup
contribué à obtenir de Dieu la grande victoire que les chrétiens gagnèrent au
golfe de Lépante sur l'armée navale des Turcs, le 1er dimanche d'octobre en
1571.
133. Louis le Juste, d'heureuse
mémoire, assiégeant La Rochelle, où les hérétiques tenaient leurs forts,
écrivit à la reine sa mère de faire faire des prières publiques pour la
prospérité de ses armes. La reine résolut de faire réciter le Rosaire
publiquement dans l'église des Frères prêcheurs du faubourg Saint-Honoré de
Paris, ce qui fut exécuté par les soins de Monseigneur l'archevêque. On
commença cette dévotion le 20 mai 1628. La reine mère et la reine régnante s'y
rendirent, avec Monseigneur le duc d'Orléans, les cardinaux de la Rochefoucault
et de Bérulle, plusieurs prélats, toute la cour et une foule innombrable de
peuple. Monseigneur l'archevêque lisait à haute voix les méditations sur les
mystères du Rosaire, il commençait ensuite le Pater et l'Ave de chaque dizaine
et les religieux avec les assistants répondaient; après le chapelet, on portait
l'image de la sainte Vierge en procession, en chantant ses litanies. On
continua cette dévotion tous les samedis avec une ferveur admirable et une
bénédiction du ciel évidente, car le roi triompha des Anglais à l'île de Ré et
entra victorieux dans La Rochelle, le jour de la Toussaint de la même année. On
voit par là quelle est la force de la prière publique.
134. Enfin le Rosaire récité en
commun est bien plus terrible au démon, puisqu'on fait, par ce moyen, un corps
d'armée pour l'attaquer. Il triomphe quelquefois fort facilement de la prière
d'un particulier, mais si elle est unie à celle des autres, il n'en peut venir
à bout que difficilement. Il est aisé de rompre une houssine toute seule; mais
si vous l'unissez avec plusieurs autres et en faites un faisceau, on ne peut
plus la rompre. "Vis unita fit fortior". Les soldats s'assemblent en corps
d'armée pour battre leurs ennemis; les méchants s'assemblent souvent pour faire
leurs débauches et leurs danses; les démons même s'assemblent pour nous perdre;
pourquoi donc les chrétiens ne s'assembleront-ils pas pour avoir la compagnie
de Jésus-Christ, pour apaiser la colère de Dieu, pour attirer sa grâce et sa
miséricorde, et pour vaincre et terrasser plus puissamment les démons? Cher
confrère du Rosaire, si vous demeurez à la ville ou à la campagne, auprès de
l'église de la paroisse ou d'une chapelle, allez-y au moins tous les soirs,
avec permission de monsieur le recteur de ladite paroisse, et là en compagnie
de tous ceux qui voudront y venir réciter le chapelet à deux choeurs; faites la
même chose dans votre maison ou celle d'un particulier du village, si vous
n'avez pas la commodité de l'église ou de la chapelle.
135. C'est une sainte pratique
que Dieu, par sa miséricorde, a établie dans les lieux ou j'ai fait des
missions, pour en conserver et augmenter le fruit, pour empêcher le péché. On
ne voyait dans ces bourgs et villages, auparavant que le chapelet y fût établi,
que danses, débauches, dissolutions, immodesties, jurements, querelles,
divisions; on n'y entendait que des chansons déshonnêtes, paroles à double
entente. A présent on n'y entend que le chant des cantiques et la psalmodie du
Pater et de l'Ave; on n'y voit que de saintes compagnies de 20, 30, 100
personnes et plus, qui chantent comme des religieux les louanges de Dieu à une
heure réglée. Il y a même des lieux où on récite le Rosaire en commun tous les
jours, en trois temps de la journée. Quelle bénédiction du ciel! Comme il y a
des réprouvés partout, ne doutez pas qu'il n'y ait, dans les lieux où vous
demeurez, quelques méchants qui négligeront de venir au chapelet, qui s'en
railleront peut-être même et feront tout ce qu'ils pourront, par leurs
mauvaises paroles et leurs mauvais exemples, pour vous empêcher de continuer ce
saint exercice; mais tenez bon. Comme ces malheureux doivent être à jamais
séparés de Dieu et de son paradis, dans l'enfer, il faut qu'ici-bas, par
avance, ils se séparent de la compagnie de Jésus-Christ et de ses serviteurs et
servantes.
47 Rose 136. Séparez-vous des
méchants, peuple de Dieu, âmes prédestinées, et pour vous échapper et vous
sauver du milieu de ceux qui se damnent par leur impiété, indévotion ou
oisiveté, sans perdre le temps, récitez souvent le saint Rosaire avec foi, avec
humilité, avec confiance et avec persévérance. [Premièrement] quiconque pensera
sérieusement au commandement que Jésus-Christ nous a fait de prier toujours, à
l'exemple qu'il nous a donné, aux besoins infinis que nous avons de la prière,
à cause de nos ténèbres, ignorances et faiblesses et de la multitude de nos
ennemis, certes, celui-là ne se contentera pas de réciter le Rosaire une fois
tous les ans, comme la confrérie du Rosaire perpétuel demande, ni toutes les
semaines, comme le Rosaire ordinaire prescrit, mais le récitera tous les jours,
sans y manquer, comme le Rosaire quotidien marque, quoiqu'il n'en ait point
d'autre obligation que celle de son salut. Oportet: il faut, il est nécessaire
semper orare, toujours prier, et non deficere, ne point cesser de
prier.
137. Ce sont des paroles
éternelles de Jésus-Christ, qu'il faut croire et pratiquer sous peine de
damnation. Expliquez- les comme il vous plaira, pourvu que vous ne les
expliquiez pas à la mode, afin de ne les pratiquer qu'à la mode. Jésus- Christ
nous en a donné la vraie explication dans les exemples qu'il nous a laissés:
Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum ego feci, ita et vos faciatis. Joan 13,5.
Erat pernoctans in oratione Dei. Luc 6,12. Comme si le jour ne lui eût pas
suffi, il employait encore la nuit à la prière. Il répétait souvent à ses
apôtres ces deux paroles: Vigilate et orate. Veillez et priez. La chair est
infirme, la tentation est proche et continuelle. Si vous ne priez toujours,
vous y tomberez. Apparemment qu'ils crurent que ce que Notre-Seigneur leur
disait n'était que de conseil, ils interprétèrent ces paroles à la mode, c'est
pourquoi ils tombèrent dans la tentation et dans le péché, étant même dans la
compagnie de Jésus-Christ.
138. Si vous voulez, cher
confrère, vivre à la mode, et vous damner à la mode, c'est-à-dire de temps en
temps tomber dans le péché mortel, et puis aller à confesse, éviter les péchés
grossiers et criants, et conserver les honnêtes, il n'est pas nécessaire que
vous fassiez tant de prières, que vous disiez tant de Rosaires; une petite
prière le matin et le soir, quelques chapelets donnés en pénitences, quelques
dizaines d'Ave Maria sur un chapelet à la cavalière, quand la fantaisie vous en
prend, il n'en faut pas davantage pour vivre en honnête homme. Si vous en
faisiez moins, vous approcheriez du libertinage; si vous en faites plus, vous
approcheriez de la singularité et de la bigoterie.
139. Mais si, comme un vrai
chrétien qui veut se sauver en vérité et marcher sur les traces des saints,
vous voulez ne point tomber du tout en péché mortel, rompre tous les pièges et
eteindre tous les traits enflammés du diable, il faut que vous priiez toujours
comme a enseigné et ordonné Jésus-Christ. Ainsi, il faut pour le moins que vous
disiez votre Rosaire tous les jours ou quelques prières équivalents. Je dis
encore pour le moins, car ce sera tout ce que vous pourrez faire avec votre
Rosaire, tous les jours, que d'éviter tous les péchés mortels et de vaincre
toutes les tentations, au milieu des torrents d'iniquité du monde, qui
emportent souvent les plus assurés; au milieu des ténèbres épaisses qui
aveuglent souvent les plus éclairés, au milieu des esprits malins qui, étant
plus expérimentés que jamais, et ayant moins de temps à tenter, tentent avec
plus de finesse et de succès. Oh! quelle merveille de la grâce du saint
Rosaire, si vous échappez au monde, au diable et à la chair et au péché et vous
sauvez dans le ciel!
140. Si vous ne voulez pas croire
ce que j'avance, croyez-en votre propre expérience. Je vous demande si, lorsque
vous ne faisiez qu'un peu de prières qu'on fait dans le monde, et de la manière
dont on les fait ordinairement, vous pouviez vous empêcher de faire de lourdes
fautes et des péchés griefs qui ne vous paraissaient légers que par votre
aveuglement. Ouvrez donc les yeux, et pour vivre et mourir en saint sans péché,
du moins mortel, priez toujours; récitez tous les jours votre Rosaire, comme
tous les confrères faisaient autrefois dans l'établissement de la confrérie
(voir à la fin de ce livre la preuve de ce que j'avance). La sainte Vierge le
donnant à saint Dominique lui ordonna de le dire et faire dire tous les jours;
aussi le saint ne recevait-il personne dans la confrérie qui ne fût dans la
résolution de le dire tous les jours. Si, à présent, on ne demande dans la
confrérie du Rosaire ordinaire que la récitation d'un Rosaire par semaine,
c'est parce que la ferveur s'est ralentie, la charité s'est refroidie. On tire
ce qu'on peut d'un mauvais prieur. Non fuit ab initio sic. Il faut ici
remarquer trois choses.
141. La première que si vous vou
lez vous enrôler dans la confrérie du Rosaire quotidien et participer aux
prières et mérites de qui y sont, il ne suffit pas d'être enrôlé dans la
confrérie du Rosaire ordinaire, ou de prendre seulement la résolution de
réciter son Rosaire tous les jours. Il faut de plus donner son nom à ceux qui
ont le pouvoir d'enrôler. Il est bon de se confesser et communier à cette
intention; la raison de ceci est que le Rosaire ordinaire ne renferme pas le
quotidien, mais le Rosaire quotidien renferme le Rosaire ordinaire. La seconde
chose à remarquer est qu'il n'y a, absolument parlant, aucun péché, même
véniel, à manquer de réciter le Rosaire de tous les jours, ni de toutes les
semaines, ni de tous les ans. La troisième, c'est que lorsque la maladie ou une
obéissance légitime, ou la nécessité, ou l'oubli involontaire, sont cause que
vous ne pouvez pas réciter votre Rosaire, vous ne laissez pas d'en avoir le
mérite et vous ne perdez pas la participation aux Rosaires des autres
confrères; ainsi il n'est pas absolument nécessaire que le jour suivant vous
récitiez deux Rosaires, pour suplléer à un que vous avez manqué sans votre
faute, comme je suppose. Si cependant la maladie ne vous permet de réciter
qu'une partie de votre Rosaire, vous la devez réciter. Beati qui stant coram te
semper. Beati qui habitant in domo tua, Domine, in saecula saeculorum laudabunt
te. Bienheureux, Seigneur Jésus, les confrères du Rosaire quotidien qui, tous
les jours, sont autour et dans votre petite maison de Nazareth, autour de votre
croix sur le Calvaire, et autour de votre trône dans les cieux, pour méditer et
contempler vos mystères joyeux, douloureux et glorieux. Oh! qu'ils sont heureux
sur la terre par les grâces spéciales que vous leur communiquerez, et qu'ils
seront bienheureux dans le ciel où ils vous loueront d'une manière spéciale
dans les siècles des siècles.
142. Secondement, il faut réciter
le Rosaire avec foi, selon les paroles de Jésus-Christ: Credite quia accipietis
et fiet vobis. Croyez que vous recevrez de Dieu ce que vous lui demandez, et il
vous exaucera. Il vous dira: Sicut credidisti, fiat tibi: Qu'il vous soit fait
comme vous avez cru. Si quis indiget sapientiam, postulet a Deo; postulet autem
in fide nihil haesitans (Jc 1,6): Si quelqu'un a besoin de la sagesse, qu'il la
demande à Dieu, avec foi, sans hésiter, en récitant son Rosaire, et elle lui
sera donnée.
143. Troisièmement, il faut prier
avec humilité, comme le publicain; il était à deux genoux à terre, et non un
genou en l'air ou sur un banc comme les orgueilleux mondains; il était au bas
de l'église et non dans le sanctuaire comme le pharisien; il avait les yeux
baissés vers la terre, n'osant regarder le ciel, et non la tête levée regardant
çà et là comme le pharisien; il frappait sa poitrine, se confessant pécheur et
demandant pardon: Propitius este mihi peccatori (Luc 18,13) et non pas comme le
pharisien, qui méprisait les autres dans ses prières. Gardez-vous de
l'orgueilleuse prière du pharisien qui le rendit plus endurci et plus maudit;
mais imitez l'humilité du publicain dans sa prière qui lui obtient la rémission
de ses péchés. Prenez bien garde de donner dans l'extraordinaire et de demander
et de désirer même des connaissances extraordinaires, des visions, des
révélations et autres grâces miraculeuses que Dieu quelquefois a communiquées à
quelques saints dans la récitation de leur chapelet et Rosaire. "Sola fides
sufficit": la foi seule suffit présentement que l'Evangile et toutes les
dévotions et pratiques de piété sont suffisamment établis. N'omettez jamais la
moindre partie de votre Rosaire dans vos sécheresses, dégoûts et délaissement
intérieurs; ce serait une marque d'orgueil et d'infidélité; mais comme un brave
champion de Jésus et Marie, sans rien voir, sentir, ni goûter, dites tout
sèchement votre Pater et Ave, en regardant le mieux que vous pourrez les
mystères. Ne désirez point le bonbon et les confitures des enfants pour manger
votre pain quotidien; mais pour imiter Jésus- Christ plus parfaitement dans son
agonie, prolongez quelquefois votre Rosaire, lorsque vous sentirez plus de
peine à le réciter: "Factus in agonia prolixius orabat" (Lc 22,43), afin qu'on
puisse dire de vous ce qui est dit de Jésus-Christ, lorsqu'il était dans
l'agonie de la prière: Il priait encore plus longtemps.
144. Quatrièmement, priez avec
beaucoup de confiance, laquelle est fondée sur la bonté et libéralité infinies
de Dieu et sur les promesses de Jésus-Christ. Dieu est une source d'eau vive
qui coule incessamment dans le coeur de ceux qui prient. Jésus-Christ est la
mamelle du Père éternel toute pleine du lait de la grâce et de la vérité. Le
plus grand désir qu'ait le Père éternel à notre égard, c'est de nous
communiquer les eaux salutaires de sa grâce et de sa miséricorde, et il crie:
"Omnes sitientes venite ad aquas" (Is 55): Venez boire de mes eaux par la
prière, et quand on ne le prie pas il se plaint de ce qu'on l'abandonne: "Me
dereliquerunt fontem aquae vivae" (Jr 2,13). C'est faire plaisir à Jésus-Christ
de lui demander ses grâces et plus grand plaisir qu'on ne ferait à une mère
nourrice, dont les mamelles sont toutes pleines, en lui suçant son lait. La
prière est le canal de la grâce de Dieu et le tétin des mamelles de
Jésus-Christ. Si on ne les suce pas par la prière comme doivent faire tous les
enfants de Dieu, il s'en plaint amoureusement: "Usque modo non petistis
quidquam, petite et accipietis, quaerite et invenietis, pulsate et aperietur
vobis" (Mt 7,7). Jusqu'à ici vous ne m'avez rien demandé. Ah! demandez-moi et
je vous donnerai, cherchez chez moi et vous trouverez; frappez à ma porte et je
vous l'ouvrirai. De plus, pour nous donner encore plus de confiance à le prier,
il a engagé sa parole: que le Père éternel nous accorderait tout ce que nous
lui demanderions en son nom.
48 Rose 145. Mais à notre
confiance joignons, en cinquième lieu, la persévérance dans la prière. Il n'y
aura que celui qui persévérera à demander, à chercher et à frapper, qui
recevra, qui trouvera et qui entrera. Il ne suffit pas de demander quelques
grâces à Dieu pendant un mois, un an, dix ans, vingt ans; il ne faut point
s'ennuyer, et non deficere, il faut la demander jusqu'à la mort et être résolu
ou à obtenir ce qu'on lui demande pour son salut ou à mourir, et mêne il faut
joindre la mort avec la persévérance dans la prière et la confiance en Dieu et
dire: Etiam si occident me, sperabo in eum: Quand il devrait me tuer,
j'espérerais en lui et de lui ce que je lui demande.
146. La libéralité des grands et
riches du monde paraît à prévenir par leurs bienfaits ceux qui en ont besoin,
avant même qu'ils les leur demandent; mais Dieu, tout au contraire, montre sa
magnificence à faire longtemps chercher et demander les grâces qu'il veut
accorder, et plus la grâce qu'il veut faire est précieuse et plus longtemps il
diffère del'accorder: 1 Afin, par là, de l'augmenter encore davantage; 2 Afin
que la personne qui la recevra en ait une grande estime; 3 Afin qu'elle se
donne de garde de la perdre après l'avoir reçue; car on n'estime pas beaucoup
ce qu'on obtient en un moment et à peu de frais. Persévérez donc, mon cher
confrère du Rosaire, à demander à Dieu par le saint Rosaire tous vos besoins
spirituels et corporels et particulièrement la divine Sagesse qui est un trésor
infini: Thesaurus est infinitus (Sg 7,14), et vous l'obtiendrez tôt ou tard
infailliblement, pourvu que vous ne le quittiez point et que vous ne perdiez
point courage au milieu de votre course. Grandis enim tibi restat via (3 Rg
19). Car vous avez encore beaucoup de chemin à faire, beaucoup de mauvais temps
à essuyer, beaucoup de difficultés à surmonter, beaucoup d'ennemis à terrasser,
avant que vous ayez assez amassé de trésors de l'éternité, des Pater et Ave
pour acheter le paradis et gagner la belle couronne qui attend un fidèle
confrère du Rosaire. Nemo accipiat coronam tuam: Prenez garde qu'un autre, plus
fidèle que vous à dire son Rosaire tous les jours, ne vous l'enlève: Coronam
tuam: elle était vôtre, Dieu vous l'avait préparée, elle était vôtre, vous
l'aviez déjà demi gagnée par vos Rosaires bien dits, et parce que vous vous
êtes arrêté en si beau chemin où vous courriez si bien, currebatis bene (Gal
5,7). Un autre, qui vous a devancé, y est arrivé le premier; un autre plus
diligent et plus fidèle a acquis et payé, par ses Rosaires et bonnes oeuvres,
ce qui était nécessaire pour avoir cette couronne. Quid vos impedivit? (Gal
5,7): Qui est-ce qui vous a empêché d'avoir la couronne du saint Rosaire?
Hélas! les ennemis du saint Rosaire, qui sont en si grand nombre.
147. Croyez-moi, il n'y a que les
violents qui la ravissent de force: Violenti rapiunt (Mt 11,12). Ces couronnes
ne sont pas pour ces timides qui craignent les railleries et les menaces du
monde. Ces couronnes ne sont pas pour ces paresseux et fainéants, qui ne disent
leur Rosaire qu'avec négligence, ou à la hâte, ou par manière d'acquit, ou par
intervalle, selon leur fantaisie. Ces couronnes ne sont pas pour ces poltrons
qui perdent coeur et mettent les armes bas, quand ils voient tout l'enfer
déchaîné contre leur Rosaire. Si vous voulez, cher confrère du Rosaire,
entreprendre de rendre service à Jésus et Marie en récitant le Rosaire tous les
jours, préparez votre âme à la tentation: Accedens ad servitutem Dei, praepara
animam tuam ad tentationem (Si 2,1).Les hérétiques, les libertins, les honnêtes
gens du monde, les demi-dévots et faux prophètes, de concert avec votre nature
corrompue et tout l'enfer, vous livreront de terribles combats, pour vous faire
quitter cette pratique.
148. Pour vous prémunir contre
les attaques, non pas tant des hérétiques et des libertins déclarés que des
honnêtes gens selon le monde, et des personnes même dévotes à qui cette
pratique ne revient pas, je veux vous rapporter ici simplement une petite
partie de ce qu'ils pensent et disent tous les jours. Quid vult seminiverbius
ille? Venite, opprimamus eum, contrarius est enim, etc.: Que veut dire ce grand
diseur de chapelets et de Rosaires, qu'est-ce qu'il marmotte toujours? quelle
fainéantise! il ne fait rien autre chose que chapeleter, il ferait bien mieux
de travailler, sans s'amuser à tant de bigoteries. Vraiment oui!.... Il ne faut
que dire son Rosaire, et les alouettes toutes rôties tomberont du ciel; le
Rosaire nous apportera bien de quoi dîner. Le bon Dieu dit: Aide-toi, je
t'aiderai. Pourquoi aller s'embarrasser de tant de prières? Brevis oratio
penetrat coelos; un Pater et un Ave bien dits suffisent. Le bon Dieu ne nous a
point commandé le chapelet ni le Rosaire; cela est bon, c'est une bonne chose
quand on a le temps, mais on n'en sera pas moins sauvé pour cela. Combien de
saints qui ne l'ont jamais dit? Il y a des gens qui jugent tout le monde à leur
aune, il y a des indiscrets qui portent tout à l'extrémité, il y a des
scrupuleux qui mettent du péché où il n'y en a point, ils disent que tous ceux
qui ne diront pas leur Rosaire seront damnés. Dire son chapelet, cela est bon
pour les femmelettes, ignorantes, qui ne savent pas lire. Dire son Rosaire?
Vaut-il pas mieux dire l'Office de la sainte Vierge ou réciter les sept
psaumes? Y a-t-il rien de si beau que ces psaumes que le Saint-Esprit a dictés?
Vous entreprenez de dire votre Rosaire tous les jours; feu de paille que tout
cela, cela ne durera pas longtemps; ne vaut-il pas mieux en prendre moins et y
être plus fidèle? Allez, mon cher ami, croyez-moi, faites bien votre prière
soir et matin et travaillez pour Dieu pendant la journée, Dieu ne vous demande
pas davantage. Si vous n'aviez pas, comme vous avez, votre vie à gagner, encore
passe, vous pourriez vous engager à dire votre Rosaire; vous pouvez le dire les
dimanches et fêtes à votre loisir, mais non pas les jours ouvriers, il vous
faut travailler. Quoi! avoir un si grand chapelet de bonne femme! J'en ai vu
d'une dizaine, il vaut autant qu'un de quinze dizaines. Quoi! porter le
chapelet à la ceinture, quelle bigoterie; je vous conseille de le mettre à
votre cou, comme font les Espagnols; ce sont de grands diseurs de chapelets,
ils portent un grand chapelet d'une main, tandis qu'ils ont dans l'autre une
dague pour donner un coup de traître. Laissez là, laissez là ces dévotions
extérieures, la vraie dévotion est dans le coeur, etc.
149. Plusieurs habiles gens et
grands docteurs, mais esprits forts et orgueilleux, ne vous conseilleront guère
le saint Rosaire; ils vous porteront plutôt à réciter les sept psaumes
pénitentiaux ou quelques autres prières que celle-là. Si quelque bon confesseur
vous a donné en pénitence un Rosaire à dire pendant quinze jours ou un mois,
vous n'avez qu'à aller à confesse à quelqu'un de ces messieurs, pour que votre
pénitence vous soit changée en quelques autres prières, jeûnes, messes ou
aumônes. Si vous consultez même quelques personnes d'oraison, qu'il y a dans le
monde, comme elles ne connaissent point par leur expérience l'excellence du
Rosaire, non seulement elles ne le conseillerons pas à personne, mais elles en
détourneront les autres pour les appliquer à la contemplation, comme si le
Rosaire et la contemplation étaient incompatibles, comme si tant de saints qui
ont été dévots au Rosaire n'avaient pas été dans la plus sublime contemplation.
Vos ennemis domestiques vous attaqueront d'autant plus cruellement que vous
êtes plus uni avec eux. Je veux dire les puissances de votre âme et les sens de
votre corps, les distractions de l'esprit, les ennuis de la volonté, les
sécheresses du coeur, les accablements et les maladies du corps, tout cela, de
concert avec les malins esprits qui s'y mêleront, vous crieront: Quitte ton
Rosaire, c'est lui qui te fait mal à la tête; quitte ton Rosaire, il n'y a
point d'obligation sous peine de péché; n'en dis du moins qu'une partie, tes
peines sont une marque que Dieu ne veut pas que tu le dises, tu le diras demain
quand tu seras mieux disposé, etc.
150. Enfin, mon cher frère, le
Rosaire quotidien a tant d'ennemis que je regarde comme une des plus signalées
faveurs de Dieu que la grâce d'y persévérer jusqu'à la mort. Persévérez-y et
vous aurez la couronne admirable qui est préparée dans les cieux à votre
fidélité: Esto fidelis usque ad mortem et dabo tibi coronam (Ap
2,10).
49e Rose 151. Afin qu'en récitant
votre Rosaire vous gagniez les indulgences accordées aux confrères du saint
Rosaire, il est à propos de faire quelques remarques sur les indulgences.
L'indulgence en général est une rémission ou relaxation des peines temporelles,
dues pour les péchés actuels, par l'application des satisfactions surabondantes
de Jésus-Christ, de la sainte Vierge et de tous les saints, qui sont renfermées
dans les trésors de l'Eglise. L'indulgence plénière est une rémission de toutes
les peines dues au péché; la non plénière, comme de 100, 1.000 [ans], plus ou
moins, est la rémission d'autant de peines, qu'on aurait pu expier pendant cent
ou mille années, si l'on avait reçu aussi longtemps à proportion des pénitences
taxées par les anciens canons de l'Eglise. Or ces canons ordonnaient pour un
seul péché mortel sept et quelquefois dix et quinze ans de pénitence, en sorte
qu'une personne qui aurait fait vingt péchés mortels devait pour le moins faire
sept, vingt années de pénitence, et ainsi du reste.
152. Pour que les confrères du
Rosaire en gagnent les indulgences, il faut: premièrement qu'ils soient
vraiment pénitents et confessés et communiés, comme disent les bulles des
indulgences; deuxièmement qu'ils n'aient affection à aucun péché véniel, parce
que l'affection au péché restant, la coulpe reste, et la coulpe restant, la
peine n'est point remise; troisièmement il faut qu'ils fassent les prières et
autres bonnes oeuvres marquées par la bulle; et si, selon l'intention des
papes, on peut gagner une indulgence non plénière, par exemple de 100 ans, sans
gagner la plénière, il n'est pas toujours nécessaire pour les gagner d'être
confessé et communié, comme sont les indulgences attachées à la récitation du
chapelet et Rosaire, aux processions, aux rosaires bénits, etc. Ne négligez pas
ces indulgences.
153. Flammin et un grand nombre
d'auteurs rapportent qu'une demoiselle de bon lieu nommée Alexandre, ayant été
miraculeusement convertie et enrôlée dans la confrérie du Rosaire par saint
Dominique, lui apparut après sa mort et lui dit qu'elle était condamnée à être
sept cents ans en purgatoire pour plusieurs péchés qu'elle avait commis et fait
commettre à plusieurs par ses vanités mondaines, le priant de la soulager et
faire soulager par les prières des confrères du Rosaire, ce qu'il fit. Quinze
jours après, elle apparut à saint Dominique, plus brillante qu'un soleil, ayant
été délivrée si promptement par les prières que les confrères du Rosaire
avaient faites pour elle. Elle avertit aussi le saint qu'elle venait de la part
des âmes du Purgatoire, pour l'exhorter à continuer à prêcher le Rosaire et
faire en sorte que leurs parents leur fassent part de leurs Rosaires, dont
elles les recompenseraient abondamment quand elles seraient avancées dans la
gloire.
154. Afin de vous faciliter
l'exercice du saint Rosaire, voici plusieurs méthodes pour le réciter
saintement, avec la méditation des mystères joyeux, douloureux et glorieux de
Jésus et de Marie. Vous vous arrêterez à celle qui sera le plus à votre goût:
vous pourrez vous en former vous-même une autre méthode particulière, comme
plusieurs saints personnages ont fait.